Le 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France et a jugé que les appels au boycottage des produits israéliens menés par les militants de la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) étaient un droit citoyen légal et légitime. Le jugement de la Cour européenne qui met fin à une exception française exorbitante, un véritable déni de droit, a été traité de manière minimaliste par les grands médias français. Et pourtant, l’affaire, qui clos une bataille judiciaire de dix ans, est exemplaire d’une action intrusive des politiciens français pour défendre les intérêts d’Israël au détriment du droit. Des militants BDS avait lancé en 2009 et 2010 des actions, pacifiques, de boycott dans un supermarché « Carrefour » en Alsace pour protester contre les crimes du gouvernement israélien qui avait lancé en 2008-2009, une guerre sanglante à la population de Ghaza.
Carrefour avait déposé une plainte avant de la retirer mais des associations du lobby israélien se sont constituées partie civile. En première instance, et conformément aux attentes des juristes, le tribunal correctionnel de Mulhouse avait relaxé, le 15 décembre 2011, les militants BDS. Mais le jugement a été infirmé en appel, le 27 novembre 2013, et les douze militants BDS ont été condamnés chacun à 1 000 euros d’amende avec sursis, et à payer de lourds dommages et intérêts. Les militants étaient passibles ainsi d’un an de prison et de 45.000 euros d’amende.
Cette outrageuse entorse au droit à l’expression a été confortée par la chambre criminelle de la cour de cassation, le 20 octobre 2015. Une jurisprudence attentatoire à la liberté d’expression était ainsi créée en France, fortement impulsée par le pouvoir politique, l’ancienne ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie, ayant émis une circulaire en février 2010 demandant au parquet d’engager des poursuites contre les militants de la campagne BDS, lancée en 2005 par des organisations de la société civile palestinienne. Son successeur à la justice, Michel Mercier, a pris une circulaire similaire en 2015.
Les militants BDS en France se trouvaient ainsi sous menace permanente, il ne leur restait plus que le recours à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour stopper cette dérive liberticide au service d’Israël. Ce qu’ils ont fait en mars 2016. Les juges de la cour européenne ont tranché, de manière unanime, le 11 juin 2020, en donnant raison aux militants BDS et en condamnant la France pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression.
Un « attentat juridique d’une rare violence… contre le boycott »
L’article 10, précise la CEDH «ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général. Par nature, le discours politique est souvent virulent et source de polémiques. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. ».
Les juges de la CEDH soulignent que les propos et actions reprochés aux militants BDS concernent un «un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’Etat d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés » et s’inscrivent dans un « débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale». Cela relève d’un droit légitime à « l’expression politique et militante ».
Le jugement de la Cour européenne met fin à cette exception française liberticide. Le président du syndicat de la magistrature français, Benoist Hurel avait qualifié, en 2010, la circulaire de Michèle Alliot-Marie « d’attentat juridique d’une rare violence contre l’un des moyens les plus anciens et les plus efficaces de la contestation des Etats par les sociétés civiles, à savoir le boycott. »
Me Antoine Comte, avocat du BDS, a souligné que décision de la Cour européenne constituait un « tournant dans une période où, en France, un certain nombre de restrictions à la liberté d’expression ont été apportées. Cela restitue aux citoyens la possibilité de débattre de questions nationales ou internationales et d’en tirer si besoin des appels au boycott ».
La Fédération internationale des droits de l’homme et la Ligue des droits de l’homme françaises ont salué la décision de la CEDH qui met « en évidence que la critique des autorités israéliennes et l’usage de moyens pacifiques pour s’opposer à leur politique ne sauraient être confondus avec une manifestation d’antisémitisme ».
Pour Amnesty International, la décision de la CEDH « établit un important précédent qui devrait empêcher l’utilisation abusive des lois contre la discrimination pour cibler des militant·e·s faisant campagne contre les atteintes aux droits humains commises par Israël contre les Palestinien·ne·s. »