Cinéma: « El tiyara safra » ou quand la fille conteste le choix du père, pleure le frère

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Cinéma: "El tiyara safra" ou quand la fille conteste le choix du père, pleure le frère
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« El tiyara safra » (l’avion jaune), le premier court métrage de Hadjer Sebata, a été projeté, dimanche 4 février 2024, en avant-première, à la salle Ibn Zeydoun, à  l’Office Riad El Feth, à Alger.
L’Histoire se passe en Algérie entre 1956 et 1957. Le pays était alors en pleine guerre de libération nationale contre le colonialisme français. Djamila (Souhila Maalem) apprend la mort de son frère Mustapha (Hichem Abdel Fattah), enrôlé de force dans l’armée française.


Djamila ne croit pas à la thèse avancée par un officier (Laurent Gernigon) sur la mort en embuscade, « sous des tirs ennemis »,  de Mustapha. Elle entame alors une petite enquête auprès de Slimane (Souheib Benzerga), compagnon de Mustapha pour découvrir une vérité terrible. La vérité n’est-elle pas la première victime de la guerre ?


Saïd, le père de Djamila (Sid Ahmed Agoumi) est un agent de sûreté au commissariat de Saint-Eugène (Alger). Il est peiné par la mort de son fils et par l’attitude froide de sa fille à son égard. Le policier défend un certain idéal qui percute la réalité implacable et cruelle du colonialisme. Il est pris par un tardif sentiment de culpabilité et de remords.


Idéal douteux

« El tiyara Safra » aborde justement ce dilemme qui s’est posé aux Algériens qui avaient accepté, forcés ou pas, de collaborer avec la police coloniale française avant et durant la guerre de libération nationale. Le film, d’une quarantaine de minutes, effleure à peine ce sujet délicat.


Il ne s’agit évidemment pas d’élaborer « une thèse » sur un fait ignoré tant par le cinéma que par les recherches académiques en Algérie, mais au moins de dresser le portrait d’un père ayant servi sous les couleurs françaises avec l’idée de « protéger » les personnes, pas de le tuer. C’était essentiel pour comprendre la suite du récit.


Le fils de Saïd, Mustapha, voulait marcher sur ses pas, croyant à cet idéal quelque peu douteux en temps de combat contre des occupants étrangers. Un agent de police coloniale ne peut pas être un « modèle » de respect des droits et de droiture. Il est formé pour « domestiquer » et « mettre au pas » les colonisés, les soumettre à l’ordre de la domination, les humilier. Saïd l’ignorait-il ? On ne connaît presque rien de ses motivations. Le personnage de Saïd reste inconnu.


L’histoire se concentre sur Djamila et sa farouche volonté de vengeance mais la Révolution n’est pas « une histoire personnelle » de revanche. La jeune fille l’apprend presque à ses dépends quand elle est abordée par deux nationalistes algériens (Nacer eddine Djoudi et Imad eddine Sebata). Le rapport fille-père est évoqué mais sans profondeur. Le scénario aurait pu être développé en long métrage pour mieux prendre tous les contours de l’histoire et plonger dans la complexité des personnages.


Entre jaune et vert

Hadjer Sebata a construit sa narration en s’appuyant sur des transitions sonores et visuelles variables pour maintenir, autant que faire se peut, le rythme. Un rythme relancé par le montage alerte du film.  La réalisatrice a eu recours aussi au travelling circulaire pour exprimer les tourments de Djamila prise entre le désir de revanche personnelle et la volonté de passer à une grande cause.


Sur le plan esthétique, les images du film sont partagées entre jaune chaud et vert sale pour suggérer la candeur enfantine de Djamila et Mustapha et le drame de l’âge adulte. Un choix visuel bien rendu par Ahmed Talantikit, le directeur photos.  
Il reste que contrairement à ce qui a été produit comme courts métrages pour la célébration du 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, « El tiyara safra » est plutôt bien mené même si Hadjer Sebata est à sa première réalisation pour le cinéma. Une première réalisation avec ses imperfections, ses hésitations, ses audaces et ses oublis.


L’univers colonial de l’histoire est bien présent et les dialogues réalistes et expressifs. Toute l’émotion est véhiculée par une interprétation intense de Sid Ahmed Agoumi et, à un degré moindre, de Souhila Maalem, jouant le premier rôle pour la première fois de sa carrière professionnelle.


