Le 21 avril 2020 a été un moment historique: ce jour là, “l’or noir a coûté moins cher que l’eau de pluie” à New York. Une situation inédite où le marché était tellement saturé que les investisseurs étaient prêts à payer ceux qui voulaient bien prendre leur pétrole.
Sadek Boussena, économiste, ancien ministre algérien de l’énergie, rappelle, dans l’édition du mois de juin 2020 du Monde Diplomatique, cet évènement, symbolique d’un tournant, dans une analyse prospective remarquable sur l’évolution du marché pétrolier. Celui de la fin de l’arrangement existant entre Ryad et Washington où le premier assure un prix suffisamment élevé du pétrole contre une protection militaire américaine. Ce vieux deal pose la question de savoir si le marché pétrolier va entrer dans une logique de concurrence sauvage ou bien si une nouvelle régulation – qui remplace celle qu’assurait l’OPEP – va se mettre en place.
Deux faits majeurs sont venus accélérer les choses: début mars 2020, à la suite de l’échec des négociations sur les quotas de production de l’OPEP et de la Russie (OPEP+), l’Arabie saoudite réduit le prix de son pétrole et annonce qu’elle va augmenter sa production. L’impact sur les prix, déjà sensible, va être amplifié par la pandémie du Covid-19 qui entraîne une forte contraction de la demande mondiale en pétrole. Le pétrole de schiste américain, dont les coûts d’extraction sont plus élevés et nécessitent la mobilisation d’important capitaux est durement impacté.
Les faillites se multiplient. Washington n’est pas loin de voir dans cette guerre des prix une attaque combinée des saoudiens et des russes contre l’industrie pétrolière américaine. Même si officiellement, les Etats-Unis sont les chantres du marché libre (la loi anti-trust interdit au gouvernement américain d’intervenir de manière formelle sur le marché), Donald Trump s’implique et somme Ryad d’y mettre fin à sa guerre.
L’OPEP est hors du coup, selon Sadek Boussena
De ces faits récents, Sadek Boussena, fait un constat central: l’OPEP est désormais hors du coup. Le 12 avril 2020, la sortie de la guerre des prix est négociée dans le cadre du “big oil deal”. C’est un “triumvirat pétrolier informel” impulsé par les Etats-Unis, avec l’Arabie Saoudite et la Russie, censée être “l’ennemi stratégique”, qui parvient à ce “big oil deal” se traduisant par une réduction de la production de 9,7 millions de barils. L’OPEP est formellement engagée, mais c’est l’Arabie saoudite qui a décidé. Tout comme, elle a engagé sa guerre des prix sans consulter les autres membres de l’OPEP.
L’OPEP, aujourd’hui en déclin voire en fin de mission, a toujours centré son action sur la défense d’un “prix juste” du baril et non sur la défense des parts de marché. Une option qui, en dépit des discours médiatique contre le “cartel”, ne gène pas les occidentaux. C’est que ce “prix juste” permet de rendre rentable des gisements offshore ou le pétrole de schiste américain. Derrière cette accommodement, il y a un engagement implicite des producteurs OPEP à ne pas augmenter leur production. De fait, note Boussena, en 40 ans l’OPEP n’a pas augmenté sa production totale (entre 30 et 33 mbj) alors que la demande mondiale s’est accrue de 40%. Au sein de l’OPEP, la “fin du pétrole” semblait une perspective lointaine et il n’était donc pas nécessaire de focaliser sur les parts de marché. Désormais, cela n’est plus garanti et les producteurs se posent des questions stratégiques que Boussena résume ainsi: “Faut-il défendre un meilleur prix ou augmenter sa production ? Convient-il de participer à un minimum de régulation internationale ou de s’en remettre à la concurrence ?”
Les producteurs face à des questions stratégiques
Pour l’ancien ministre algérien, l’Arabie Saoudite qui agit au nom de l’OPEP sans en consulter ses membres ne peut continuer à négocier “sans mandat” avec la Russie et les Américains, sans finir par nuire à l’unité de l’OPEP. C’est l’un des acteurs majeurs du secteur pétrolier, l’OPEP, qui risque le collapsus. Les Etats-Unis – dont l’industrie du schiste pâtissait considérablement de la guerre de prix – ont multiplié les pressions sur Ryad. Pressions qui ont atteint leur point d’orgue avec l’annonce, le 9 mai dernier, du retrait de batteries de missiles Patriot d’Arabie saoudite.
Un autre tournant est constitué par l’implication des Etats-Unis “à visage découvert dans une négociation internationale visant à influencer le prix. Cela constitue un précédent de taille : le choc de cette crise pétrolière aura révélé que les États-Unis, aussi, ont besoin d’une régulation pétrolière, eux qui font cavalier seul depuis des années.”
Moscou de son côté, ne pouvant résister longtemps à une guerre des prix a accepté de réduire sa production de 2,5 mbj, soit à un niveau plus important que cela que lui proposait Ryad avant la crise. “La Russie paie donc cher le «big oil deal». Pour la première fois dans l’histoire de l’OPEP+, ses efforts équivalent à ceux consentis par l’Arabie saoudite.” note l’auteur.
Un “changement de cap” de la part de Moscou qui illustre, selon Boussena, l’hésitation des grands producteurs face à l’alternative stratégique du marché libre ou de la régulation.” L’épisode du pétrole moins cher que l’eau de mer a été un indicateur de ce que serait le marché pétrolier mondial sans le “ filet de sécurité de l’OPEP”. Le “big oil deal» voulu par les Etats-unis constitue de ce fait un “ pas timide vers un autre type de régulation”.
Concurrence sauvage ou nouvelle régulation?
Deux hypothèses sont avancées par Boussena: le “big oil deal” aboutit à un prix d’équilibre de 50 dollars le baril et peut ainsi servir de base à un mécanisme de régulation plus complet. Il suppose que les Etats-Unis ne siphonnent pas l’accroissement de la demande pétrolière comme ils l’ont fait avec le pétrole de schiste. Il y aura à résoudre la quadrature du cercle posée par la loi anti-trust américiane. En cas d’échec du “big oil deal” à restaurer les prix, une guerre des prix larvée va s’installer. D’autant que d’autres paramètres interviennent: la Chine, premier consommateur mondial de pétrole,(13,5 % de la demande) se positionne fortement dans la transition écologique et les politiques anti-carbone avancent également dans les pays de l’OCDE.
Ces politiques vont avoir un impact sur le cours du baril. Dans le sens de baisse – et au grand dam des écolos – car l’effacement de l’OPEP va induire une plus grande concurrence poussant les producteurs. Ceux-ci, écrit Sadek Boussena auront tendance “à s’aligner sur les coûts les moins chers, les poussant vers un niveau «normal» de l’ordre de 20 à 25 dollars, au lieu – comme c’est le cas aujourd’hui – de se caler sur ceux les plus chers comme le pétrole de schiste américain ou celui des sables bitumineux de l’Alberta, qui exigent des seuils de 40 à 50 dollars pour être rentables.”
20 à 25 dollars – et même 40 ou 50 dollars – , cela devrait donner à réfléchir sérieusement aux dirigeants Algériens toujours fortement marqués par le tropisme pétrolier, par la “culture fossile”.
[…] le notait, l’ancien et très respecté ancien ministre algérien de l’énergie, Sadek Boussena, l’OPEP est hors du coup. La sortie de la guerre des prix, enclenchée par l’Arabie saoudite, a […]