Dalila Nadjem : «Nous demandons que les bibliothèques fassent des acquisitions de livres édités en Algérie»

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Dalila Nadjem : «Nous demandons que les bibliothèques fassent des acquisitions de livres édités en Algérie»
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Dalila Nadjem est directrice des éditions Dalimen. Elle est également propriétaire de la librairie « Point virgule » à Chéraga, à Alger. Dans cet entretien avec 24H Algérie, elle évoque les difficultés de l’edition et les tentatives acharnées pour redresser la barre.

Quelle est l’ampleur des pertes pour les éditions Dalimen après des mois d’arrêt d’activités et après l’annulation de la tenue du Salon international du livre d’Alger (SILA) qui, habituellement, est organisé fin octobre-début novembre de chaque année ?

Pour ne pas utiliser le mot catastrophique, la situation chez Dalimen est désolante. Après tant d’années d’activités, on se retrouve, depuis 2019, dans une situation où on ne sait plus ce qu’on va faire. C’est un métier que nous faisons avec passion. Beaucoup d’argent est également investi. Peu de personnes comprennent qu’être éditeur, c’est d’abord être un investisseur et un producteur. Nous nous retrouvons avec des stocks importants d’invendus parce qu’il n’y a plus d’acquisitions par les institutions. En 2019, la situation était déjà alarmante par rapport à la situation sociale et politique. Et aujourd’hui, une situation sanitaire nous oblige à rester évasifs face à une incompréhension. On ne sait plus comment réagir. Il n’y a eu aucune écoute, aucune assistance, aucun respect par rapport au métier que nous exerçons. Je sais que toutes les activités ont été touchées, chacune a ses problèmes. Des propositions devraient être faites pour chaque situation ne serait-ce que pour maintenir l’activité en vie, maintenir les emplois et, surtout, sauver la culture. Un pays sans culture est un pays mort.

Comment justement essayez-vous de maintenir votre activité éditoriale?

Nous gardons espoir et nous attendons des réactions. Des activités culturelles ont été organisées depuis la rentrée mais nous n’avons pas été informés en tant qu’éditeurs. Nous avons été totalement mis à l’écart comme si l’effort éditorial fait ces vingt dernières années n’a pas d’importance, n’est pas à calculer. Depuis la fin des années 1990, plusieurs maisons d’édition algérienne ont apporté un nouveau souffle au secteur du livre, facilité l’émergence de nouveaux talents dans l’écriture et d’une nouvelle génération d’auteurs dont la réputation traverse aujourd’hui les frontières. Des maisons d’édition qui ont fait un grand travail pour l’amélioration de la qualité des livres. Et, aujourd’hui, nous sommes là, en attente. On espérait la tenue du SILA. Il n’aura pas lieu. On souhaitait qu’il soit remplacé par une autre activité en compensation, qu’on fasse appel à nous pour faire des propositions…Nous sommes des entreprises indépendantes qui créent des emplois, de la richesse culturelle. Nous avons l’impression de ne servir à rien.

N’avez-vous pas été contacté par le ministère de la Culture ?

Non. Nous aurions aimé qu’ils nous écoutent, qu’il y ait des discussions pour savoir ce qu’on peut faire ensemble et ce qu’on peut trouver comme solutions. Nous essayons de maintenir la maison d’édition et la librairie. Nous travaillons sur le prix Yamina Mechakra (romancière décédée en 2013) en créant l’association qui va l’organiser. Ce genre d’activités permet de maintenir le métier et d’encourager la création. Idem pour les ventes-dédicaces dans les librairies. Certains éditeurs ont publié cet été de nouvelles parutions comme APIC, Frantz Fanon, Casbah, Chihab…mais dans quelles conditions? C’était des accouchements avec forceps. Nous comprenons bien que la crise sanitaire de Covid 19 est un cas de force majeure. Dans pareilles situations, l’État doit marquer sa présence pour soutenir le secteur de la culture. Nous l’avons vu dans d’autres pays. Dans la fabrication du livre, il n’y a pas que l’éditeur ou l’auteur, il y a le correcteur, le concepteur, l’imprimeur, etc. tous les intervenants dans la chaîne sont impactés. Ce n’est pas de notre faute, alors essayons de trouver des solutions pour sauvegarder cette activité.

Qu’en est-il de la librairie?

Durant tout l’été, j’ai fait des promotions. Trois livres pour 1000 dinars quelque soit la qualité de l’ouvrage, beau livre, bande dessinée ou roman. J’ai pris cette initiative pour que la librairie reste ouverte. Une maison d’édition va organiser une braderie pour vendre ses ouvrages avec une réduction pouvant atteindre les 70 % . Pour vous dire, la détresse des éditeurs. Il n’y a que quelques éditeurs qui peuvent tenir le coup car ils ont des produits d’appel.

Lesquels?

