Le musée Cirta de Constantine est le plus grand d’Afrique après le musée égyptien. Visite dans ce haut lieu d’histoire.
En 1852, la Société archéologique de Constantine fut créée après des découvertes intéressantes dans la région de l’Est algérien. Son local, situé Place des Chameaux, ne pouvait plus contenir les fruits des fouilles menées dans le constantinois. L’idée était née alors de créer un musée.
Une nécropole numido-punique de Koudiat Aty fut choisie pour être le lieu d’implantation du musée, construit sous la forme d’une villa gréco-romaine avec un jardin d’intérieur, d’après un plan conçu par l’architecte italien Castelet. Il s’étend sur une surface de 2.100 m² dont 900 m² pour le jardin.
7000 pièces conservées au musée Cirta
Gustave Mercier, avocat, secrétaire général de la Société archéologique et fils de l’ancien maire de Constantine Ernest Mercier, donne son nom à ce musée à son ouverture le 15 avril 1931. Ce n’est que le 5 juillet 1975 que le musée fut débaptisé pour porter le nom de Cirta et devenir « musée national » onze ans plus tard.
« Le musée contient 7000 pièces exposées dans les 14 salles. Toutes les époques y sont représentées: préhistoire, numide, punique, romaine, vandale, islamique, moderne et contemporaine », précise Abdelhak Chaïbi, conservateur du musée.
Les objets d’antiquité, les pièces ethnographiques et les tableaux sont exposés, selon un ordre chronologique, dans des salles rectangulaires. Le visiteur traverse la riche et profonde histoire de l’Algérie, un pays qui n’est pas né après la colonisation française.
Les objets mortuaires de Massinissa
Dans la salle de Massinissa, premier roi de la Numidie, le visiteur découvre quelques objets mortuaires qui étaient dans le tombeau, détruit partiellement par les séismes. « En 1915, les français avaient ouvert le tombeau et sont entrés dans la salle mortuaire pour extraire des outils déposés à côté du squelette. Il s’agit d’une épée brisée, des têtes de lance, un casque, un bouclier, un récipient en argent et des médailles. Ces outils avaient été recollés dans le cadre d’une coopération algéro-allemande », indique Abdelhak Chaïbi.
« A l’époque numide, les cadavres étaient brûlés avant d’être enterrés. Après une analyse carbonique (C14) en Allemagne en 1979, nous avons pu avoir l’âge de la personne enterré entre 50 à 55 ans », ajoute-t-il
Il rappelle qu’avant l’arrivée des romains en Afrique du Nord, les numides avaient une civilisation bien installée. « Nos ancêtres numides nous ont laissé des ustensiles de cuisine, des lanternes d’huile, des récipients d’huile pour les massages au bain… », dit-il soulignant l’apparition de la monnaie à l’époque numide.
Les anciens constantinois parlaient le libyque et le phénicien
Abdelhak Chaïbi parle également d’un sarcophage découvert à Constantine remontant au II ème siècle avant Jésus-Christ (à l’époque du roi Massinissa). « Les pièces tombales étaient écrites en libyque, en grec, en phénicien, en latin. C’est la preuve que dans les anciens temps, les habitants de Constantine utilisaient toutes ces langues », dit-il.
Dans le Musée Cirta, comme d’ailleurs ceux de Cherchell, de Tipaza ou de Timgad, on retouve des objets de l’époque romaine comme les outils de maquillage, les aiguilles, les peignes fabriquées d’os, les bâtonnet de khôl (fard noir), les ceintures, les coliers, les cerceaux, les boulces d’oreille et des statuts en bronze de déesses.
A Oued Athmania, à Constantine, des mosaïques romaines des fameux bains de Pompeianus ont été découvertes vers 1872. Une partie est exposée au Musée Cirta. Idem pour une autre mosaïque représentant la Vénus marine découverte à Khenchela. Des poteries de Tidis sont également visibles au Musée. Ces poteries, célèbres par leurs styles et leurs formes, étaient exportées vers l’Europe.
Tiddis, la ville fortifiée
Tiddis ou Castellum Tidditanorum, située à une trentaine de km au nord de Constantine, était une ville numide occupée par les romains. Selon les historiens, Tiddis, construite sur un site rocheux, remonte à la préhistoire. Des dolmens et des bazinas y avaient été découverts prouvant cette thèse.
A l’époque romaine, Tiddis faisait partie des castella, sorte de poste avancé ou ville fortifiée pour protéger Constantine. Une ville, détruite partiellement par les habitants en furie contre Rome vers 311, puis reconstruite par Constantin 1er, 34ème empereur romain, premier maître de Rome à s’être convertie au christianisme.
« Si la ville n’était pas belle, Constantin 1er ne lui aurait pas donné son nom. À l’époque, Constantine était une ville universelle, autant que Rome. Il suffit de continuer les recherches et les fouilles archéologiques pour le confirmer », souligne Abdelhak Chaïbi.
Constantin 1er avait donné son nom à Constantinople, actuel Istanbul, capitale de l’Empire romain d’Orient. Le nom de Constantine a été déformé par les français car le vrai nom d’origine numide est Kirthen ou Kirtha en punique et non pas Cirta.
