C’était en octobre et l’automne avait mangé l’été indien, la crête des arbres rougissait. La brocante battait son plein à Championnet, les bobos vendaient leurs souvenirs de vacances , les tajines marocains, les poteries tunisiennes, les tapis berbères et autres theières. Les daronnes négociaient le prix des vêtements pour enfants.
Quant à elle, elle avait déniché une toile de Jouy avec des oiseaux exotiques verts, des fleurs roses et jaunes sur un fond blanc qui lui rappelait sa chambre dans l’appartement maternel et surtout les gouaches de Baya.
Baya Mahedinne, qui née Fatma Haddad en 1931, très vite orpheline, avait été élevée par sa grand mère dans une ferme coloniale.
Elle commença à sculpter en argile les oiseaux et les fleurs qu’elle voit dans la maison de Marguerite Caminac à Alger où elle fait le ménage. Le sculpteur Peyrissac l’incitera à les transcrire sur papier, à la gouache, gouaches qu’il va montrer à Aimé Maeght de passage à Alger en 1943. En 1947 elle sera exposée à Paris et préfacée par André Breton qui évoquera « l’Arabie heureuse dont elle a pour mission de ranimer le rameau d’or » : Baya a seize ans !
Malicieusement elle pensait à la lettre de Frida Khalo adressée à Diégo où elle parle des surréalistes. en les traitant de « fils de p.. vivant comme des parasites aux crochets de vieilles peaux pleines aux as qui admirent le « génie » de ces « artistes ».
Plus tard le peintre Khadda parlera de « spontanéité primitive qui a émerveillé un certain paternalisme ».
En 1949 Baya rencontrera Braque et réalisera à Vallauris des céramiques.
Mariée en 1953 à un musicien de trente années son ainée qui lui fera six enfants, elle arrêtera de peindre pendant dix années. A sa mort elle créera sans frein et multipliera les expositions en Europe, à Cuba, au Japon.
C’est en 1963 qu’elle participera à l’exposition « Peintres algériens » organisée par Jean Senac au Musée d’Alger qui recueillera ses oeuvres à titre « gracieux ». Jean de Maisonseul alors conservateur du musée la poussera à commencer à peindre sur grand format.
Plus tard son oeuvre sera classée dans la collection Art brut de Lausanne.
Art naïf, art brut, fer de lance de l’Arabie heureuse, soeur de Schâhrâzâd elle se demandait qui était Baya ? Tous les regards masculins, dominants, orientalistes se sont posés sur son travail et à chaque fois on a parlé d’art naïf, on l’a exposé dans les musées d’art brut quand un Chagall et d’autres était soumis à un traitement différent . Pour lui on évoquera souvent le qualificatif (justifié) de féerique .
Quel sculpteur aurait-elle été si tous ces regards masculins empreints de clichés ne s’étaient pas posés sur son travail ?
Quel sens avait ces statuettes qu’elle sculptait dans la glaise, statuettes étrangement proches de celle que l’on trouve au Mexique ou en Chine ? Etait-ce des réminiscences des transmissions faites par une grand-mère sorcière.
Quelle interprétation à donner pour ces oiseaux, papillons, fleurs, fruits, instruments de musique : des simples transcription d’objets du quotidien ? Et le cerne noir autour de ses personnages féminins ?
Elle rangea la toile achetée dans son cabas et rentra chez elle pleine de mélancolie.
[…] Myriam Kendsi, Baya : une femme peintre, une école […]