Le nombre des décès communiqué quotidiennement dans le bilan officiel est contesté depuis le début de l’épidémie en Algérie. Non seulement par les internautes, mais également par les Praticiens de la Santé, en première ligne dans cette lutte contre le covid-19.
L’Algérie connait une hausse record des contaminés confirmés par le coronavirus. Hier 1038 nouveaux cas ont été dépistés. S’agit-il d’une deuxième vague ? Les spécialistes, y allant chacun de ses arguments, sont mitigés. Néanmoins, la flambée des contaminations enregistrées ces dernières semaines dépeint la gravité de la situation. Si le nombre journalier de cas confirmés est passé de 129 (06 octobre) à 1032 cas (18 novembre) en presque six semaines, le nombre de décès, contrairement à celui des guérisons, ne suit officiellement pas cette courbe. Le bilan le plus élevé depuis le début de l’épidémie fait état de 20 décès (18 novembre), avec une moyenne de 12 à 15 cas par jour.
« C’est impossible. Rien qu’au centre hospitalo-universitaire (CHU) de Mustapha Pacha, le nombre de décès que nous enregistrons quotidiennement dépasse celui communiqué par le bilan officiel », a affirmé le professeur Rachid Belhadj, Directeur des activités médicales et paramédicales dans cet établissement dans une déclaration à 24H Algérie.
Les praticiens de la Santé ne sont pas les seuls témoins de cette hausse des contaminations et des décès. Les réseaux sociaux pullulent ces derniers jours d’annonces nécrologiques et des internautes expriment leur stupéfaction devant le nombre de décès communiqué chaque jour en fin d’après-midi.
En réalité, le nombre de décès publié dans le bilan officiel correspond aux patients décédés dans l’enceinte hospitalière, après avoir été admis aux urgences « en présentant des signes cliniques répondant à la définition du coronavirus dans la directive du ministère de la Santé, ou après avoir été admis aux services de réanimation après avoir été confirmé positif par un test P.C.R », explique le Dr. Mohamed Yousfi, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital de Boufarik.
Toutefois, ce recensement est aléatoire, étant tributaire de conditions discutables. Une pénurie de tests P.C.R, une surcharge dans les structures hospitalières ou même une pression de la part des proches du défunt sur le personnel médical sont des facteurs qui peuvent compromettre cette opération de recensement. « Lorsqu’une personne admise aux urgences en présentant les signes cliniques du coronavirus, nous procédons à un test P.C.R. Parfois, le patient décède et nous ne réussissons pas à le garder à la morgue en attendant de recevoir les résultats des tests. Au bout de quelques jours, les familles font ainsi pression pour enterrer le corps. Ils s’engagent alors à enterrer le défunt selon le protocolaire sanitaire, comme étant positif au coronavirus, afin de ne pas prendre le risque de propager le virus durant son enterrement », explique encore le Dr. Yousfi.
Une fois les résultats des tests réceptionnés, ces cas de décès sont comptabilisés et communiqués par le ministère de la Santé dans son bilan quotidien. Néanmoins, des fausses suspicions surviennent dans les urgences et les tests P.C.R. ne sont pas réalisés. Des décès par covid-19 peuvent ainsi être omis.
Qu’en est-il des personnes décédées à domicile, c’est-à-dire à l’extérieur de l’enceinte hospitalière ? Il est de la responsabilité du médecin réquisitionné par les services de sécurité pour constater le décès de signaler une suspicion de contamination par le coronavirus, fait encore savoir le Dr. Yousfi. Lorsque la mort est suspecte, la personne décédée subit un prélèvement post-mortem afin de déterminer son infection ou non par le covid-19.
Toutefois, depuis le début de l’épidémie, fin février, les praticiens de la Santé ont maintes fois signalé une pénurie de test P.C.R. Une lacune comblée épisodiquement qui survient de nouveau durant cette « deuxième vague ». Le Directeur général de l’Institut Pasteur, Fawzi Derrar a confirmé cette pénurie ce jeudi 19 novembre 2020 dans un entretien accordé à la chaîne de télévision Ennahar TV. Il a aussi affirmé que les résultats sont rapidement dévoilés, au moment où plusieurs chefs de services se plaignent de la lenteur de réception des résultats.
