Constitution, le président de la république: incarnation ou représentation?

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L’Article. 84 de la Constitution devenu article 88 dans le projet de révision de mai 2020 contient ces deux alinéas :

« 1. Le Président de la République, Chef de l’Etat, incarne l’unité de la Nation…

3. Il incarne l’Etat dans le pays et à l’étranger. »

Les rédacteurs des constitutions recourent à l’usage du verbe « incarner ». La répétition dans le texte et dans les différentes constitutions attestent d’une volonté délibérée d’user de ce mot. Selon l’article 85 de la Constitution, devenu 89 dans le projet, le Président de la République algérienne est élu au suffrage universel direct et secret. Il serait légitime de parler de représentation. L’élection détermine un mandat de 5 ans. La relation qui en découle est celle de mandataire, le Président, à mandants, les électeurs. Il serait aussi légitime de s’interroger sur le choix de l’incarnation au lieu de la représentation.

L’incarnation-représentation

Comme abordé dans l’article « Constitution, l’Algérien citoyen ou sujet » (lire), l’incarnation est la manifestation durable d’une abstraction, d’une idée, de sentiments, dans une personne humaine. La reconnaissance de cette incarnation par des électeurs ou des militants confère la qualité de symbole à une personnalité politique ou religieuse. Il s’en suit une représentation reconnue confirmée ou non par des élections. Il est alors question d’incarnation-représentation.

Les chefs charismatiques en sont une illustration connue. Dans l’histoire de l’Algérie contemporaine, les exemples ne manquent pas. Messali Hadj a été pendant longtemps le symbole de la revendication d’indépendance nationale de l’Algérie. Les militants du PPA-MTLD le portaient régulièrement à la tête de leur parti. Ait Ahmed est un autre exemple. Il a dirigé le FFS pendant plus de 40 ans. Son passé patriotique remarquable et son origine familiale maraboutique lui ont conféré en Kabylie et au delà une aura qui lui a permis de diriger son parti dans la longue durée et dans la diversité des épreuves. Cette incarnation-représentation n’est pas opposable à la représentation-élections dans la mesure où la qualité de symbole acquise par ces personnalités ne relève pas d’un décret, d’une décision administrative ou d’une disposition constitutionnelle.

Elle est le produit d’une vie, d’activités, de prises de position et de réflexions qui ont conquis l’opinion de nombreux citoyens. Et c’est tout naturellement qu’elle aboutit à la représentation-élections qui concilie la représentation symbolique avec la représentation démocratique.

Les partisans de ces personnalités charismatiques avancent souvent l’idée que leur leader est leur représentant non pas parce qu’il a été élu mais qu’il a été élu parce qu’il symbolisait leurs sentiments. Cette inversion mentale du processus de représentation montre la force de l’incarnation-représentation dans la vie politique.

Un exemple historique lié à notre guerre de libération le confirme. En avril 1961, à Alger, les généraux français fomentent un putsch contre le général de Gaulle alors Président de la république. Ils l’accusent de faire des concessions politiques exagérées au GPRA alors que les maquis de l’ALN sont affaiblis et réduits suite aux différentes opérations militaires menées avec succès. Pour juguler cette insurrection dirigée par un « quarteron de généraux à la retraite», de Gaulle s’est certes prévalu de ses pouvoirs constitutionnels. Il n’a pas manqué cependant de rappeler « l’appel du 18 juin 1940 » qu’il avait lancé de Londres pour organiser la résistance à l’occupation allemande. L’incarnation-représentation vient en appui de la représentation démocratique. Elle s’appuie sur un partage de sentiments et d’épreuves qui appartiennent aux legs historiques constitutifs d’une Nation. Mais cette incarnation-représentation ne remplace pas la représentation démocratique définie constitutionnellement.

La démocratie représentative

La démocratie représentative se fonde sur un rapport entre le mandataire, le Président élu, et les mandants, les électeurs. Ce dernier rapport induit un contrôle des électeurs en fonction du mandat qu’ils lui ont confié. Tout au long du mandat du Président de la république, l’action de ce dernier est soumise à l’appréciation, à la critique des citoyens.

Le Président est investi d’une fonction de représentation à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Cette fonction de représentation fait l’objet de soutien, de réserves, de critiques et même de désapprobations. C’est la vie démocratique. L’argument éculé « il faut présenter un point de vue uni face à l’étranger » n’est pas opposable aux citoyens. Ni « la politique étrangère est du ressort exclusif du Président de la république ».

