Récemment nous avons vu à nouveau fleurir des posts sur les réseaux sociaux sur l’influence qu’aurait eu Baya sur Matisse et Picasso et le dernier reprenait un article dans The Cat, un site web d’actualité écrit par une critique d’art contemporain à Yale.
Alors rappelons ici quelques événements très factuels :
Matisse a séjourné quinze jours en Algérie 1906 et essentiellement à Biskra. De l’Algérie il confiera avoir été vivement impressionné par les tissus et les céramiques.
Il peindra l’Algérienne en 1909 à Paris, ainsi qu’une série intitulée « Portraits de femmes en costumes exotiques » et le « nu bleu » souvenir de Biskra en 1907.
De son séjour en Algérie en mai 1906, il a rapporté des tapis et des objets dont il a intégré le vocabulaire plastique (Les Oignons roses, Les Tapis rouges de 1906), et on peut dire que l’orientalisme traverse une toile comme Nu Bleu, Souvenir de Biskra (1907), avec son palmier, la pose alanguie de la femme-odalisque, l’évocation d’un âge d’or. Mais si l’on sent une vague tentation orientaliste jusqu’en 1910, Matisse s’en écarte finalement.
Il avait aussi vu en mai 1903 l’exposition d’art islamique organisée au musée des Arts Décoratifs, à Paris, et qui donna lieu à de nombreuses publications dans les revues d’art, renforçant ainsi la connaissance que l’on pouvait avoir à l’époque de cet art encore assez méconnu et peu exposé.
Quant à Picasso il n’est jamais allé en Algérie . Celui-ci a peint « Femmes d’Alger « en hommage au tableau de Delacroix en 1955. En réalité, Picasso a très peu voyagé, son Maghreb, il se l’est forgé avec les nombreuses cartes postales que lui envoyaient ses amis, leurs lettres.
Né en 1881, Pablo Picasso est d’abord un héritier des Orientalistes. Durant la guerre d’Algérie, le lien de Picasso avec Djamila Boupacha figure militante du FLN, proviendra de son engagement politique avec les communiste. Picasso a fait son portrait, qui accompagnera le plaidoyer de Gisèle et Simone de Beauvoir, paru en 1962, pour lui éviter la guillotine.
Cependant il croise Baya à Vallauris à l’atelier Madura, où elle réalisait des poteries et des céramiques. Ce n’est qu’après 48 que Baya passe à la peinture à l’eau sur papier où l’on voit apparaitre de manière récurrente dans son oeuvre les filles en fleur, des oiseaux multicolores , résurgence de la tapisserie qu’elle voyait chez les colons où elle travaillait. Ce n’est qu’en 1947 que Baya fut propulsée dans les sphères des Surréalistes avec André Breton.
Les orientalistes parleront de « mystère arabe » et l’histoire de l’art la classera dans les « naïfs » puis dans l’art brut …
Alors pourquoi cette rumeur persistante depuis quelques années récentes ?
Les tableaux de Baya ont beaucoup été achetés par les pays du Golfe mais aussi aux USA et aujourd’hui on assiste dans le milieu de l’art à une demande de néo-orientalisme ou de néo-colonialisme liés aux questions géopolitiques*, aussi associer le nom de Baya à celui de Matisse et Picasso fait simplement grimper sa côte sur le marché de l’art et, si on peut faire confirmer cette rumeur par une critique d’art de Yale c’est un plus dans la cagnotte et même si cette personne ne publie que des résumés de Wikipédia sur la biographie de Baya pour donner un peu de crédibilité à sa connaissance de l’oeuvre de l’artiste.
Me voilà désolée d’affaiblir notre narcissisme nationaliste , mais il y a peu, voire aucune probabilité que Baya ait influencé Matisse et Picasso . Sa qualité d’artiste
se suffit à elle même sans qu’elle ait besoin pour asseoir sa réputation de convoquer un tel ou un tel grand peintre.