Cinéma: Le film égyptien « Plumes » explore l’univers de la marge, dénonce la soumission

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Cinéma: Le film égyptien "Plumes" explore l'univers de la marge, dénonce la soumission
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Depuis sa sortie, « Rich » (Plumes) de l’égyptien Omar El Zohairy suscite la polémique. Le film est accusé de montrer « une image dégradante » de l’Egypte.


Ce long métrage a été projeté, mardi 15 mars, à la cinémathèque d’Alger, en ouverture de l’initiative « No means no », organisée en Algérie par Keral Production et Making of films et soutenue par l’ONG danoise IMS (International Media Support).


« Rich » commence par une scène effroyable, celle d’un homme qui s’immole au milieu de nulle part. Ce nulle part est reconduit le long du film où on ne voit pas une rue, une ville, un jardin, un bâtiment. Le gris et le noir sont les couleurs dominantes.  L’histoire se déroule dans un pays-dépotoire où la poussière côtoie la fumée et la saleté bouscule la mocheté comme si les lieux avaient été ravagés par une tornade. Ce décor sombre, déprimant et sans âme s’impose au point de devenir étouffant avec une histoire lente.


Une famille pauvre vit dans ce qui ressemble à un bidonville, à la marge, à côté d’une usine presqu’en ruines. Elle vit dans un temps passé ou présent dans un lieu incertain. Le père autoritaire laisse chaque matin quelques billets à son épouse pour les achats. La mère, qui élève trois enfants en bas âge, passe sa journée à nettoyer la maison aux murs dégarnis, à faire la lessive, la vaisselle, à préparer à manger, à recoudre les vêtements. Bref, une journée ordinaire d’une mère de famille.

Dans la peau d’une poule !


Pour célébrer l’anniversaire de son garçon aîné, le père sollicite les services d’un magicien. Dans un tour de magie, le père est mis dans une boîte en bois et est transformé en poule blanche. En poule, pas en coq !  Faire « revenir » le père est impossible pour le magicien. La vie de la mère bascule alors dans l’inconnu.
La femme n’ayant pas de moyens pour subvenir aux besoins de sa famille doit se débrouiller pour éléver ses enfants même si elle sollicite, presque dans un monde parallèle, la sorcellerie « africaine » pour voir son mari se débarrasser des plumes et redevenir homme.  


La femme soumise, austère et sans sourire, mute en une autre, plus combative, plus offensive. Elle sort explorer le « monde » extérieur, découvre l’attrait maladif des gens pour l’argent, l’égoïsme, le harcèlement sexuel, l’avidité des bourgeois, le mensonge, l’exploitation des plus démunis, l’injustice, la bureaucratie… Bref, le monde d’aujourd’hui dans toute sa laideur. Comment sortir de ce magma sans perdre sans âme ?


Se rapprocher du monde réel


Poussant le réalisme jusqu’au bout, Omar El Zohairy a fait appel à des gens simples pour jouer dans son film.  Damiana Nassar, qui a interprété le rôle de la mère, était femme au foyer dans le village d’Al Barsha dans la haute égypte. Ses gestes dans la cuisine, sa manière de laver la vaisselle ou de donner le biberon à son bébé sont naturels. C’est ce que voulait exactement le cinéaste pour avoir aussi un côté documentaire.


Les personnages du film évoluent avec dédain devant la caméra pour renforcer cette quête et se rapprocher du monde réel, sans maquillage. Le gros travail a été fait au montage pour « élaborer » une histoire cohérente.
Les règles de la scénarisation classique sont cassées et les dialogues minimalistes, sans écriture préalable. Et pour briser l’ennui -inévitable dans ce genre de films- le cinéaste a introduit des petites touches comiques, comme celle d’un singe sautant sur la voiture où se trouve la mère et ses enfants.


Un cinéma contemporain « différent »


La mère, qui baigne dans le silence, est dans le sous-jeu alors qu’elle aurait pu être une « héroïne ». Elle est dans la réaction par rapport à une situation qu’elle n’a pas voulu, habituée à la soumission. Dans ses actes, elle ne fait pas de calcul, tente d’avancer .  « Rich » est évidemment un drame social qui s’abreuve à la source de l’absurde et qui titille la comédie noire.


Omar El Zohairy entend pousser les spectateurs  aux questionnements, à la réflexion et à la concentration. Un exercice épuisant parfois pour un public en quête de spectacle cinématographique.  Le récit paraît décousu mais il faut ouvrir grands les yeux et les oreilles pour se rendre compte qu’elle ne l’est pas.


« Rich » est le premier long métrage d’Omar El Zohairy, 34 ans, qui a été un des assistants du grand réalisateur Yousry Nasrallah. Le cinéaste semble revendiquer « un cinéma différent », un cinéma plus contemporain qui « interroge » sans chercher la perfection.


« Je voulais rester fidèle à la poésie dans l’histoire. Celle d’une personne qui a toutes ces émotions à cause d’une poule. J’ai tout fait pour que ce soit visuellement et émotionnellement poétique sans dire les choses avec exactitude mais en ouvrant des portes… », a-t-il dit dans une interview lors du festival de Cannes.


« La touche » de Cinéfondation


Omar El Zohairy a écrit « Rich » (avec l’aide d’Ahmed Amer) lors de la résidence Cinéfondation qui relève de ce Festival. « La résidence du Festival accueille chaque année à Paris une douzaine de jeunes réalisateurs étrangers qui travaillent sur leur projet de premier ou deuxième long métrage de fiction, en deux sessions d’une durée de quatre mois et demi (du 1er octobre à mi-février et de fin février à mi-juillet) », est-il précisé sur le site du festival.


La touche particulière de « Cinéfondation » est clairement présente dans ce premier film, coproduit par l’égyptien Mohamed Hefzy et la société française Still Moving Production, fondée par Juliette Lepoutre et Pierre Menahem.
Après sa projection au festival d’El Gouna, en Egypte, « Rich » a suscité une vague de critiques. Le long métrage est accusé de « porter atteinte » à l’Egypte et de montrer « une image dégradante et avilissante » du pays des Pyramides. L’équipe du film a rejeté ses accusations parlant d’une œuvre de fiction  » dont l’histoire peut se dérouler n’importe où ».


En 2021, « Rich » a obtenu plusieurs prix dont l’Étoile d’or du festival d’El Gouna, le Tanit d’or et le prix du meilleur scénario aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC) à Tunis et  le prix de la critique au festival de Cannes. 

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