Les livres scolaires, les ouvrages religieux et les manuels de cuisine. Ces produits leur permettent de se maintenir. Difficile par contre pour les éditeurs qui font de la littérature de résister. Dalimen publie des romans, des essais, des BD et des livres pour enfants. C’est lourd comme investissement surtout pour la BD. Donc, on n’a même pas cherché à trouver des solutions. Je sais que l’ONEL et le SNEL (syndicats d’éditeurs) ont eu une réunion au ministère de la Culture pour travailler sur les amendements à apporter à la loi sur la politique du livre (en juin 2020). Mais, aujourd’hui, qu’est-ce qu’on a comme réponse? Rien. Il y a eu l’attribution récente du prix Mohammed Dib. Ravi de constater que des associations travaillent sur cela (L’Association la Grande Maison de Tlemcen). Mais, nous n’avons pas été informés sur l’organisation de ce prix. Le monde du livre a été ignoré pour la cérémonie relative à la rentrée culturelle (organisée par le ministère de la Culture au Palais de la Culture Moufdi Zakaria, à Alger, fin septembre). Nous inviter aurait pu être pour nous un geste d’espoir. La nouvelle Algérie, c’est travailler ensemble, revoir ce qui ne va pas, corriger les imperfections…pas mettre tout le monde dans le même sac et effacer tout…

Pourquoi le livre scolaire n’est-il pas vendu dans les librairies?

C’est une grande question. Depuis juillet dernier, les parents viennent à la librairie chercher des livres scolaires. Or, depuis deux ans, nous ne sommes plus autorisés à les vendre. Nous ne comprenons pas cette décision. Dans tous les pays, les livres scolaires se vendent en librairies, pas dans les écoles ou sur le trottoir. En Algérie, le livre scolaire est disponible dans l’informel et pas dans la librairie. Parfois, les gens viennent chez nous désespérés parce qu’ils n’ont pas trouvé de livre scolaire ailleurs. Les parents souffrent. Pourtant, la loi sur la politique du livre de 2012 stipule clairement que les livres scolaires sont vendus en librairie. Cette disposition est remise en question pour une raison qu’on ignore. Certains ont dit que les libraires considèrent que les marges de 8 et de 17 % sont insuffisantes. C’est faux. Comparées à la quantité vendue, ces marges sont largement suffisantes. Parler du pourcentage est un faux débat. Donc, vendre un livre scolaire dans une école, ce n’est pas du tout normal. Un parent qui vient acheter un livre scolaire, reviendra pour acquérir un roman ou une BD. Le livre scolaire est un produit d’appel, en a besoin pour attirer la famille lambda dans nos librairies. La librairie n’est pas dédiée uniquement aux intellectuels. C’est un espace public ouvert à tous. Nous voulons que les gens entrent même s’ils n’achètent pas de livres. Il faut qu’il y ait de la diversité dans une librairie. Il ne s’agit pas de vendre uniquement des romans ou des ouvrages religieux.

Depuis presque un mois, vous avez publié le dernier roman d’Amin Zaoui, « Canicule glaciale »….

Déjà, Amin Zaoui est un nom, un bon écrivain. « Canicule glaciale » est un roman qui transperce le lecteur. Un roman qui marque et qui est demandé par les lecteurs. Publier ce genre de romans permet également de faire vivre une librairie. D’autres éditeurs ont publié des livres aussi comme Casbah pour le dernier roman de Yasmina Khadra, Frantz Fanon pour l’essai de Said Sadi, Apic pour l’essai de Badr’eddine Mili…des livres qui marchent bien. Cela a donné un peu d’espoir même si on n’est plus dans les 200 à 300 nouveautés par an.

Comment l’État pourrait aider concrètement les éditeurs de livres ?

Il y a eu déjà des allègements fiscaux et parafiscaux pour les entreprises d’édition, annulation des pénalités de retard, report du remboursement des prêts bancaires…C’est déjà pas mal. Ces mesures de l’État permettent déjà à l’entreprise de garder les salaires et d’assurer la couverture sociale des employés. La première action d’une entreprise est de protéger son activité et ses salariés. Maintenant, je ne sais pas combien cette situation va durer. Cela dit, nous n’avons pas demandé l’aumône au ministère de la Culture. Ce que nous demandons est que les bibliothèques et institutions fassent des acquisitions de livres édités en Algérie et qu’elles arrêtent d’acheter des ouvrages importés. Il faut encourager la production nationale. Nous voulons que nos livres soient partout présents dans le pays. Il existe entre 1000 et 1500 bibliothèques au niveau national entre bibliothèques d’écoles et d’universités en plus des bibliothèques municipales. Les acquisitions ont été arrêtées en 2015 pour ouvrir la voie à l’achat de livres importés. Des ouvrages tombés dans le domaine public, comme les romans de Lamartine, Émile Zola et Jules Verne, sont importés par les écoles privées algériennes alors que ces livres sont produits en Algérie et en bonne qualité. Donc, nous demandons la réparation de toutes ces petites injustices.

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