Alice Kaplan plonge dans le monde fascinant et coloré de Baya

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 Alice Kaplan plonge dans le monde fascinant et coloré de Baya
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« Baya ou le grand vernissage » de l’historienne américaine Alice Kaplan est un récit sur l’artiste-peintre algérienne Baya Mahieddine qui vient de paraître aux éditions Barzakh à Alger. Il sera publié aux Etats Unis en octobre 2024 sous le titre : « Seeing  Baya, portrait of an algerian artist in Paris » (Voir Baya, portrait d’une artiste algérienne à Paris).


Alice Kaplan, qui enseigne la littérature française à l’université Yale aux Etats Unis, termine avec ce livre une trilogie algérienne, après « En quête de l’Etranger » et « Maison Atlas », parus chez Barzakh. Traduit de l’américain par Patrick Hersant, « Baya ou le grand vernissage » reconstitue tous les décors où a vécu l’artiste qui, très jeune, a perdu ses parents. Élevée par sa grand-mère à Sidi-M’hamed, dans la banlieue est d’Alger, Baya rejoint la ferme florale d’Henri Farges à Fort-de-l’eau (Bordj El Kiffan actuellement).


« Le travail à la ferme aura apporté une relative stabilité à Baya et à sa grand-mère. Celle-ci fait la cuisine pour Henri et Simone Farges et leurs filles. Baya mange du bouillon, et y prélève des os qu’elle cache dans ses poches pour les donner à son petit frère. Elle travaille à l’intérieur et à l’extérieur, s’occupe des champs de fleurs, nettoie la maison, sert le repas », écrit Alice Kaplan.


« Oiseaux de paradis »

L’auteure évoque les rhizomes de strelitzia importés des Antilles et plantés par les Farges dans leur ferme. Appelés « Oiseaux de paradis », ces fleurs aux couleurs éclatantes se retrouvent plus tard dans les toiles de Baya. Alice Kaplan dresse le portrait de Marguerite Caminat, sœur de Simone Farge, bibliothécaire et peintre amateure de Toulon, qui va aider Baya ( Fatma Haddad de son vrai nom) à exposer pour la première fois ses travaux artistiques à Paris.


« Baya sera sa bonne, sa fille, l’artiste qu’elle même n’est jamais devenue, et le sujet d’une passion documentaire. Une bonne partie de ce que j’ai appris sur l’enfance de Baya provient des fragments conservés par Marguerite et de ses mémoires de parentes (…) La légende veut que Marguerite et Frank aient découvert le talent de Baya sur une plage de Fort-de-l’Eau, en la regardant dessiner sur le sable », écrit l’historienne. Elle explique comment Baya copiait les dessins des magazines de mode de Mireille Farges, fille d’Henri et Simone et comment elle confectionnait des statuettes en argile.


« Baya a regardé et absorbé le monde bien avant de saisir son premier pinceau à la ferme des Farges. Jeune orpheline à Dellys, elle s’est imprégnée des formes et des teintes locales, de l’artisanat et des histoires dont elle allait nourrir son oeuvre », souligne-t-elle. Baya s’est, selon elle, inspirée des robes et de l’artisanat kabyles, des miniatures islamiques, de la tradition arabe des panneaux en céramique…


« En hiver, les mains gelées… »

Baya vit avec Marguerite Caminat et son époux Frank McEwen Bensusan dans un appartement à la rue Elisée-Reclus, à Alger centre. Après le départ de Frank, Marguerit et Baya déménagent en 1944, au 5, Rue d’Isly, un appartement situé au dernier étage, « un penthouse bohème », non loin de la Grande-poste.


Dans les écrits de Marguerite sur Baya, Alice Kaplan trouve toutes les souffrances de la jeune fille chez sa grand-mère : « Baya tire l’eau du puits, allume le feu, balaye, lave la vaisselle, pendant que toute la maisonnée dort. Elle porte les enfants sur son dos. Ils lui tirent les cheveux. Elle égrène le maïs sous un soleil brûlant. En hiver, les mains gelées, elle arrache des carottes de la terre dure et glacée ».


Baya, qui subissait aussi la violence de son oncle, a demandé « l’émancipation ». « En 1946, le juge décrète que Baya peut continuer à vivre sous la protection de Mme McEwen (Marguerite), sous l’œil bienveillant du cadi Benhoura, directeur associé du Bureau de bienfaisance musulmane », précise Alice Kaplan. Le cadi Mohamed Benhoura, qui était proche de Tayeb el-Oqbi et du Cercle du progrès (Nadi el taraqi), est le tuteur légale de Baya, laquelle apprend à lire et à écrire le français grâce aux cours particuliers de Melle Bureau (l’historienne doute de l’origine de ce nom).


