Débat à Béjaia avec Karim Bensalah, cinéaste : »Il est essentiel de laisser un espace de liberté aux acteurs… »

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Débat à Béjaia avec Karim Bensalah, cinéaste :"Il est essentiel de laisser un espace de liberté aux acteurs..."
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« Six pieds sur terre » est le premier long métrage de Karim Bensalah. Le film a été présenté à la 19e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB) qui se poursuit jusqu’au 29 septembre. Le cinéaste algéro-franco-brésilien a participé à un débat au niveau du Musée de Bordj Moussa sur ce film. Karim Bensalah était présent à Béjaia en 2004 avec son court métrage « Le secret de Fatima ».


« Il y a une sorte d’uniformisation d’un type de narration de façon générale dans l’industrie du cinéma mondiale actuelle.  Ce qui est important pour moi est de marier le fond et la forme. Le film « Six pieds sur terre »  aborde un métier de l’ombre, un métier de l’humilité et de la pudeur, les pompes funèbres. Je voulais être dans la discrétion de la mise en scène autant que ce métier l’est. D’où le classicisme de la forme du film », a expliqué le cinéaste.


« Six pieds sur terre » (فوق الضريح) raconte l’histoire de Sofiane (Hamza Meziani), fils d’un diplomate algérien, qui doit trouver un contrat de travail pour ne pas être expulsé de France. Il est recruté dans une société de pompes funèbres musulmanes où, aux côtés de la mort, il apprend paradoxalement à vivre, à se réconcilier avec lui-même.


« Sofiane arrive à retrouver son unité, une paix intérieure, après un éclatement. Au début, il est en conflit avec lui-même, donc forcément avec le monde. Il apprend à rencontrer les gens sans les juger et à s’accepter comme il l’est.  Il faut accepter qu’on est fait de multiplicité, de complexité. L’Algérie est faite de diversité culturelle et historique. C’est une grande richesse », a relevé Karim Bensalah.


Et d’ajouter : « Sofiane ne sait pas comment gérer le regard de l’autre. Il apprend à s’en détacher. Quand on n’est pas en paix avec soi, cela engendre de la violence. Sofiane n’est pas apaisé, il ne peut être que dans la provocation. D’où le choix des mots. Le film évoque aussi le passage à l’âge adulte. On devient adulte quand on accepte les défauts de nos parents, comprendre ce qu’ils sont. Sofiane a accepté son père comme l’est ».

"Six pieds sur terre" ou comment retrouver la vie à travers la mort


Une question de « trace et d’absence »

Le personnage de Sofiane, qui refuse ce qui l’est et qui se revendique de plusieurs nationalités, se cherche encore. « C’est un homme qui a grandi à l’étranger dans plusieurs pays, forcément, il se demande quelle est son identité. C’est un errant. Il n’est pas attaché à une terre, se pose des questions autrement qu’un migrant, parle plusieurs langues, traversé par plusieurs cultures (…) Aux pompes funèbres, il ne recourt à aucun acte religieux. Il fait juste son travail, c’est plus un acte politique. Cela fait sens pour lui d’être parmi les siens et de leur donner la place dont ils ont droit en France. Il apprend à regarder le monde d’une manière sensible. Cela passe par le geste. Il fallait donc que je sois tout près des personnages du film « , a confié le cinéaste.


Et de poursuivre : « si le film évoque le deuil, ce n’est pas seulement les morts. Ce n’est pas la mort physique, c’est la question de la trace et de l’absence. L’expérience aux pompes funèbres permet à Sofiane de faire le deuil de sa mère(…) Il apprend à regarder, prend le temps de voir, se met dans la position de recevoir quelque chose. Lui, qui était dans le rejet du religieux, apprend le respect du mort par l’islam. Il passe par la spiritualité pour mieux saisir le sens « .


Karim Bensalah est revenu sur l’importance des décors dans l’élaboration de la mise en scène.  « Je prépare un schéma dans ma tête sur la construction de chaque séquence. Le décor peut parfois bouleverser la mise en scène. Il crée une ambiance et une possibilité de rapport différent aux corps. J’essaie d’exploiter au maximum ce que peut m’offrir le décor. J’aime travailler dans la collaboration. J’ai beaucoup discuté avec la chef décoratrice sur l’ambiance. Il fallait partir de quelque chose de chargé vers le dépouillement. Il faut penser les décors comme une construction narrative », a-t-il souligné.


Cocteau, Gray et Almodovar« 

Dans mon processus d’écriture, je veux que tous les personnages existent dans le sens où je ne veux pas d’une efficacité narrative où les personnages secondaires sont au service du développement du personnage principal. Je veux que ce soit comme dans la vraie vie, chacun a droit à l’existence. Il est essentiel de laisser un espace de liberté aux acteurs. Je ne peux pas demander à des acteurs différents de me faire la même chose. Il faut laisser l’acteur exprimer ce qu’il a. Le plus beau dans le jeu, c’est quand il y a cette spécificité de la personne qui exprime. C’est à la fois la personne et le personnage. Un moment qu’il faut capter, pas voler », a plaidé Karim Bensalah.


Le cinéaste a été interrogé sur le rôle d’El Hadj, le maître-laveur, joué par Kader Affak, un personnage silencieux et mystérieux, devenu « père spirituel » pour Sofiane. « Quand, j’ai écrit le scénario, j’ai tout le temps pensé à Kader Affak pour le rôle d’El Hadj. Je lui ai proposé le rôle directement. Il connaissait le rituel du lavage du mort. Il crée son personnage à partir d’une musique intérieure. Il n’est pas dans un travail psychologique du personnage », a-t-il dit.
Évoquant son style cinématographique, Karim Bensalah a confié avoir été influencé par des réalisateurs tels que le français Jean Cocteau (le film « Orphée », sorti en 1950, évoque justement la relation du héros avec la mort), l’américain James Gray et l’espagnol Pedro Almodovar.


« Il nous est possible en tant que cinéastes d’inventer une troisième voie »

Selon lui, la fiction au cinéma ne doit pas refléter la réalité. La fiction permet d’imaginer une autre réalité possible. Il nous est possible en tant que cinéastes d’inventer une troisième voie, c’est là où réside la force de la fiction(…) Je ne supporte pas qu’on m’impose la lecture d’un film, qu’on me prenne pour  un imbécile en tant que spectateur. Il faut donner la possibilité aux spectateurs de se poser des questions et interpréter les films comme ils l’entendent », a-t-il plaidé.


Il a évoqué l’importance de la musique dans son film. »La musique, c’est la mère. C’est elle qui joue au piano. L’enseignement de la musique, c’est la mère. Le film parle du deuil de Sofiane après la perte de cette mère. Un deuil qui n’a pas été fait.  La musique accompagne l’éclatement identitaire du personnage. On passe d’une musique électro à du rock, à du rai et à de la musique brésilienne. Cette musique diversifiée traduit l’identité multiculturelle du personnage », a relevé Karim Bensalah.
« Six pieds sur terre » sera bientôt présenté au Brésil. « Je ne sais pas comment il sera reçu. Le Brésil est une terre multiidentitaire, un mélange culturel…Les brésilien connaissent peu le monde musulman car il est éloigné d’eux », a souligné Karim Bensalah. 

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