Il n’existe pas d’art dans le monde qui ne soit le résultat d’emprunts, de métissage, de douleurs individuelles que l’histoire collective nous impose. La force de l’artiste est de transformer ce magma en oeuvre où chacun, chacune, peut se reconnaitre et Daïffa en est l’illustration .
Daiffa, artiste engagée, féministe est née dans une oasis du sud algérien à El Menia (anciennement Goléa). Elle a grandi dans un milieu conservateur, où la tradition à souvent pris le pas sur la religion. Elle a commencé trés tôt à observer la société qui l’entourait et à croquer les personnages qui la peuplait en mettant l’accent sur les femmes .
Son entourage observe alors d’un mauvais œil ses « crayonnages » qu’il considère comme une perte de temps. Daiffa finira par se plier au sort réservé aux filles de sa famille . Le goût du trait et de la couleur reviendra des années plus tard.
Le refus de la frustration la poussera à se remettre au dessin et à l’écriture, et toujours à l’insu de ses proches. Cette résistance à l’injonction patriarcale la fera s’inscrire pour passer des examens en cachette.
Cela lui permettra, des années plus tard, de travailler en tant qu’enseignante, puis à collaborer, dans divers journaux de presse écrite algériens, comme rédactrice et enfin comme dessinatrice de presse . Elle s’exilera en France en 1995.
L’artiste se confiait lors d’une exposition en France : « plusieurs de mes tableaux, je ne pourrais pas les exposer en Algérie à cause du sein nu d’une femme qui se maquille, seule dans sa chambre. D’un corps qui se révèle à travers la transparence d’une nuisette, comme les portent les Algériennes lorsqu’elles sont au hammam (où elles ne sont donc pas complètement nues, comme le fantasment les Occidentaux depuis les tableaux d’Ingres et consorts !). Ou à cause, bien sûr, du corps totalement nu d’une « Eve » qui cache sa pudeur d’une seule feuille de vigne, debout sur un sol jonché de pommes rouges…
Aujourd’hui elle est une habituée du Salon des Dessinatrices Arabes et du Festival International de la Bande Dessinée d’Alger .
Ses dessins témoignent de la vitalité de la lutte des femmes en Algérie et d’un humour féroce, dans les circonstances difficiles de la Décennie noire et une amie me rappelait récemment les dessins corrosifs qu’elle faisait à l’époque pour l’abrogation du Code de la famille et je garde en souvenir l’agenda illustré publié par Lamalife en 1991.
Ses dessins traitent en grande partie, de la condition de la femme algérienne. Elle a publié en 1994 un album, L’Algérie des femmes.
Son style entre Racim, Baya, Mesli, Matisse ou Saladi, Daïffa nous invite à son univers féminin où les corps s’invitent . Aucune couleur tiède , tout est lumineux, puissant .
A propos du tableau mis en illustration dans cet article, Daïffa raconte sa gènése « ce tableau m’a été inspiré par un vieux conte saharien qui racontait l’histoire d’une jeune fille, aussi belle de l’extérieur que mauvaise de l’intérieur au point qu’on la surnommait “ Hdeija” ( petite coloquinte amère) Voyant que tout le monde la détestait et qu’aucun prétendant ne se présentait devant sa porte, alors qu’autour d’elle toutes ses camarades, de la plus banale à la plus laide, trouvaient à se caser, elle décida d’aller consulter une vieille “ settouta” ( sorcière) . Cette dernière ne mit pas longtemps à comprendre que sa langue était “ une torche en flammes” qui brûlait tous ceux qui l’approchaient et ses yeux des “ fusils qui ouvraient le feu » sur tout ce qui bougeait. Elle lui confia des perles à enfiler. La jeune fille s’attela à la tâche mais chaque fois qu’elle enfilait une perle, une autre glissait en bas de la ficelle, si bien qu’elle n’arrivait jamais à aller jusqu’au bout…. »