Un avion qui semait la mort…

La réalisatrice a eu recours, à plusieurs reprises, à la technique du flash back sur l’enfance de Djamila et de Mustapha. Un recours qui a parfois surchargé le récit. Hadjer Sebata a pris de l’histoire réelle de El tiyara Sefra juste la symbolique.
Au cours de la guerre de libération nationale, dans la région de Bordj Ghedir, Aicha Laïdaidia  aurait chanté pour son frère Brahim, tué lors d’un bombardement d’un North American T6G, utilisé par l’armée française en Algérie, surtout en zones montagneuses. Les villagois surnommaient cet avion « El tiyara sefra », à cause de sa couleur jaune. Un avion qui semait la mort…


« Tiyara sefra habsi materdbich…si si ya ma matebkich, talaa lejbel ou nmout ou mnroudich » (Avion jaune arrête de bombarder….Tais toi mère, je rejoint le maquis et je ne me rend pas), des paroles transmises de génération en génération pour évoquer la bravoure et rappeler les douleurs de séparation en temps de guerre dans une chanson devenue une pièce du patrimoine culturel populaire algérien. Pour les besoins du court métrage, Amine Dahane a élaboré un arrangement élégant de cette chanson en confiant l’interprétation à Nada Rayhane.


Le film n’est donc pas sur cette histoire mais s’en inspire pour évoquer le rapport frère-soeur qui parfois est plus solide que le rapport fille-père critiqué dans le court métrage, perturbé par les choix contestables du géniteur.
Hadjer Sebata dit avoir élaboré le film en hommage à Djamila Bouhired et à toutes les femmes algériennes qui ont perdu des proches durant l’occupation française de l’Algérie de 132 ans. « Comme Aicha avait perdu son frère Brahim sous les bombardements de l’avion jaune, Djamila a perdu Mustapha, son frère, dans d’autres conditions », a-t-elle dit.


« Une histoire humaine »

Produit par le Centre algérien de développement du cinéma (CADC), le court métrage a été co-écrit par Karim Khedim et Hadjer Sebata, les deux avaient déjà travaillé ensemble en 2007 pour le feuilleton « Ma’wid maa al qadar » (Rendez-vous avec le destin) réalisé par Djaffer Kacem. Hadjer Sebata était assistant-réalisateur dans ce feuilleton diffusé par l’ENTV.


« El tiyara sefra » a été tourné à Alger (Bologhine, Sidi Fredj), à Tipaza (Douaouda et Koléa) et Bordj Bou Arreridj (Afeghou).
Soraya Mouloudji, ministre de la Culture et des Arts, a assisté à l’avant-première du film aux côtés de Kamel Sidi-Saïd, conseiller du président de la République à la Communication. Elle a rappelé qu’une douzaine de courts métrages, entre documentaires et fictions, ont été produits à la faveur de la célébration du 60ème anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale.


« Le court métrage El tiyara Sefra a été réalisé d’une manière professionnelle, d’une grande qualité technique. C’est une histoire humaine qui évoque l’histoire de la perte d’une sœur de son frère. Habituellement, on aborde la perte de la mère de ses enfants ou des enfants de leurs parents », a déclaré Soraya Mouloudji.
Elle a annoncé la préparation d’un programme culturel « complet et dense » dont la production de films en prévision de la célébration du 70ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale, en concertation avec le ministère des Moudjahidines.  


Le film « Larbi Ben M’hidi » bientôt projeté?

Soraya Mouloudji a évoqué  le lancement, à partir de la mi-février 2024, d’un programme de projection de tous les films produits en 2022 et en 2023 et « non présentés encore au public ».
« Les films qui ont été produits et remis sont programmés pour être projetés dont le long métrage « Larbi Ben M’Hidi. Il ne sert à rien de produire des films et de les laisser dans les tiroirs », a-t-elle déclaré.


Réalisé par Bachir Derrais, « Larbi Ben M’hidi » devait être projeté en mars 2023 mais la projection a été reportée à plusieurs reprises. « Cette année, la ministre de la Culture et des Arts a proposé la date du 4 mars 2024, correspondant à l’anniversaire de la mort de Larbi Ben M’hidi pour la projection du film. Cependant, nous n’avons pas encore reçu l’assentiment du ministère des Moudjahidine. Nous sommes actuellement en pourparlers afin de parvenir à un accord, étant donné que le film est le fruit d’une coproduction et non d’une production exclusive du ministère des Moudjahidine. Nous sommes optimistes quant à la possibilité de trouver un terrain d’entente avec eux et espérons que l’événement se réalisera cette fois-ci », a répondu le réalisateur à notre question, envoyée via Messenger. 

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