Le débat sur la peine de mort en Algérie est, en soi, difficile à mener dans des conditions de sérénité dans des moments “ordinaires”, il l’est encore davantage quand l’émotion envahi l’espace à la suite d’un crime atroce. L’Algérie est aujourd’hui dans le second cas de figure à la suite de la terrible et fatale épreuve subie par la jeune Chaïma. Elle offre aux partisans de la levée du moratoire sur la peine de mort, en vigueur depuis 1993, l’occasion de donner de la voix aussi bien dans les médias que sur les réseaux sociaux.
Avec un curieux paradoxe: la plupart ces partisans de la peine de mort portent souvent des jugements, insupportables, sur la moralité de la jeune Chaïma et justifient, de facto, son supplice par son “inconduite” supposée. Dans ce débat sur la peine de mort, Chaïma est toujours victime tout en servant de prétexte. Le sociologue Nacer Djabi n’a pas tort de relever l’insoutenable légèreté avec laquelle les TV algériennes et les médias en général traitent de la question de la peine de mort et où le manque de professionnalisme laisse le “champ libre au pathos des journalistes et à la manipulation de l’émotion.”
Pourtant, c’est un sujet qu’il faut traiter pour ne pas laisser justement l’émotion – et la manipulation – l’emporter sur une appréciation plus juste des faits et des “arguments”. Le débat sur la peine de mort n’est pas nouveau en Algérie.
A l’Assemblée constituante, dès les premiers moments de l’indépendance l’écart était net entre la position abolitionniste de Zohra Drif au nom du souvenir de l’usage qui en a été fait par l’ordre colonial et celle pro-peine de mort du colonel Houari Boumedienne invoquant aussi bien la révolution que la religion. Cet écart se retrouve encore aujourd’hui dans les prises de position pour ou contre la levée du moratoire sur la peine de mort en vigueur depuis 1993.
Sur le caractère présumé dissuasif de la peine de mort, les statistiques de la criminalité dans les pays où elles est appliquée sont édifiants: la mise à mort des condamnés n’a pas d’incidence sur la criminalité. Si le caractère dissuasif n’existe pas, il n’en reste, ainsi que l’a noté un avocat qui a assisté à une exécution à Tazoult, qu’une épreuve d’une “ épreuve d’une extrême violence”.
“Ne tuez point la vie humaine que Dieu a faite sacrée »
L’argument religieux fondé sur le fait que le “quissas” est cité dans le Coran est souvent invoqué pour justifier ces appels à la levée du moratoire. Comme ce bâtonnier de Médéa qui se dit “citoyen et musulman” avant d’être juriste et qui considère qu’il n’y a pas matière à discuter de la peine de mort. L’argument religieux est censé être imparable, pourtant ce que dit ce bâtonnier pro-peine de mort sur le fonctionnement de la justice est tout simplement effrayant: 50% des peines capitales prononcées ne “sont pas justes” affirme-t-il . Quelle conclusion – y compris religieuse – faut-il tirer de ce constat pour le moins inquiétant?
Le bâtonnier, pour prévenir les objections des adversaires de la levée du moratoire sur la peine de mort, propose la mise en place d’une “comité d’experts” composé de juristes qui se chargerait de vérifier la véracité des peines et d’édicter une “fatwa” sur le sujet. En clair, on crée un organe bureaucratique supplémentaire pour valider – ou invalider – les peines prononcées. Une option intenable et absurde puisque les voies de recours jusqu’à la cour suprême sont censées éviter les erreurs judiciaires.
Mais le bâtonnier de Médéa qui se dit “sur le terrain” aurait pu, au lieu de chercher à résoudre le grave problème que pose les 50% de condamnations à mort injustifiées par un “comité”, aurait dû y trouver une raison, religieuse, de soutenir sans équivoque le maintien du moratoire sur la peine de mort.
Ne touchez pas au moratoire!
Quand on affirme que de nombreuses condamnations à mort sont prononcées à tort, défendre le moratoire est le moins qu’on puisse faire. Et le Coran en fournit la justification: “ Quiconque fait périr une vie humaine non coupable de meurtre ou de grave corruption sur la Terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes, et celui qui sauve la vie d’un homme, c’est comme s’il avait sauvé tous les hommes » (Sourate AL Maida, 5 :32.).
Pourquoi parler de “quissas” quand on admet que le risque d’erreurs judiciaires est énorme? N’est-ce pas une raison de plus de se rappeler que l’exécution d’une peine de mort est irréversible et qu’il ne sera plus possible de réparer l’injustice? Voltaire disait qu’il “ vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent.”
Comment justifier la loi du talion (le quissas) au plan religieux tout en donnant un taux, effrayant, de 50% de peines de mort injustifiées? Comment dans ces conditions oublier l’injonction coranique: “Ne tuez point la vie humaine que Dieu a faite sacrée » (Sourate A Isra, 17 :33.). Cela vaut pour les individus, cela vaut encore plus pour l’Etat. Une seule conclusion: à défaut d’abolir la peine de mort par une loi, ne touchez pas au moratoire!