Un candidat qui dit être le vainqueur des élections et qui crie à la fraude. Des résultats qui prennent beaucoup de temps pour être consolidés et annoncés. Des partisans du candidat se proclamant vainqueur menacent de descendre dans la rue et recourir à la violence. Une organisation internationale qui évoque, après avoir observé le scrutin, l’incertitude et « les tentatives sans précédent de saper la confiance du public ».
Cela ne se passe pas en Afrique, mais bien aux États-Unis ! « La campagne a été caractérisée par une polarisation politique extrêmement forte qui a souvent obscurci le débat politique plus global et a débouché sur des allégations sans fondement de fraude systématique », écrit, ce jeudi 5 novembre 2020, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Un langage peu habituel. Donald Trump, président sortant, a accusé « un groupe » de vouloir « voler » les résultats du scrutin en pointant du doigt le camp démocrate. La direction de campagne a même tenté d’arrêter le décompte des votes en Géorgie, en Pennsylvanie et au Wisconsin en évoquant « le trafic électoral » et en envoyant des avocats sur place.
« L’Afrique inspire-t-elle les USA? », s’interroge amusé le site guinéen Ledjely. « Qui aurait cru qu’on arriverait à comparer l’organisation des élections aux États-Unis et en Afrique ? Pourtant, avec ce qui se dessine, nous pouvons bien nous autoriser un tel parallèle. D’abord, par rapport au délai d’attente des résultats. Généralement, sur le continent africain, la proclamation du nom du vainqueur intervient entre trois et cinq jours après le scrutin. Et on a tendance à expliquer une telle attente par les défis logistiques que posent le dépouillement, la compilation et la remontée des données. Des défis d’autant plus importants qu’il s’agit dans la majeure partie des cas, de pays pauvres et en manque cruel d’infrastructures notamment routières. Des explications qui ne sauraient rendre compte de ce que nous observons aux États-Unis », écrit Boubacar Sanso Barry.
« Lexique » africain
« Dans l’élection américaine qui vient de se tenir, on évoque déjà des divergences pouvant déboucher sur des velléités de contestation des résultats. On oserait à peine imaginer qu’on parle là des États-Unis, une démocratie vieille de deux siècles et avec des institutions parmi les plus solides au monde (…) Recours, contestation, annulation de vote, bras-de-fer,…habituellement, ce lexique-là, en période électorale, est davantage réservé au continent africain.
Le continent dit des »républiques bananières » », ajoute le journaliste guinéen. Il cite l’exemple des récentes élections contestées en Côte d’Ivoire et en Guinée. « Mais tant que c’était en Guinée, en Côte d’Ivoire ou dans un autre pays du continent noir, tout cela paraissait quelque peu normal et ordinaire aux yeux du monde. Après tout, il s’agit de peuples trop en retard. A cet égard, les États-Unis nous invitent à moins d’arrogance et à plus d’humilité. Car la leçon qu’on peut en tirer est celle que finalement, tous les progrès sont relatifs », conclut Boubacar Sanso Barry.
« De quoi rappeler les républiques bananières…»
Le journal burkinabé Le Pays a rappelé que Donald Trump avait eu des propos peu amènes à l’égard de l’Afrique. « Donald Trump va-t-il se vêtir du manteau de « pays de merde » ( à propos du continent africain ) ? On se demande en effet s’il va accepter le verdict des urnes, en cas de défaite.
En tout cas, tout porte à croire qu’il ne s’imagine pas un seul instant perdre cette élection et qu’une défaite serait moralement insupportable pour lui. En cela, il présente bien des points de similitudes avec tous ces dirigeants africains qui se comportent en « Président-fondateur » , toute chose qui amène finalement à se demander quel genre de démocrate est Donald Trump. Surtout avec un tel comportement qui ne met pas son pays à l’abri d’une crise et de violences post-électorales », souligne Le Pays.
Le journal de Ouagadougou ajoute : « l’un des faits majeurs de cette présidentielle qui, vue d’Afrique, ne manque pas de curiosité dans une démocratie aboutie comme celle des États-Unis, est le fait qu’avant même la fin du dépouillement, Donald Trump a annoncé la couleur en s’autoproclamant vainqueur, dénonçant au passage des tentatives de fraudes et menaçant de saisir la Cour suprême pour arrêter le décompte des résultats.
De quoi rappeler les républiques bananières où la contestation systématique et les dénonciations de fraudes passent pour être la marque déposée des élections en Afrique. Sauf que dans le cas d’espèce, ce n’est pas le candidat de l’opposition, comme c’est généralement le cas sous nos tropiques, qui crie à la fraude mais bien le président sortant ». Cynique, le quotidien burkinabé Aujourd’hui au Faso, pour sa part,s’inspire d’une célèbre série pour titrer son éditorial : « Game of thrones Trump/Biden aux USA : tiens, les crises post-électorales ne sont pas l’apanage des africains ! ».
« Trump-Biden c’est une version américaine de Condé-Cellou en Guinée »
«Fraudes …un petit groupe de gens essaie de nous voler l’élection, je vais saisir la Cour suprême». Ces propos ne sortent pas de la bouche d’un opposant africain, fâché et transi par sa défaite face à un président sortant. Non ! Ces mots ont été lâchés par Donald Trump, 45ème président des USA, qui affronte dans les urnes Joe Biden, champion des démocrates(…) Pour les fins connaisseurs de la politique américaine, une crise post-électorale est quasi-certaine.
Car Trump n’acceptera jamais de défaite alors que cette perspective est désormais dans l’univers du possible. Trump-Biden c’est une version américaine de Condé-Cellou en Guinée, ou Ouattara et Bédié en Côte d’Ivoire. Décomptes manuels, saisine la Cour suprême fédérale, Trump brandit toutes les options, pour signifier qu’il croit ferme être réélu sur un fauteuil, qu’il n’est pas question qu’on le prive de ce second mandat », note Zowenmanogo Zoungrana. Il ajoute : « Contextualisée en Afrique avec les présents exemples guinéen et ivoirien, cette bagarre post-électorale dans la grande Amérique met au goût du jour, qu’aucune élection n’est exempte de contestations y compris dans une des plus vieilles démocraties du monde. L’Afrique ne porte donc plus cette marque d’élections à problèmes comme un sceau d’infamie, mais même l’Amérique tocquevillienne, n’échappe pas à cette déficience politique ».