En Algérie, les féminicides continuent de se multiplier dans un contexte de banalisation des violences contre les femmes, avec des chiffres alarmants. À la mi-octobre, 38 féminicides ont été recensés, dont le dernier en date concerne une octogénaire assassinée par son petit-fils. Fin septembre, un homme récemment libéré après avoir purgé une peine de prison pour le meurtre de son épouse, a tué ses deux filles. Ces tragédies reflètent l’échec des mesures légales et sociales à protéger les femmes contre les violences. Malgré une prise de conscience croissante et une mobilisation des associations, ces crimes sont encore largement sous-estimés et mal pris en charge par les autorités, aussi bien au niveau policier que judiciaire.
Trois figures militantes, Aouicha Bekhti, Feriel Khelil et Saadia Gacem, dénoncent des failles dans le système de protection des femmes et appellent à des réformes profondes pour inverser cette tendance, tout en soulignant le rôle essentiel du Réseau Wassila, qui tente d’apporter un soutien crucial aux victimes.
Selon l’avocate Aouicha Bekhti, « la majorité de celles qui se font tuer ces dernières années l’ont été parce qu’elles ont demandé le divorce, notamment le Kholâa ». Introduit en 2005 par feu Abdelaziz Bouteflika dans les amendements du code de la famille, ce droit permet aux femmes de demander la dissolution du mariage. Toutefois, beaucoup d’hommes considèrent ce choix comme un déshonneur, ce qui mène à des actes de violence extrêmes. En outre, Bekhti ajoute que « d’autres femmes sont tuées parce qu’elles ne respectent pas les ordres de leur conjoint, comme sortir sans autorisation ou répondre de façon inadéquate », soulignant une vision profondément ancrée où l’homme algérien se croit supérieur et dominateur. Ce modèle patriarcal est malheureusement renforcé par certaines femmes qui intègrent cette idée de soumission.
Feriel Khelil, juriste et avocate au réseau Wassila (Association Contre les violences faites aux femmes et aux enfants), rejoint ce constat en affirmant que les lois en vigueur, bien qu’introduites avec de grands espoirs, ne sont pas à la hauteur des attentes. Elle rappelle que la loi de 2015 sur les violences conjugales avait suscité beaucoup d’espoir au sein des mouvements féministes, car on croyait que « les femmes allaient enfin bénéficier de la protection nécessaire ». Toutefois, cette protection est loin d’être effective, notamment en raison de « la clause du pardon », qui pousse les institutions et les forces de sécurité à privilégier la préservation de la cellule familiale au détriment de la sécurité des femmes. « On conseille souvent aux femmes de pardonner, de ne pas rendre leurs enfants orphelins et de retourner auprès de leur agresseur», déplore Khelil, une situation qui, selon elle, « met les femmes endanger certain » ouvre la voie à des féminicides inévitables.
Le réseau Wassila, actif depuis octobre 2000, tente de compenser les lacunes des institutions en apportant un soutien concret aux femmes en danger. Saadia Gacem, militante au sein du réseau, souligne que l’une des principales faiblesses réside dans l’accueil des victimes dans les commissariats et les gendarmeries. « Il est nécessaire de former ces institutions à l’écoute des femmes en détresse », estime-t-elle, regrettant le manque de centres d’hébergement en Algérie, où il n’existe que cinq refuges pour tout le territoire national. Ce manque d’infrastructures contraint certaines femmes à dormir dans la rue avec leurs enfants, une situation inacceptable dans un pays où la violence conjugale et celle envers les femmes en générale est banalisée.
Face à cela, explqiue Saadia Gacem, « le réseau Wassila a mis en place un réseau d’écoute et d’assistance psychologique juridique, rappelant que chaque acte de violence, même minime, peut être le début d’un cycle pouvant mener au féminicide ». Le numéro d’urgence 05 60 100 105 permet ainsi aux « victimes de bénéficier d’une écoute bienveillante, des conseils juridiques, ainsi que d’un accompagnement tout au long des procédures judiciaires, notamment lors du dépôt de plainte ou dans le cadre de procédures de divorce ». Cependant, relève- Saadia Gacem, malgré ces efforts, Wassila manque cruellement de « ressources » pour mener à bien sa mission.
Selon elle, « les féminicides ne sont pas le résultat d’un acte isolé, mais l’aboutissement d’un cycle de violences prolongées ». « L’éducation des garçons et des filles à l’égalité dès le plus jeune âge », insiste-t-elle, « est cruciale pour combattre ces violences ». Sans ce changement profond, « nous resterons dans une société patriarcale où la domination masculine et le contrôle des corps des femmes sont des normes », conclut-elle.