Dans mon dictionnaire amoureux de la peinture algérienne, Tatah figure avec Benanteur sur le panthéon. Il est de ceux qui vous bouleversent, vous marquent à jamais par sa densité et dont on retient les mots sourds qui vous protègent du déshonneur et vous tiennent debout .
Les artistes « hybrides » résidant en dehors de l’Algérie ont par leurs contributions questionner et objectiver les tensions de leur société d’origine ou de celle de leurs parents comme celle dans lesquelles ils vivent. C’est ainsi que Djamel Tatah avec son œuvre Les femmes d’Alger déconstruit la représentation picturale européenne de l’Algérie avec ses citations d’Eugène Delacroix du tableau Femmes d’Alger dans leur appartement et nous parle de la décennie noire avec ce choeur de madones réalisé en 1996 . Les Femmes d’Alger est l’un des rares tableaux à avoir un titre, tout comme « Les échoués » et par là il n’hésite pas à répondre à des questions politiques contemporaines .
Djamel Tatah est né en 1959 à Saint-Chamond prés de Saint Etienne. Durant ses études à l’école des Beaux-Arts de Saint-Etienne (1981-1986), il se découvre de nombreuses affinités avec l’abstraction américaine des années 1940-1950, la peinture anglaise et allemande des années 1950-70 ainsi que l’Arte Povera. Ses références vont de Pistoletto, à Bacon et Warhol mais aussi à Matisse et Giacometti en passant par les maïtres du cinéma comme par exemple Antonioni.
L’artiste a présenté ses œuvres en France et à l’étranger, à Salamanque, dans différents musées à Canton (Chine 2005), à Nantes , à Saint-Etienne, à Nice, à la Villa Medicis , au Musée d’art moderne et contemporain d’Alger (en 2013), à la Fondation Maeght et ainsi que chez Ben Brown Fine Art à Londres (2015 et 2018).
Dans une peinture dépouillée, épurée, mélancolique, Djamel Tatah livre une représentation de l’homme contemporain qui affirme sa présence au monde . Il peint des figures humaines, à l’échelle du corps, suspendues dans le temps, plongées dans le silence et qui semblent n’appartenir à aucun lieu défini . Par le corps, figure iconique du réel, il interroge.
la peinture abstraite .
En effet Djamal Tatah prend des images du réel et les interprète comme le ferait un metteur en scène. Il ne veut ne rien traduire d’autre que notre rapport au monde et notre fragilité dit-il.
« Ma peinture est silencieuse. Imposer le silence face au bruit du monde, c’est en quelque sorte adopter une position politique. Cela incite à prendre du recul et à observer attentivement notre rapport aux autres et à la société. »
Tatah impose une œuvre, un bestiaire humain mystérieux, profond, qui s’élabore dans une écriture visuelle quasi cinématographique avec des personnages qu’il qualifie lui même de “beckettiennes”, l’ensemble entre hyperréalisme et abstraction sur fond souvent monochrome .
À quelques exceptions près, il fait le choix de ne pas donner de titre à ses œuvres « pour ne pas engager le spectateur dans une interprétation narrative ou documentaire univoque ».
Comme chez Warhol, une même figure est reproduite plus d’une dizaine de fois mais chez Tatah elle est peinte à l’échelle 1. Sa dimension monumentale écrase et envoute à la fois. La toile s’impose comme un grand écran de cinéma. Djamel Tatah met en scène ses figures humaines, grandeur nature, dans des espaces colorés, installées comme des architectures avec des acteurs qui nous parlent de la guerre, la solitude , l’attente, la mort…
L’artiste se définitni comme documentaliste, ni comme journaliste, son propos ce sont juste les images du réel, loin du portrait mais proche plutôt d’une image habitée .
Desvêtements sombres qui ne laissent apparaître du corps que les visages et les mains ; un regard perdu dans une mélancolie, un mutisme qui interroge celui qui contemple l’oeuvre .
Les personnages sont là, présents et absents à la fois.La répétition s’impose alors comme un moyen, un outil d’ une représentation abstraite qui s’empare du réel .
Avec Djamel Tatah nous allons prendre le chemin et rencontrer le miracle de l’homme blessé qui ne renonce jamais à sa dignité, à sa liberté, à sa vie . A le regarder, nos yeux se videront des images désespérées trop vues, trop pleurées et, souvent si vite effacées.