Une Brèche dans les remparts de Constantine
Un modèle réduit de la ville de Constantine à l’époque Ottomane est présenté au visiteur. La ville avait beaucoup prospéré à l’époque d’Ahmed Bey, dernier Bey de Constantine, qui a notamment construit le fameux Palais, devenu siège du Musée national des arts et expressions culturelles traditionnelles. Constantine ne fut conquise par les français qu’en novembre 1837, sept ans après l’occupation d’Alger.
« Dans leur tentative d’occuper la ville, les soldats français avaient compris que Constantine ne pouvait être envahie que par une seule porte, l’endroit le plus vulnérable. Ils avaient installé quatre canons à Coudiat Aty pour bombarder les remparts afin d’ouvrir une brèche, aidés par certains traîtres locaux. Ensuite, ils avaient construit des bâtisses hautes pour cacher l’ancienne ville. D’en haut, on ne voyait que les constructions françaises. Ils voulaient effacer les traces ottomanes », indique Abdelhak Chaïbi.
Les ponts, une longue histoire
Dans le modèle, les ponts de Constantine, qui ont une longue histoire à raconter aussi, sont bien visibles. Il y a d’abord le pont Bab El Qantara construit à l’époque romaine, puis reconstruit plus haut par les ottomans en 1793 à l’époque de Salah Bey. Les français ont construit un autre pont plus haut encore vers 1863. Le pont de Sidi M’cid a été construit en 1912. Il y aussi les ponts des chelalat, de Melah Slimane, de Sidi Rached et du diable. Son nom vient du fait que le bruit produit par l’écoulement de l’eau dans des trous étaient assimilés à ceux des diables ou des djinn.
Dans une autre pièce du Musée, le visiteur se retrouve face aux richesses de la dynastie hammadite et la fameuse tour de Taguerboust de Maadid (M’Sila). Une tour construite en 1007, bien avant la tour de Pise en Italie, et tombée vers 1154, à l’époque médiévale. Il y aussi des objets tels que des lanternes, des bijoux, et des plats.
Les pièces de monnaie carrées des Almohades
Un espace est réservé uniquement à la monnaie des époques almohade, mérinides, hafsides, ottomanes et fatimides. Les pièces de monnaie carrées des Almohades (1125-1248) suscitent la curiosité. Mohammed Ibe Toumert, fondateur de cette dynastie, avait ordonné la fabrication du dirham en argent en forme carrée. Forme originale à l’époque. Des instruments de fabrication de la monnaie y sont également exposés.
Autre curiosité du Musée Cirta : un astrolabe en cuivre de l’époque hafside qui précise les heures de prières offert par la famille Bachtarzi. Un outil similaire existe à Tlemcen. Il y a aussi la statue en marbre blanc d’Annia Faustina, épouse de l’empereur romain d’Antonin le Pieux (138-161), découverte à Djemila (Sétif).
Le plus ancien tableau conservé en Algérie
Dans la section des beaux-arts, le Musée Cirta expose 26 tableaux sur les 406 qu’il possède. Tous les tableaux sont des originaux, certains offerts par des orientalistes espagnols, italiens et français. Il n’existe aucune copie.
« Le tableau le plus ancien conservé en Algérie est ici. Il date de 1600. Il s’agit de « nature morte » d’un artiste français », indique Abdelhak Chaïbi. Le Musée Cirta conserve des oeuvres d’Etienne Dinet comme « La voyante », de Gabriel Ferrier, « Les Fumeurs de Kif », Roger Debat, « Place animée en Orient », Émile Gaudissard, « La bonté », Gustave Guillaumet, « Village du Sud », Maxime Horlin, « Le Chemin des Touristes », Alfred Chataud, « Mauresque de la Rue Sidi Abdellah », Henri Pierre Dubois, « Chanteur du Café Maure » ainsi que des toiles d’Eugène Fromentin, d’Émile Aubry, de François Fauck et d’Antoine Gadan. Des peintures réalisées entre le XVIIe et le XXe siècle.
Des oeuvres de peintres algériens sont également exposées ou conservées au Musée Cirta comme M’Hamed Issiakhem, Sadek Amine Khodja, Amar Allalouche, Mohamed Temmam, Bachir Yellès, Nadir Chiboub, Mohamed Bachir Bouchriha, Rachid Benachour, Azouaou Mammeri et Nour Eddine Filali. Le plasticien Mustapha Adane a offert plusieurs de ses sculptures en émail sur cuivre au Musée.
« Nous conservons des pièces d’autres musées et qui ont été pillées dont un tableau d’Etienne Dinet, volé à Boussaâda, puis récupéré », indique le conservateur du musée. Il évoque les mesures de sécurité strictes existant au sein de l’établissement. « C’est le système de sécurité d’une banque », dit-il.
Le nombre de visiteurs du musée est en augmentation ces dernières années passant de 5000 en 2015 à 13.000 en 2018. « Le nombre des visiteurs a baissé en raison de la pandémie de Covid 19, mais ces derniers mois, l’affluence a repris, surtout en période de vacances scolaires », précise le conservateur.