Ahmed Attaf, ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, a dévoilé, ce mardi 29 août, les grandes lignes d’une initiative algérienne pour mettre fin à la crise au Niger, née du coup d’Etat militaire contre le président Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023.
« L’initiative, proposée par le président Abdelmadjid Tebboune, se base sur six axes. Le premier est la consolidation du principe de la non légitimité des changements non constitutionnels. L’Algérie se considère comme le dépositaire moral et politique de ce principe du fait qu’il a été codifié et consacré à Alger lors du sommet africain de 1999. Lors du prochain sommet, l’Algérie fera des propositions pour consolider ce principe pour mettre fin définitivement aux coups d’Etat qui perturbent la stabilité et retardent le développement de beaucoup de pays en Afrique », a déclaré Ahmed Attaf, lors d’une conférence de presse organisée au Centre international de conférences (CIC) « Abdelatif-Rahal », à Club des Pins, à l’Ouest d’Alger.
Et d’ajouter : »Deuxièmement, définir une période de six mois pour élaborer et concrétiser une solution politique qui garantit le retour à l’ordre constitutionnel et démocratique au Niger, à travers la reprise de l’action politique dans le cadre de l’Etat de droit. Troisièmement, il s’agit de définir les arrangements politiques de sortie de crise avec la participation et l’accord de toutes les parties au Niger sans exclusion, sous le contrôle d’une autorité civile, conduite par une personnalité consensuelle, acceptée par toutes les factions de la classe politique au Niger afin d’aboutir au rétablissement de l’ordre constitutionnel dans ce pays ».
« Assurer la durabilité de la solution politique «
Le quatrième axe de l’initiative a trait aux garanties. « L’approche politique préconisée par l’Algérie propose d’accorder les garanties suffisantes à toutes les parties concernées dans la perspective d' »assurer la durabilité de la solution politique et son acceptation de tous les acteurs. Le cinquième axe concerne l’approche participative. Pour la mise en œuvre de ces arrangements politiques, l’Algérie entamera des contacts et des consultations approfondies avec toutes les parties concernées pouvant contribuer et aider au règlement politique de la crise ou soutenir les efforts fournis en ce sens ».
Ahmed Attaf a indiqué que ces contacts seront engagés avec toutes « les parties concernées et actives au Niger », avec les pays voisins et les Etat membres de la Cédéao (Communauté économique des Etat de l’Afrique de l’Ouest) , surtout le Nigeria qui préside actuellement l’organisation régionale. Des contacts seront engagés aussi avec les pays qui souhaitent soutenir le processus politique de sortie de crise au Niger, proposé par Alger.
L’initiative algérienne prévoit, selon Ahmed Attaf, l’organisation par l’Algérie d’une conférence internationale sur le développement au Sahel, « dans le souci d’encourager l’approche de développement et de mobiliser les financements nécessaires à la mise en œuvre des programmes de développement dans cette région qui a cruellement besoin d’infrastructures sociales et économiques à même de garantir la durabilité de la stabilité et de la sécurité ».
« Refus total du coup de force » à Niamey
Ahmed Attaf est revenu sur le processus d’élaboration de cette initiative depuis le début : « Sur instruction du président Abdelmadjid Tebboune, l’Algérie a pris l’initiative de lancer des concertations avec toutes les parties concernées au Niger et en dehors de ce pays pour contribuer à apaiser la situation et encourager l’acceptation de tous du choix politique en tant que solution idoine pour résoudre la crise ».
Il a rappelé avoir contacté le ministre des Affaires étrangères du Niger au premier jour du coup d’Etat militaire contre le président Mohamed Bazoum.
« Je l’ai informé du refus total de l’Algérie du coup de force à Niamey et sa solidarité avec le président légitime Mohamed Bazoum. Le président de la République Abdelmadjid Tebboune a lancé des concertation avec les présidents du Nigéria et Bénin. Notre ambassadeur à Niamey a, sur instruction du chef de l’Etat, pris attache avec plusieurs responsables actuels et anciens au Niger dont les auteurs du coup d’Etat militaire au plus haut de leur commandement », a-t-il précisé.
Attaf a évoqué aussi ses discussions avec le secrétaire d’Etat américain et les ministres des Affaires étrangères d’Italie et du Canada. Il a également parlé de sa récente tournée au Nigéria, au Bénin et au Ghana, trois pays membres de la Cédéao pour aborder le dossier nigérien ainsi que le déplacement du secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Lounès Magramane, à Niamey.
