La candidate d’opposition à la présidentielle du Bélarus a appelé vendredi à des manifestations « de masse » durant le week-end tandis que les débrayages d’usines se multipliaient, signe d’une contestation croissante contre le président Loukachenko malgré une brutale répression.
Parallèlement, l’UE devait débattre dans la journée de sanctions contre Minsk pour des violations de droits humains, à l’heure où affluent les témoignages de tortures infligées aux manifestants détenus.
L’opposante Svetlana Tikhanovskaïa, qui s’est réfugiée en Lituanie en début de semaine, s’est exprimé pour la première fois depuis mardi pour appeler, dans une vidéo en ligne, les municipalités à rejoindre la contestation.
« Je demande à tous les maires de se faire les organisateurs les 15 et 16 août de rassemblements pacifiques de masse dans chaque ville », a-t-elle dit.
Jugeant la situation « critique », elle accuse le pouvoir bélarusse de « massacre », tout en l’appelant au dialogue. « Plus jamais les Bélarusses ne voudront vivre sous » le régime d’Alexandre Loukachenko, a-t-elle martelé, revendiquant de nouveau la victoire à la présidentielle du 9 août.
Vendredi, les débrayages dans les usines et chaînes humaines pacifiques se sont répandus comme la veille dans tout le pays pour dénoncer la brutalité de la police et les fraudes électorales.
A Minsk, des centaines d’ouvriers sont sortis des ateliers des usines de tracteurs (MTZ) et de camions et autobus (MAZ) pour dénoncer la répression policière et les fraudes électorales.
M. Loukachenko avait précédemment mis en garde contre de telles actions, du « pain béni pour la concurrence » étrangère.
Depuis jeudi, confrontées à des milliers de personnes vêtues de blanc, tenant des fleurs et formant des chaînes humaines, les autorités bélarusses ont donné des signes de recul.
Tabassés, brûlés, électrocutés
Les forces anti-émeutes n’ont pas dispersé ces derniers rassemblements à coups de matraques et d’armes anti-émeutes, contrairement aux manifestations des nuits précédentes.
Les autorités ont aussi annoncé la libération de plus de 2.000 des 6.700 personnes arrêtées depuis dimanche.
Ceux interrogés par l’AFP ont raconté des conditions de détention atroces. Privés d’eau, de nourriture et de sommeil, tabassés ou brûlés aux cigarettes, ils étaient en outre incarcérés par dizaines dans des cellules prévues pour quatre ou six.
« Mon dos est couvert de bleus après des coups de matraque », raconte Maxim Dovjenko, 25 ans, assurant avoir été arrêté et tabassé alors même qu’il n’avait pas participé aux manifestations.
Mikhaïl Tchernenkov, entrepreneur de 43 ans, montre ses fesses entièrement bleues. Il dit avoir été électrocuté et matraqué.
Dans un communiqué, l’ONG Amnesty International a rapporté des cas de manifestants « mis à nu, battus et menacés de viol ».
A la prison d’Okrestina, à Minsk, les libérations ont donné lieu à de poignantes scènes de retrouvailles, alors qu’au moins 500 proches de détenus attendaient devant les murs du pénitencier.
Depuis dimanche soir, le Bélarus est le théâtre d’une vague de protestation d’une ampleur inédite contre la réélection de M. Loukachenko, au pouvoir depuis 26 ans dans cette ex-république soviétique.
Les protestations contre sa victoire — officiellement avec 80% des voix — ont été violemment réprimées par les forces anti-émeutes, faisant deux morts et un nombre élevé mais inconnu de blessés.
Svetlana Tikhanovskaïa, créditée de 10% des voix, avait dénoncé des fraudes massives et demandé à M. Loukachenko de « céder » la place.
Cette novice en politique, professeur d’anglais de formation et mère au foyer, a mobilisé des foules à la surprise générale. Selon ses partisans, elle a quitté le Bélarus après avoir subi des menaces du pouvoir.
Son mari, qu’elle a remplacé au pied levé dans la course à la présidence, est emprisonné depuis mai.
Malgré la répression, le pouvoir n’est pas parvenu à juguler la contestation, avec des foules participant à d’innombrables chaînes humaines partout dans le pays.
Sanctions européennes
La contestation a aussi gagné une partie de l’élite.
Des journalistes de médias d’Etat ont démissionné, plus de 1.000 chercheurs ont signé vendredi une lettre « contre la violence », l’Association des vendeurs de voitures a appelé « à libérer tous les manifestants détenus » et le lobby des hommes d’affaires russo-bélarusses a lui appelé à un dialogue « d’égal à égal » de la société civile et de l’opposition avec le pouvoir.
Une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE doit par ailleurs avoir lieu vendredi pour débattre d’éventuelles sanctions contre le pouvoir bélarusse.
Tout comme l’Allemagne, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’y est dit favorable, dénonçant des violations des « valeurs démocratiques et (aux) droits humains ».
Le ministre bélarusse des Affaires étrangères, Vladimir Makeï, a assuré lui que son pays était disposé à « un dialogue constructif et objectif avec ses partenaires étrangers sur toutes les questions liées au déroulement des évènements au Bélarus ».
Le pouvoir bélarusse a reçu le soutien de Moscou qui a dénoncé jeudi « des tentatives claires d’ingérence étrangère visant à diviser la société et déstabiliser la situation ».
Alexandre Loukachenko, 65 ans, n’a jamais laissé aucune opposition s’ancrer. La précédente vague de contestation, en 2010, avait été sévèrement réprimée.