À Constantine, la dinanderie tente de résister à l’épreuve du temps. En cuivre rouge, jaune ou blanc, les objets d’artisanat attirent toujours les clients de toute l’Algérie, mais les artisans se font de plus en plus rares.
Au Remblai du Bardo, quartier de Constantine, le bruit des marteaux en bois frappant les feuilles de cuivre envahit les lieux depuis les premières heures de la matinée. Un bruit qui ressemble à une musique douce pour les artisans, amoureux de la dinanderie.
Ahmed Fercha prépare une feuille de cuivre jaune, mince et légère. « J’ai hérité la boutique de mon père. Mon défunt frère travaillait avec moi. J’ai appris au fur et à mesure le métier et je l’ai aimé au fil du temps », dit-il sans arrêter de travailler. Il reste debout sous le soleil de printemps, redresse ses lunettes et continue la discussion.
« Par le passé, l’Etat importait du cuivre. Le métier se portait plutôt bien. Aujourd’hui, la matière première est fournie par le secteur privé. Les prix ont augmenté. Les citoyens ne peuvent donc pas acquérir des produits de plus en plus chers. Nous sommes obligés de recycler les anciens objets en cuivre. Nous ne voulons pas perdre notre métier », dit-il.
Les plateaux, une spécialité constantinoise
Selon lui, certains artisans ont changé de métier en raison de la faible rentabilité commerciale. « Oui, la dinanderie est menacée », appuie-t-il. Certains produits comme la gs’aa (grand récipient), al mahbas et s’tel (ustensiles de bain) se vendent de moins en moins.
« Les clients demandent surtout les articles en cuivre jaune. Les objets en cuivre blanc (nicklé) sont peu demandés », souligne Ahmed. Dans les boutiques, à côté de l’atelier d’Ahmed, des sni (plateaux) de différentes dimensions, formes et couleurs sont cédés entre 2500 à 45.000 dinars. Les plateaux sont une grande spécialité de la dinanderie constantinoise. Idem pour El Kettar, l’alambic, un récipient qui sert à distiller l’eau de rose et l’eau de fleurs d’orangers (tektar), une tradition qui existe encore à Constantine et à Blida.
Dans les boutiques, on peut trouver aussi le fameux m’rach, un petit récipient qui sert, selon la tradition, à arroser en eau de fleur d’oranger ou en parfum les invités d’une fête de mariage. Il y a aussi la soukria (sucrier), el bekradj (cafetière), le chandelier, etc.
La relève dans la dinanderie n’est pas assurée
Ahmed Fercha explique que la fabrication des objets décoratifs ou utilitaires passent par plusieurs phases. Et chaque artisan a une spécialité : » le teraq, le ghebar et le nekkach ». Il y a celui qui prépare la feuille et la façonne, celui qui la met en forme voulue et celui qui la sculpte. « Je prends cette feuille de cuivre et je la divise en plusieurs cases avant de commencer la sculpture. Il y a plusieurs formes carrées, rondes ou autres. On utilise le makt’a et la dhafra (outils de sculpture) pour faire des dessins. Le terak finalise le travail », détaille Rabah, autre artisan.
Les modèles de dessins sont un héritage partagé au fil des ans. « J’ai mémorisé tous ces motifs, il n’y a pas de feuilles ou de plans. J’utilise le compas pour faire le traçage et la règle », ajoute Rabah.
Pour préparer une sinia (un grand plateau), il faut au moins une heure de travail. « Tous les dessins et les formes sont dans ma mémoire. Je peux parfois créer et changer les motifs comme je l’entends, selon l’inspiration », reprend Salim, assis non loin de Rabah dans un petit atelier.
Et de poursuivre : « J’ai commencé dans ce métier en 1977 comme apprenti. Au fil des ans, j’ai maitrisé toutes les techniques du métier ».
Pour Salim, la relève n’est pas assurée. Les artisans peinent à recruter des jeunes, même la Chambre d’artisanat et des métiers (CAM) de Constantine n’est pas d’un grand secours. « J’ai appris ici avec El Hadj Ali. Et vous voyez qu’ici, il n’y a que de vieux artisans. Les jeunes viennent une semaine ou deux et partent sans revenir. Ils ne sont pas intéressés par ce métier. Ils trouvent que le métier est difficile. Et, ils le comparent aux travaux forcés, ne veulent pas rester toute la journée », explique Rabah, dinandier depuis plus de vingt ans.
Le nombre des artisans en baisse
« J’ai initié plusieurs jeunes à ce métier, mais ils sont tous partis. Ils estiment qu’ils ne gagnent pas assez leur vie », confirme Ahmed, appuyé par Salim qui déclare : « Si nous cessons de faire ce travail, la dinanderie va disparaître à Constantine. J’ai proposé à un jeune homme, 1000 dinars par jours pour apprendre le métier. Il a refusé, trouvant que c’était insuffisant. Ils demandent tous le salaire, ne cherchent même pas comment apprendre le métier. Au début, l’apprenti ne fait qu’aider l’artisan, lui ramène les outils, ne travaille même pas et peut gagner jusqu’à 6000 dinars par semaine. Malgré cela, il refuse. Les jeunes veulent le travail facile ».
Au Bardo, le nombre des artisans est en baisse. A peine, une soixantaine alors qu’ils étaient plus de 200, il y a dix ans. Dans le même quartier, des familles revendent des anciens objets en cuivre rouge ou jaune. La vente se fait au kilo. D’autres les recyclent. « On recoupe ces objets et on les refait avec de nouvelles sculptures et parfois de nouvelles formes », précise Rabah.
Les artisans se plaignent de la cherté de la matière première. « Les feuilles de cuivre sont importées d’Espagne et d’Italie », précise Ahmed. L’approvisionnement se fait à travers des intermédiaires.
Dans le marché mondial, le prix de la tonne de cuivre est en hausse depuis plusieurs mois (9000 dollars en mars 2021). Selon Ahmed, la demande sur les objets en cuivre augmente en été, en raison notamment des fêtes de mariage et de circoncision. « Chez nous, la fille avant de rejoindre le domicile de son mari, doit emporter des objets en cuivre (comme le mahbes). C’est une tradition que nous voulons maintenir », explique une dame, rencontrée dans la boutique de Rabah. Constantine reçoit des clients de toute l’Algérie surtout de Souk Ahras, Annaba, Sétif, Batna, Alger, Tébessa, Skikda, Blida, Oran, Béjaia, Boumerdes…
« Label de qualité »
Dernièrement, le ministère du tourisme, de l’artisanat et du travail familial a préparé des cahiers des charges pour la protection de la dinanderie constantinoise, de la porcelaine de Bider (Tlemcen) et du tapis de Ghardaïa aux fins de leur donner « des marques collectives ». Ainsi, l’appellation sera comme suit : « cuivre de Constantine », « porcelaine de Bider » et « tapis de Ghardaïa ». « La protection des produits de l’artisanat fait l’objet de normes scientifiques et précises, allant de la matière première jusqu’au produit fini, d’où la nécessité de les respecter par l’artisan », a souligné un responsable de ce ministère. En 2019, le projet de « label de qualité » pour la dinanderie constantinoise a été relancé avec l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI). Le projet n’a pas encore été finalisé.
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