« Il n’y a jamais eu de bonne guerre ni de mauvaise paix »
Ces actions visaient à élaborer une initiative pour éviter le recours à l’intervention militaire comme prévoit de le faire la Cédéao, soutenue par Paris. « Il n’y a jamais eu de bonne guerre ni de mauvaise paix. Notre refus d’une intervention militaire au Niger est lié aux retombées dangereuses et désastreuses d’une telle action sur toute la région. Une action qui ne pourra pas atteindre ses objectifs », a-t-il prévu.
Il a cité les exemples de l’Irak, de la Syrie et de la Libye et en Somalie où les interventions militaires ont compliqué la situation. « L’Algérie a alerté ses partenaires en Afrique et dans le monde sur le danger d’une telle option, de celui de nourrir un conflit éthnique et de pousser des milliers de nigériens sur les routes de l’exil et de la migration. Il y a un danger de créer un nouveau conflit dans une région où sont présents le terrorisme et le crime organisé », a-t-il averti.
Attaf a indiqué que les craintes et les appréhensions de l’Algérie sont partagées par d’autres pays en dehors de l’Afrique et ceux membres de la Cédéao.
« C’est ce qui nous a encouragés à proposer des idées pour faciliter l’élaboration d’une solution politique qui préserve l’unité, la souveraineté, la sécurité et la stabilité du Niger. Après avoir fait la synthèse de tout cela, le président de la République a décidé de lancer une initiative pour trouver une solution politique au Niger en se basant sur le principe de ne pas reconnaître les changements non constitutionnels, d’un part, et de l’autre, d’un consensus sur l’option pacifique loin de toute intervention. Le président veut prouver à travers cette initiative que la solution politique est possible. Il propose cette initiative à la communauté internationale dans un cadre transparent pour avoir tous les soutiens », a détaillé Ahmed Attaf.
Une initiative ouverte à la concertation
Il a précisé que l’initiative est ouverte à la concertation avec « tous les partenaires déterminés à trouver une solution politique à la crise au Niger »
« Le Niger, contrairement à ses voisins, jouissait d’une certaine stabilité sécuritaire et institutionnelle. C’est un État qui failli se distinguer dans la région par l’établissement des règles de la démocratie et l’Etat de droit en réussissant la première transition démocratique du pouvoir entre deux présidents élus ces dernières années. C’est un Etat qui a créé la conviction chez tous qu’il a tourné le dos définitivement à l’époque des renversements militaires », a déclaré le chef de la diplomatie algérienne au début de son intervention.
Attaf a rappelé que le Niger a connu dans son Histoire cinq coups d’Etat militaires depuis 1960.
« C’est un État qui avait entamé le traçage d’une route vers le développement et le progrès alors qu’il était classé parmi les pays les plus pauvres au monde. Malheureusement, le Niger renoue avec le cauchemar des renversements. Nous pensions que l’époque des coups d’Etat était révolue. Le Niger est entré dans une crise politique, constitutionnelle et institutionnelle. Dès les premiers instants de cette crise, le président de la République a annoncé la position de l’Algérie avec clarté, précision et fermeté », a soutenu Attaf.
« Mohamed Bazoum reste le président légitime du Niger »
L’Algérie a condamné « le changement non constitutionnel » au Niger. Alger a appelé au retour au régime constitutionnel à Niamey et au « respect des institutions démocratiques ». « Le président Mohamed Bazoum reste le président légitime du Niger. Il doit reprendre ses activités en qualité de président légitime élu. Il faut donner la priorité à la solution politique et écarter le choix de recourir à la force compte tenu des conséquences désastreuses que peut induire ce choix sur le Niger et sur toute la région », a indiqué le chef de la diplomatie algérienne.
L’Algérie, selon lui, est prête à contribuer aux efforts visant à élaborer une solution politique pour mettre fin à la crise au Niger. « Ce qui marque la position algérienne de cette crise est qu’elle relie, d’une manière sage et mesurée, deux refus : le refus du changement non constitutionnel et le refus du recours à la force pour traiter la crise à Niamey. La solution médiane ne peut provenir que du rassemblement de toutes les conditions pour lancer un processus politique pour résoudre la crise selon ce qui est dictée par l’intérêt suprême du Niger et les intérêts de tous les Etats de la région », a indiqué Ahmed Attaf.