En Algérie, la quête « d’une ville compétitive, attractive et durable » est un objectif encore lointain

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En Algérie, la quête "d'une ville compétitive, attractive et durable" est un objectif encore lointain
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Plusieurs experts ont fait le constat des problèmes liés à l’urbanisme et se sont interrogés sur « la ville de demain » en Algérie,  lors d’un débat organisé, mardi 20 février 2024, à l’hôtel Royal à Oran, par l’entreprise privée Belux et le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC), sur le thème de  « Qualité de vie et compétitivité de la ville : réalité et perspectives pour les villes algériennes ».


Maha Messaoudene, enseignante à l’Ecole Polytechnique d’Architecture et d’Urbanisme d’Alger (EPAU), a d’abord parlé de la concurrence entre les villes pour atteindre les standards internationaux et améliorer l’attractivité et la qualité du cadre de vie. « Une ville compétitive s’identifie par rapport à sa capacité d’attirer le plus d’habitants , d’investisseurs, d’entreprises et de touristes. A l’échelle mondiale, se sont développés plusieurs palmarès pour mesurer l’attractivité, la qualité et la compétitivité des villes. Les premiers ranking cities (classement) sont apparus dans les années 1970 en France, se sont étendus ensuite à des études internationales menées par des cabinets de conseil et des organismes tels que le Forum économique mondial, Heritage Foundation ou la Banque Mondiale », a-t-elle précisé.


Selon elle, les deux critères pris en compte sont le pouvoir d’achat et la qualité de vie. Elle a cité le classement Mercer 2023 de la qualité de vie dans les villes. Les métropoles européennes, canadiennes et australiennes arrivent en tête de ce classement. « L’Algérie est à la 189ème place de ce classement mondial sur 241. On a encore des efforts à mener », a alerté Maha Messaoudene.  


Hassi Messaoud, la ville paradoxale

Elle a indiqué qu’une ville compétitive est celle qui apporte à ses entreprises et ses industries des solutions pour « développer l’emploi, augmenter la productivité et accroître les revenus de ses habitants ». La « ville compétitive » doit donc être performante sur le plan économique.


 « La notion de compétitivité s’est élargie pour être évaluée à la qualité du cadre de vie et la dimension environnementale. On entend par qualité de cadre de vie, l’offre en termes de logement, de transport, de culture, d’éducation, d’innovation, de santé, de sécurité, et globalement, de tous les services urbains. La dimension environnementale se rapporte aux ressources naturelles, écologiques et toutes les actions menées par une ville pour créer un cadre propre et durable. On ne peut se baser uniquement sur l’aspect économique. Par exemple, Hassi Messaoud est une ville attractive sur le plan économique, mais elle ne l’est pas sur le plan résidentiel. La plupart des gens qui travaillent à Hassi Messaoud habitent ailleurs », a-t-elle expliqué.
Elle a précisé qu’en Algérie, la compétitivité est un enjeu national stratégique inscrit dans le Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT). En 2013, l’Agence nationale à l’aménagement et à l’attractivité des territoires (ANAAT) a été créée « pour suivre et évaluer l’application de ce qui est prévu dans ce schéma ».


« L’objectif est de mettre en place une ville algérienne qualitative, compétitive, attractive et durable, capable de répondre aux besoins de ses habitants et aux mutations productives ainsi que de contribuer à une véritable culture et identité urbaines. Cet objectif se traduit par un ensemble d’actions stratégiques telles que la promotion d’une ville durable, le renouvellement de la forme urbaine, l’adaptation de la ville aux exigences des activités économiques, la préservation et la valorisation de l’écosystème urbain, la lutte contre les exclusions et la marginalisation et la mise à niveau des zones urbaines à handicap », a détaillé l’enseignante de l’EPAU. Et de s’interroger : « Mais, quel est réellement l’état des villes algériennes ? Sont-elles qualitatives et compétitives ? ».


« Des villes ex nihilo, des villes informelles »

Selon elle,  les villes anciennes, « précoloniales, coloniales », souffrent d’un dépérissement, sont malmenées par le temps et par l’évolution des besoins, des pratiques et des modes de vie. Elle a estimé que ces villes nécessitent des opérations de revitalisation pour être qualitatives, saines et compétitives.