Benhoura et Marguerite participent à la préparation de la première exposition de tableaux et de statuettes de Baya à la galerie Maeght à Paris en novembre 1947. L’auteure précise que Jean Peyrissac,  le peintre et sculpteur qui a fait découvrir l’œuvre de Baya à Aimé Maeght, patron de la galerie de la rue Téhéran à Paris, prend part aux préparatifs. « Il a dressé un inventaire de cent quarante-neuf aquarelles et de dix figurines en terre cuite, il s’est occupé des autorisations et du transport aérien », écrit-elle.


Camus, Breton, Mauriac et les autres


Le cadi Benhoura a insisté pour que l’artiste soit habillée à l’orientale lors du vernissage. Des couturières de la Casbah, à la demande de Jean Peyrissac, préparent un « gilet karakou en velours, un sarouel à rayures rouge et or, une robe en soie blanche délicatement brodée avec foulard assorti… ». Une élégance qui n’échappe pas au magazine Elle de l’époque (un hebdomadaire féminin fondé en novembre 1945 par Hélène Gordon Lazareff).


A Paris, Baya est hébergée par Rosita Wertheimer, amie des Farges, au boulevard Victor Hugo, à Neuilly. Baya se rend aussi chez les Maeght ou à leur domicile à l’Avenue Foch. Le 21 novembre 1947, le vernissage se déroule à la galerie Maeght en présence de grands noms de l’art, de la littérature et de la politique, à l’image d’Albert Camus, le romancier,  André Breton, le pape du surréalisme, François Mauriac, l’écrivain et chroniqueur, Christian Bérard, Henri Matisse, Georges Braque, peintres, Michelle Auriole, épouse du président Vincent Auriol (1947-1954), Kaddour Ben Ghabrit, recteur de la Grande mosquée de Paris, Yves Chataigneau, gouverneur général de l’Algérie, Marcelle Sibon, traductrice des auteurs britannique Graham Greene et américaine Katherine Anne Porter…


Dans « Derrière le miroir », le catalogue de l’exposition « dont la couverture s’orne des figures rouges et violettes de Baya », André Breton évoque « la fraîcheur de l’inspiration », « la hardiesse de la conception » et « la reine d’un monde nouveau ». « Dans ce Paris noir et apeuré, c’est une joie des yeux et du cœur », a écrit, plus tard, Camus.


Alice Kaplan décrit comment les journalistes, guidés par François Mauriac, harcelaient Baya par leurs questions. « Elle aura seize ans dans un mois, mais ils la tutoient comme s’ils parlaient à une petite fille », souligne l’auteur. La réponse de l’artiste : « je ne sais pas ».


« Ministres, écrivains, mondains, artistes : tous ont le nez collé sur les tableaux. En ce morose après-midi de novembre (…), les couleurs saturées et les formes audacieuses de Baya invitent les visiteurs à voir le monde sous un nouveau jour. Ils ne passent pas d’une œuvre à l’autre d’un air distrait : ils s’approchent, s’immobilisent, s’imprègnent de ce qu’ils voient. Baya a triomphé de leur impatience et, l’espace d’un instant, ils ne savent plus vraiment où ils sont… », écrit Alice Kaplan.


« La petite fille de sorcière » !

Elle évoque certains « écrits » de la presse française de l’époque sur Baya. Dans « Combat », le journal où Albert Camus publiait ses reportages, René Guilly titre son article : « Baya, la petite-fille de sorcière a étonné les plus grands peintres français ». « Dialogues, lieux et autres détails inventés : tous les fantasmes sont au rendez-vous », écrit Alice Kaplan à propos d’un autre article nauséabond publié par Elle. Ce journal s’est permis de publier des « dialogues » attribués à Baya, « la fille qui n’a jamais pris une leçon de peinture ». Les critiques notent que Baya a modernisé l’art traditionnel. Ses travaux rappellent parfois ceux de Chagall ou de Matisse. Après le succès de sa première exposition à Paris, Baya n’a pas pu exposer ses œuvres en Algérie durant l’occupation française. Les galeries étaient réservées uniquement aux colons français.


Dans un cahier de photos d’une vingtaine de pages, introduit  au milieu du livre, sont montrés des tableaux célèbres de Baya, comme « Les rideaux jaunes », « Femme robe à fleurs blanches », « Rêve de la mère » et « Femme et enfant en bleu »… Baya ne donnaient pas de titres à ses toiles, les galeristes et les collectionneurs s’en chargeaient.  Des portraits de Baya jeune à la galerie Maeght et à l’atelier de sculpture de Madoura à Vallauris (Sud de la France où elle a réalisé des sculptures en céramique aux côtés de Picasso), prises en 1947 et 1948, sont également publiés également dans ce cahier. Le Musée des beaux-arts d’Alger a acheté plusieurs œuvres de Baya durant les années 1970. De 1963 et jusqu’à 1998, Baya n’a jamais cessé de peindre surtout sa mère sous plusieurs traits. « Moi je peins, à vous maintenant de ressentir », dit-elle souvent. Baya ne s’est revendiquée d’aucune école picturale. 

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