Ces arguments tendent à instaurer un monopole de la pensée contraire à toute vie démocratique caractérisée par le pluralisme politique et donc par la diversité d’opinions sur toutes les questions nationales et sur les rapports avec les autres Nations. C’est ce que nous montrent quotidiennement les Etats démocratiques.

Le mouvement d’adhésion à la politique étrangère du Président de la république ne peut être que volontaire, basée sur la conviction qu’elle est conforme à la conception que se fait chacun de l’intérêt du pays. Elle ne doit pas subir les accusations d’un autre temps de « collusion avec l’étranger », « d’espionnage » et « de faire le jeu de puissances ennemies » avec les facilités propagandistes propres aux pouvoirs autoritaires. La liberté d’opinion et son corollaire, la liberté d’expression et de la presse sont au contraire les garants d’une juste définition de la politique étrangère du pays. Que le Président de la république arrive à exprimer les sentiments des citoyens et susciter leur soutien volontaire relève d’un mérite qui ne se décrète pas.

Un mythe de l’idéologie nationaliste

Quand l’article 88 de la révision constitutionnelle attribue au Président de la république la qualité d’incarnation de « l’unité de la Nation », il introduit un nouveau rapport. Ce n’est plus un rapport entre l’élu et ses électeurs. L’unité de la Nation est une notion idéologique.

Elle ne se confond pas avec l’intégrité territoriale, la protection des frontières physiquement identifiables. La Nation se rapporte à la population, à des personnes humaines unies par le territoire, les souvenirs historiques partagées et la volonté de vivre ensemble. Ces conditions ont été réunies le 05 juillet 1962, date de la proclamation de l’indépendance de l’Algérie. Mais pour autant, aucune Algérienne, aucun Algérien ne renonce à ce qui fait l’essence de la personne humaine, ses libertés naturelles et imprescriptibles. Chacun garde sa faculté de penser, de choisir et d’agir selon ses convictions.

Il ne peut être question d’unité de pensée. La diversité des opinions au sein d’une Nation n’est pas un signe de division. C’est un signe de dynamisme et de vitalité qui dans le débat contradictoire permet la créativité et l’innovation. Les Algériens ne peuvent être contraints d’aligner leur appréciation des événements historiques sur un modèle idéologique dicté par le pouvoir, une histoire officielle purifiée et embellie par des légendes. La quête de la vérité historique continuera de guider les anciennes et les nouvelles générations sans monopole de la pensée. L’unité de la Nation est un mythe de l’idéologie nationaliste. Par l’usage de cette conception monolithique, les nationalistes algériens ont cru servir le combat libérateur.

Malheureusement, cette conception erronée a servi de justification à des crimes dont Abane Ramdane est la victime emblématique. Aujourd’hui, le code pénal algérien soutient l’accusation « d’atteinte à l’unité nationale » et justifie la répression arbitraire contre les citoyens. Il est temps de remettre les pendules à l’heure. La Nation existe par les individus qui la composent. Elle sera configurée par les opinions et les actions des Algériennes et les Algériens. Elle sera le résultat de leur libre disposition. Aucune personne ne peut incarner cette Nation riche de sa diversité. Aucune personne ne peut incarner une illusoire unité de pensée. La seule incarnation possible de la Nation, c’est la totalité des Algériennes et des Algériens.

L’Etat ne peut être également incarné par une personne. Le Président de la république est le chef du pouvoir exécutif. En cette qualité il peut représenter l’Etat dans le pays et à l’étranger. C’est un attribut de la fonction exécutive. C’est une fonction gouvernementale. L’article 15 de la Constitution introduit la séparation des pouvoirs.

Le Président de la république n’est pas le chef du pouvoir législatif, ni du pouvoir judiciaire. Il dirige au cours de son mandat de 5 ans la politique du pays. Il accomplit évidemment une fonction de représentation notamment à l’étranger. Cette représentation reste soumise à l’appréciation des citoyens, des électeurs, qui s’expriment à travers le parlement, les partis politiques, les associations ou directement par leur droit de manifester.

L’idée d’incarnation a une origine théologique. En religion, elle assure une fonction de liaison entre le ciel et la terre. En politique, tout est terrestre. Il faut abandonner cette idée d’incarnation et attribuer au Président de la république cette fonction bien humaine de représentation. Libre à lui de gagner du charisme par sa réflexion et son activité.

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