« L’intervention dans ce type de villes est délicate puisque les sites sont déjà occupés. En Algérie, il existe aussi les villes Ex nihilo, la ville éclatée, celle de l’urbanisme contemporain. Et, il y a aussi la ville autoconstruite et la ville fonctionnaliste. Ces villes se développent en marge de la ville-mère, en périphérie et contribue à l’émergence de nouvelles centralités urbaines, certaines aspirent à être promues à un nouveau rang en devenant autonomes », a-t-elle souligné.


Une ville informelle se développe, d’après elle, dans les interstices urbains défiant l’autorité publique. « Dans ces quartiers, les règles élémentaires d’architecture et d’urbanisme et les règles sociales et économiques sont outrageusement bafouées au point de provoquer un désordre spatial, social, esthétique qui contribue à un certain nombre d’incohérences telles que la perte d’urbanité, la montée de l’informel, la spéculation foncière et immobilière, l’étalement spatial au détriment des terres agricoles, la concentration dans les grandes villes, la perte de la qualité paysagère, la perte de l’identité des bâtiments et la pollution visuelle. Pourtant, l’Etat a déployé beaucoup d’efforts pour atténuer les difficultés et augmenter l’offre urbaine et améliorer la qualité du cadre de vie », a constaté Maha Messaoudene.


« Urbanisation durable »

Mohamed Srir, enseignant à l’EPAU également, a précisé, pour sa part, que la ville durable est celle qui offre une qualité de vie à ses habitants sans mettre les ressources en danger.
« Une ville qui prend en compte le bien être urbain, social, sanitaire, culturel, écologique. Il y a aussi l’attractivité économique et l’adaptation aux changements climatiques. Parmi les objectifs de la ville durable est d’atteindre la neutralité carbone. Chaque année, nous avons des problèmes d’inondations et de sécheresse en Algérie (…) En Algérie, on fait beaucoup de diagnostics sans passer à l’action », a-t-il dit.


Le référentiel pour faire des évaluations reste, selon lui, « l’Agenda 2030 », un programme de développement durable des Nations Unies basé sur 17 objectifs (ODD). « Il s’agit d’un ensemble de défis : supprimer la pauvreté, lutter contre la faim, accès à la santé et à l’éducation de qualité, l’égalité entre les sexes, l’accès à l’eau propre, recours aux énergies renouvelables, etc. L’objectif numéro 11 est relatif aux villes et aux communautés durables. L’Agenda 2030 insiste sur les mécanismes d’intervention qui font appel aux politiques publiques urbaines nationales et locales », a souligné Mohamed Srir.
Il a rappelé qu’en Algérie, la première loi qui a intégré la notion de « développement durable » date de 2001. D’autres lois ont pris en compte cette notion après (villes, environnement, énergie, le littoral, etc). « L’arsenal juridique algérien est large et diversifié. Le cadrage juridique est là pour mettre en œuvre la durabilité au niveau urbain. Le Conseil du gouvernement chapeaute la stratégie nationale de mise en œuvre des objectifs de développement durable à travers un comité intersectoriel. Ce comité définit la feuille de route pour réaliser les ODD, l’Algérie étant signataire de l’Agenda 2030 depuis 2015. Il est important que le privé algérien et la société civile soient associés à cette démarche », a-t-il rappelé.


Il a indiqué que l’Algérie a tracé des priorités : « logement, urbanisation durable, les risques, l’impact environnemental lié à la gestion des déchets, la réduction de la pollution et l’accès aux espaces verts ».


« La ville, c’est l’endroit où sédentarisent les hommes depuis 70.000 ans »!

L’architecte, urbaniste et scénographe Halim Faidi a, pour sa part, posé plusieurs questions lors de son intervention : « Quel est notre ADN ? Qui sommes-nous ? D’où nous venons ? Et comment réagissons-nous ? Depuis 2001, on a isolé le génome humain et on a compris que la culture passait dans l’ADN. Il faut qu’on parle d’identité, s’interroger sur notre espace géographique et historique. Le plus grand danger est de penser que nous avons raison ».


