L’historien Benjamin Stora a remis ce mercredi son rapport sur la colonisation et la guerre d’indépendance algérienne, des éléments ont filtré dans la presse française sur une série de préconisations, certaines relevant du bon sens et peuvent faire avancer les choses. Il reste que c’est le point de vue d’un historien français qui tente de répondre essentiellement à un souci d’apaisement en France où les «mémoires » sur l’Algérie sont divergentes. Dans cette entreprise, le directeur des archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, a été chargé officiellement par le président de travailler de «concert» avec Benjamin Stora.
A ce jour, nous ne savons pas, en Algérie, si ce travail «concerté» a bien eu lieu. Pas plus si Abdelmadjid Chikhi va, comme l’a fait Stora avec le président Emmanuel Macron, a soumis un rapport contenant des propositions au président Abdelmadjid Tebboune. Le travail de Benjamin Stora, mené dans une relative discrétion, fait aujourd’hui l’objet d’une communication intensive. Les articles de la presse françaises donnent des détails assez nombreux sur les préconisations de Benjamin Stora.
Le Monde évoque notamment la “publication d’un «guide des disparus” (algériens et français) de la guerre ; de poursuivre le travail conjoint sur “les lieux des essais nucléaires” français au Sahara (réalisés entre 1960 et 1966) et “leurs conséquences” ; et de restituer à Alger « certains originaux [non précisés] d’archives » une fois dressé l’inventaire des fonds disponibles dans les deux pays” Il suggère également la reconnaissance de l’assassinat de Me Ali Boumendjel lors de la bataille d’Alger qui serait, selon le Monde “le pendant algérien du geste déjà effectué en 2018 par M. Macron à propos du mathématicien Maurice Audin, disparu entre les mains de l’armée française.
L’effort de communication du côté français va se poursuivre sans aucun doute, le président Emmanuel Macron se donnant l’ambition, selon la mission confiée à Stora, de prendre des gestes qui contribuent “à l’apaisement et à la sérénité de ceux que [la guerre d’Algérie] a meurtris, (…) tant en France qu’en Algérie ».
Des excuses ou une reconnaissance des faits?
Qu’en sera-t-il côté algérien? Force est de constater que la communication n’est même pas minimaliste, elle est inexistante. D’abord, il faut souligner que du coté français, il n’a jamais été question d’un travail « en commun » entre Benjamin Stora et Abdelmadjid Chikhi. Des responsables français cités par le Monde évoquent de manière diplomatique un « malentendu » véhiculé dans la presse algérienne, au sujet du travail de l’historien Benjamin Stora. La presse algérienne aurait ainsi assimilé l’historien « à un officiel français ou un porte-parole du président de la République, dont les intentions précises demeurent pourtant encore inconnues ». De même, ajoute le Monde, la presse algérienne « a eu tendance, çà et là, à assimiler la mission confiée à M.Stora à celle qui revient à Abdelmadjid Chikhi, inamovible directeur des Archives nationales et conseiller « mémoire » du président Tebboune. Or, il n’est nullement question de binôme, souligne l’Elysée. ».
C’est quasiment une « mise au point » à destination de la presse algérienne qui a eu, effectivement, tendance, en se basant sur la mission qui lui a été confiée par le président Tebboune, à prêter à Chikhi une mission commune avec Stora. De fait le rapport de ce dernier qui circule à grande échelle est très clairement un travail d’un historien français destiné au chef de l’Etat français.
La question se pose dès lors sur la nature de la mission confiée à Abdelmadjid Chikhi? Alors que la France avance sur ces questions, en Algérie, on ne semble même pas encore avoir tranché sur l’ambivalence du discours officiel au sujet de l’exigence “d’excuses” qui est loin de faire l’unanimité.
En 2007, un appel d’historiens algériens et français, soutenus par de nombreuses personnalités, dont Hocine Aït Ahmed, Sadek Hadjeres ou Ali Yahia Abdennour soulignait que le dépassement du “contentieux franco-algérien implique une décision politique, qui ne peut relever du terme religieux de « repentance ». Et des « excuses officielles » seraient dérisoires. Nous demandons donc aux plus hautes autorités de la République française de reconnaître publiquement l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie. Une reconnaissance nécessaire pour faire advenir une ère d’échanges et de dialogue entre les deux rives, et, au-delà, entre la France et les nations indépendantes issues de son ancien empire colonial.”
L’appel était très pédagogique et appelait à éviter les écueils de la « repentance » et des « excuses » tout en refusant de tomber dans le piège de l’occultation. C’était une piste. Mais la communication algérienne est singulièrement lacunaire alors que le rapport Stora fait l’objet d’une diffusion intense.
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