En raison de cette pénurie, des cas de patients hospitalisés, admis en réanimation après avoir présenté les symptômes du coronavirus et décédé à la suite de leur contamination, n’ont pas été comptabilisés faute de test P.C.R. Un constat qui rappelle les déclarations du ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, durant le mois d’avril, lorsqu’il a été interrogé sur la véracité des chiffres communiqué par l’instance de suivi de l’évolution de l’épidémie. « Les chiffres communiqué tous les jours ne représentent en fait que des statistiques des personnes testées. Autrement dit, moins de tests suppose moins de chiffres et moins de chiffres sous-entend aussi moins de tests », avait-il indiqué.
Au CHU de Mustapha Pacha, le personnel médical a toujours recours au scanner pour gérer l’afflux des citoyens et détecter des contaminations par le coronavirus afin de prendre en charge les patients admis aux urgences. Au début de l’épidémie, le nombre de personnes suspectées d’être infectées par le virus après un examen au scanner était quotidiennement dévoilé avant que l’instance chargée du suivi de l’évolution de l’épidémie ne cesse de communiquer ces chiffres.
De passage, dimanche dernier, sur les ondes de la Radio nationale, le DG l’Institut Pasteur d’Algérie (IAP), Fawzi Derrar a souligné une inefficacité du scanner, « dans la mesure où il reprend, globalement, toutes les espèces de virus qui sévissent en hiver ».
Néanmoins, le Pr. Rachid Belhadj explique à 24H Algérie que les patients décédés au CHU de Mustapha Pacha sans avoir subi un test P.C.R mais plutôt un examen au scanner sont également communiqués au Ministère de la Santé. « Les Praticiens soulignent dans leur rapport que les signes cliniques détectés par scanner chez ces patients sont celles du coronavirus. Parfois, nous découvrons des séquelles de plus de 50% sur les poumons », explique-t-il.
Des chiffres qui ne sont également pas dévoilés dans le bilan officiel, ni dans la rubrique des décès ou encore celle de cas suspectés. Pourquoi ? Interrogés à ce propos, des membres du comité scientifique expliquent que c’est au porte-parole, Dr. Djamel Fourar, de répondre à cette question. Le Directeur de la Prévention au ministère reste injoignable.
Abderrahmane Benbouzid répétait que les autorités « n’avaient aucun intérêt de dissimuler des chiffres ». Néanmoins, à la lumière des appels des praticiens de la Santé, le décalage entre le nombre de décès du bilan officiel et le nombre dévoilé par les structures hospitalières est probablement le fruit d’une gestion qualifiée de « bureaucratique » de cette crise sanitaire.
Dans une déclaration à TSA Algérie, le Pr. Rachid Belhadj a appelé « l’État à écouter les professionnels de santé qui sont sur le terrain. On doit arrêter avec le discours démagogique et bureaucratique. Il faut donner les vrais chiffres, encourager les personnels de la santé et les aider avec une parfaite coordination entre les différents intervenants : État, population et personnels de la santé. Si un de ces éléments ne fonctionne pas, il y a un risque de sursaturation et de burn-out professionnel car nous sommes convaincus que cette situation va encore durer plusieurs mois », a-t-il déclaré.
Des syndicats de la Santé avaient critiqué, durant le mois de juillet dernier, la “gestion bureaucratique » de la crise sanitaire. Les syndicalistes ont dénoncé leur “exclusion” par les responsables politiques, soulignant un manque de coordination.
« En tout cas, s’il y a un témoin qui ne trompe pas, c’est le cimetière. Il suffit de voir le nombre de tombes fraiches par jour et interroger le personnel sur l’activité. Celle-ci a du augmenter de 4 ou 5 fois par rapport à la normale », conclut le Pr. Belhadj à 24H Algérie.