Le sociologue Ali El Kenz s’en est allé: l’adieu à un immense intellectuel

3
Ali El Kenz, un immense intellectuel (DR)
Google Actualites 24H Algerie

L’immense sociologue algérien Ali El Kenz est parti, hier, le 1er novembre 2020, dans un hôpital à Nantes. C’était un esprit brillant et totalement libre , un homme qui a observé, analysé et étudié avec une empathie rare sa société. Né en 1946 à Skikda (Algérie), Ali El Kenz a enseigné de 1970 à 1993 la sociologie à l’université d’Alger et a dirigé le Cread (Centre de recherches en économie appliquée au développement à Alger). 

Après l’entrée du pays dans la décennie de violences dans les années 1990, Ali El Kenz va s’exiler en 1993, au lendemain de l’assassinat de son ami, Djilali Lyabes. Il passe deux ans à Tunis en tant que professeur associé à l’Université de Tunis 1. Il va  s’établir à partir de 1995 à Nantes, en France, où il a exercé en tant que professeur de sociologie à l’université.  Ecrivain, philosophe, sociologue, politologue, franchement marqué à gauche, Ali El Kenz, a été constamment distant à l’égard d’un régime qu’il qualifiera dans un remarquable entretien avec Nordine Azzouz, “d’autophage”.

Les prévisions vérifiées de Tahar Benhouria

Sous le pseudonyme de Tahar Benhouria, en référence à son quartier natal de Skikda “Dar Benhouria, là où il aurait souhaité être enterré – mais l’épidémie de Coronavirus contrarie les choses – , son livre “L’Économie de l’Algérie” publié aux éditions Maspero, mettait déjà en relief l’évolution du capitalisme d’Etat algérien vers un système de prédation des ressources. Une analyse implacable publiée à la fin d’un cycle ( Boumedienne) et le début d’un autre et qui va, hélas, se vérifier avec le temps et dont on a eu un petit aperçu lors des procès des hauts responsables et hommes d’affaires.

Ali El Kenz va être connu au-delà des milieux universitaires avec ses articles sur les grands penseurs publiés dans l’hebdomadaire “Algérie Actualités”. Une page pour synthétiser les idées des grands philosophes et inciter à la lecture et à la réflexion. Des écrits que les étudiants et autres dévoraient goulument et qui seront regroupés dans le livre “Les maîtres penseurs” (1985, ENAG). Le livre d’entretien avec Belaïd Abdesselam, “Le hasard et l’histoire” (ENAG 1990) réalisé avec Mahfoud Benoune est une sorte d’autopsie fascinante du régime que l’ancien ministre de l’énergie faisait, malgré lui et grâce aux questions pertinentes de ses deux interlocuteurs. 

Les travaux et publications, d’une ampleur remarquable, de Ali El Kenz portent sur le travail, le développement, la sociologie des sciences avec pour champ l’Algérie, le Monde Arabe et l’Afrique. Ali El Kenz a ainsi été un de ceux qui ont mené une large enquête sociologique auprès des travailleurs de la Société nationale de Sidérurgie (SNS) où des groupes d’étudiants ont été mobilisés pour s’entretenir avec les ouvriers sur la base de questionnaires pré-établis. Nombre de ces étudiants sortiront changés de cette immersion dans le monde du travail. Cela donnera le livre, “Le Complexe sidérurgique d’El Hadjar, Une expérience industrielle en Algérie” (Editions du CNRS). 

Ali El Kenz a été durant toute sa vie un travailleur acharné et sa production intellectuelle est prodigieuse.  Même s’il s’interdisait par éthique de se prononcer, à partir de son exil, sur la situation en Algérie, il a continué son travail académique. Son exil, entamé en 1993, devait être de courte durée, mais il va se prolonger. Une épreuve douloureuse pour un homme puissamment attaché au pays et en empathie totale avec les classes populaires. Plus tard, en revenant régulièrement au pays, sans être surpris de voir ses projections pessimistes sur l’évolution du système se confirmer, il n’en était pas moins effaré par l’ampleur du délitement de cette “république usée”. L’Algérie, nous a-t-il dit, lors d’une rencontre place Audin, en 2018, a “besoin d’une convention” pour remettre à plat les choses et reconstruire. Lui aussi pressentait que quelque chose était entrain de finir et qu’il fallait inventer du neuf, sans casser ce qui reste.  

A sa femme, l’auteure Suzanne El Farrah, à ses enfants et à toute sa famille, nous adressons nos sincères condoléances.

Article précédentConstitution : un taux national de participation de 18,44 % à 17h00
Article suivantA bâtons rompus avec Ali El Kenz: sur la société, la crise et le système “autophage”

3 Commentaires

Laisser un commentaire