Il a appelé à faire le bilan de toutes les disciplines pour que le regard scientifique soit complet. « La vie est une chaîne de valeurs. Dès lors que la chaîne est rompue, vous vous retrouvez avec des chaînes de savoir et de pouvoir qui sont autonomes, ne sont pas connectées. Or, la ville, c’est la transdisciplinarité, c’est l’endroit où sédentarisent les hommes depuis 70.000 ans. Nous vivons dans le futur proche, la génération qui arrive derrière le vit plus rapidement », a-t-il noté.


Et de poursuivre : « A quoi sert la ville ? Quelle est la différence entre la ville et la campagne ? Comment définir un urbain,  rural et un rurbain. La ville est un ensemble vivant traversé par des flux financiers, culturels, événementiels. Oran a été traversée, en 2022, par le flux des Jeux méditerranéens. Qu’avons-nous retenu de ce flux ? Avons-nous retenu tous les enseignements ? Les événements permettent de travailler ensemble. Il faut poser une règle principale : mettre l’être humain au centre de tous les dispositifs. Les gens font la ville, pas le contraire. Pour faire un établissement humain, il faut réunir cinq éléments : la route, la terre, le feu, l’eau et l’homme ».


« Nous avons donc contribué à créer les premiers Etats-nations dans le monde »

Halim Faïdi est revenu sur l’Histoire et sur l’identité des Algériens. Des Algériens qui font partie de l’Afrique. Un continent qui a 15.000 ans de profondeur historique. « La plus ancienne bibliothèque au monde est à Tombouctou, pas à Oslo. Et 3000 à 5000 ans de profondeur historique et culturelle est au Nord de l’Afrique. La France, le dernier colonisateur de l’Algérie, n’a que 1500 ans de profondeur historique. En Algérie, il existe des ports phéniciens. Nous avons donc contribué à créer les premiers Etats-nations dans le monde. Les Vandales, les Romains et les Ottomans sont passés aussi. L’intérêt que nous avons à nous inscrire dans ce que nous fûmes, nous permet de ne pas nous isoler dans une seule figure, celle de dire que nous sommes arabes, que nous appartenons à l’arabité. L’Algérie est une vieille terre avec plein de cultures emmêlées. La Méditerranéen est le lieu de tous les passages. Le partage fait l’évolution de la société. La ville est le parfait réceptacle du partage : l’école, le supermarché, la route… », a-t-il dit.


D’après lui, la ville numérique est en train de s’installer face à la ville physique. « Elle lui prend les services et a les mêmes codes sociaux. Dans cette ville numérique, on peut entrer, sortir, acheter, vendre, apprendre, communiquer, enseigner…Que vont devenir les villes ? Les espaces de travail ?  On circule plus, on consomme plus d’énergie, on pollue plus », a-t-il alerté.  
Selon lui, les architectes de demain seront ceux d’internet qui vont recréer les espaces sociaux et d’échange à l’intérieur de la toile. « Il faudra revoir les paradigmes. Nous sommes tous augmentés. Porter des lunettes, c’est une manière d’augmenter la vue. Le téléphone portable est une prothèse délocalisée du cerveau. On compte sur le téléphone pour mémoriser les numéros. Nous entrons dans une ère d’hyper connectivité, notre cerveau est déjà en conditionnement pour accepter l’hybridité », a-t-il averti.


« En quinze ans, la population urbaine en Afrique va passer de 400 millions à 1,2 milliards. Ce qui les attend, c’est la non vie (des blocs de bâtiments). Je suis un numéro (d’appartement), je passe par une cage pour prendre un bloc et j’habite dans une cellule. C’est un langage carcéral. Les gens ont besoin d’espaces partagés comme la rue, la ruelle, la place… », a-t-il ajouté.


Halim Faidi a cité Ghardaïa, comme un modèle de développement durable depuis 3000 ans, et où se trouve Ksar Tafilelt, « première ville éco citoyenne dans le monde », un projet lancé en 1997. Ahmed Nouh est le fondateur de sa ville où les matériaux locaux sont utilisés pour la construction comme la pierre, la terre, le plâtre, la chaux, à la place du béton.

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