La France risque de perdre sa place de premier fournisseur de l’Algérie en blé. Position qu’elle a gardée pendant plus de vingt ans. Les experts des matières premières agricoles évoquent ces derniers jours la décision de l’Algérie d’acheter des quantités importantes de céréales à la Russie en introduisant des modifications dans le cahier des charges.
Selon eux, la tolérance de grains punaisés ou piqués (marqués par les insectes) dans les cargaisons sera de 0,5% contre 0,2% auparavant. Et le taux de protéines sera de 12,5%. Ces critères de qualité revus à la baisse ont été discutées lors de négociations entre l’Algérie et la Russie depuis au moins deux ans. Des négociations qui concernent l’Ukraine aussi, autre grand exportateur de céréales.
Moscou a déjà envoyé une cargaison de blé pour des tests en Algérie. Le blé de la Mer noire a l’avantage d’être moins cher que le blé français, ce qui le rend plus concurrentiel. Dans le marché des céréales, le prix est devenu un facteur déterminant, d’après les spécialistes. L’Algérie, qui entend réduire la facture des importations, pourrait marcher sur les pas de l’Egypte, gros importateur de céréales, qui a choisi depuis un certain temps de mettre en concurrence des fournisseurs pour peser sur les prix. Cette semaine, le site spécialisé HellenicShippingNews a annoncé que l’Algérie a passé une commande pour acquérir 50.000 tonnes de blé pour livraison en octobre sans que le pays exportateur ne soit précisé. « Bien que l’appel d’offres inclut une quantité de 50.000 tonnes de blé, l’Algérie achète souvent beaucoup plus que le volume nominal fixé dans ses offres d’appel», souligne le site.
« Mini bombe »
L’ouverture de l’Algérie sur les céréales russes inquiète les producteurs et exportateurs français. Thierry de Boussac, représentant du Synacomex (Syndicat national du commerce extérieur des céréales), a annoncé, cité par les agences de presse, que l’appel d’offre algérien sera lancé fin septembre.
L’OAIC (Office Algérien Interprofessionnel des Céréales) a, selon Reuters, informé les traders qu’il allait s’ouvrir aux achats de blé tendre russe. « C’est une mini-bombe », écrit Réussir, site français spécialisé en informations agricoles. « Une révolution dans la politique d’achat de l’Algérie », note Radio France internationale (RFI).
« Avec la hausse de sa production en 2019, la Russie pourrait faire office de trouble-fête sur le marché algérien », craint le site Ports et Corridors qui évoque aussi la concurrence montante de l’Argentine sur le marché algérien. « Pour 2020, la Francepourrait n’exporter que 1,5 à 2,5 millions de tonnes de blé tendre sur l’Algérie sur l’ensemble de la campagne 2020/2021, contre 4 à 5 millions de tonnes d’habitude, compte tenu d’une hausse de la concurrence internationale, mais aussi et surtout du fait de la baisse de la récolte française », indique Thierry de Boussac.
La France a connu une mauvaise récolte de céréales cet été. Selon FranceAgrimer, Office agricole français, les exportations de blé devraient chuter de 13% vers l’Europe et de 51% vers les autres pays dont la Chine. « Premier client du blé français, l’Algérie accueillait généralement un tiers à la moitié des exportations françaises hors d’Europe », précise RFI.
50 % des importations algériennes de blé tendre sont d’origine française
«Déjà soumise à une concurrence féroce des pays baltes, la France pourrait perdre sa suprématie en Algérie, son premier marché hors d’Europe, notamment en raison de sa très faible récolte. En 2016, elle avait perdu pied au Maroc, un marché traditionnel qu’elle avait peiné ensuite à reconquérir », rappelle Damien Vercambre, du cabinet Inter-courtage, repris par le site Terre.net.
Plus de 50 % des importations algériennes de blé tendre étaient d’origine française ces dix dernières années. Ce taux était même de 68 % lors de la saison 2018/2019. Entre 2010 et 2017, plus de deux tonnes sur cinq de blé français exporté partaient vers l’Algérie, considéré comme le quatrième importateur mondial après l’Egypte, l’Indonésie et les Philippines. Entre 2017 et 2019, la quantité du blé français exportée vers l’Algérie était d’une tonne sur deux. Pour la France, les critères de qualité exigé par l’Algérie pour le blé sont quelque peu avantageux : 0,1 % de graines piqués et un taux de protéine de 11%.
Réduire les importations
Lecureur, maison de négoce française, est convaincue que le blé français n’a pas perdu sa « position » en Algérie. « Le blé français répondra à nouveau présent dès que la disponibilité en grains sera de retour. Et l’Algérie ne se coupera pas de l’origine française, elle n’y a pas intérêt étant donné que le blé français était le plus compétitif l’an dernier, grâce à la proximité géographique entre les deux pays », souligne Lecureur, interrogé par RFI.
Outre la France, l’Algérie a d’autres fournisseurs de blé. Il s’agit du Canada, des Etats Unis et de l’Argentine. En raison des contraintes budgétaires, l’Algérie veut réduire ses importations de blé tendre à 4 millions de tonnes, au lieu des 5 millions de tonnes de la dernière saison. Les soupçons à propos de l’existence d’un immense trafic de blé subventionné ont amené les pouvoirs publics à revoir la politique d’importation des céréales.