L’historien français Marc Ferro, spécialiste de l’Union soviétique, de la Russie, du cinéma, reconnu pour ses travaux sur la Grande Guerre et la décolonisation et partisan de l’Algérie indépendance, est décédé dans la nuit vu mardi à mercredi 21 avril 2021 à l’âge de 96 ans, suite à sa contamination par le coronavirus.
De mère juive, Marc Ferro, qui habitait Paris avec sa mère et son beau-père, est transférée en 1941 à Grenoble en zone non occupée pour le reste de la guerre pour fuir la politique antisémite des Allemands. Sa mère meurt assassinée le 28 juin 1943 à Auschwitz.
Âgé de 20 ans en 1944, il est sous la menace d’une réquisition par le Service du travail obligatoire (STO), qui consistait en la réquisition et le transfert vers l’Allemagne de centaines de milliers de travailleurs français contre leur gré, afin de participer à l’effort de guerre allemand. Après l’arrestation de plusieurs membres de son réseau, il participe activement à la résistance française.
Marc Ferro crée « Fraternité algérienne » pour la « réconciliation »
Après la guerre, il est nommé en 1948 professeur au lycée d’Oran. Il y découvre la réalité de l’Algérie coloniale. « La souffrance des Algériens a été épouvantable, toutes les humiliations qu’ils subissaient, les tortures, et le mépris, les ratonnades … ». Il évoque, sur le plan politique et administratif, les élections truquées, les arrestations de candidats messalistes, outre le traitement réservé aux Algériens par l’administration coloniale et les colons.
Marc Ferro se rapproche du quotidien socialiste « Oran Républicain ». « Petit à petit, la vie oranaise s’est révélée à moi et toujours à cause de la menace de guerre, j’ai adhéré au Mouvement de la Paix, qui n’est pas très loin du Parti communiste. Mais à l’époque, la majorité des gens qui étaient dans ce mouvement n’étaient pas communistes. C’est là que j’ai eu ma première expérience politique, c’est là que j’ai fait mes classes politiques. Ce n’est pas en étant autrefois au maquis du Vercors, où j’étais un soldat de deuxième classe », a-t-il déclaré à France Culture.
En 1954-1955, juste après le déclenchement de la Guerre de Libération nationale, il crée le mouvement politique « Fraternité algérienne» qui prônait la réconciliation des communautés, obtenant l’adhésion d’Algériens et des Européens de gauche. J’ai vu la vie dans l’Algérie coloniale sous tous ses aspects et j’ai participé au mouvement politique en ce sens que nous avions fondé à Oran un mouvement des libéraux, Fraternité algérienne. J’ai donc été très impliqué dans les événements d’Algérie », déclarait-il à la Quinzaine littéraire en 2010.
L’historien devient ainsi anti-colonialiste, souhaitant se battre pour la reconnaissance des droits que revendiquaient les partis politiques algériens et les syndicats franco-algériens. Il revendiquait des discussions honnêtes entre le gouvernement français et tous les partis politiques.
« Attaché à la terre »
Marc Ferro développa l’idée de co-souveraineté, d’association « qui aurait permis la coexistence des communautés et non l’indépendance qui aurait entrainé, de son avis, une guerre civile ». L’Algérie devait ainsi avoir des représentants à Paris et inversement.
« D’une certaine façon, j’avais une bonne « sensibilité algérienne » comme on dit, en ce sens que d’un côté le parrain de ma fille était l’avocat de Ahmed Ben Bella et de l’autre une partie de la famille de la marraine appartenait à l’OAS. J’avais de bons guides si j’ose dire pour apprécier les comportements des uns et des autres et cela me permettait aussi de bien comprendre les rapports entre les partis nationalistes (UDMA, MTLD) et les partis français aussi SFIO, PC… tout ce magma d’interférences idéologiques et autres, je le maîtrisais bien et j’étais au cœur de tout cela puisque je servais de temps en temps de go between entre les nationalistes, les communistes algériens et les libéraux », rajoutait-t-il.
Fraternité algérienne, qui suscite la colère des militants communistes et des militants du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), est dissous quelques temps après la visite de Guy Mollet, alors président du Conseil des ministres français qui cède, avec le parti Front Républicain, aux partisans de l’Algérie française sur un point essentiel de sa campagne législative, à savoir une « solution négociée » à la Guerre de Libération.
Après l’échec de son espoir de lancer un mouvement fondé « sur la négociation, la cohabitation et la participation des Algériens au gouvernement », Marc Ferro est rappelé en Métropole, où il a été menacé par l’OAS.
« J’y suis retourné deux fois ensuite pour ne pas abandonner « le navire » au moment du naufrage (…) Je suis resté attaché à la terre, aux gens, mais j’ai rompu avec la politique algérienne, c’est à dire que je ne me suis plus du tout occupé de ce qui se passait à partir du moment où c’était la guerre et où, dès 1958, il y a eu un changement de régime qui modifie absolument tout », a-t-il ajouté.