Laid Rebiga, ministre des Moudjahidine et des ayants droit, a qualifié de « crime prémédité et planifié » les essais nucléaires français effectués dans le Sahara algérien dans les années 1960.
« Les explosions nucléaires françaises menées dans le sud algérien constituent un crime prémédité et planifié au regard de leur puissance aux conséquences destructrices à tous les niveaux et dont l’ampleur de la gravité a dépassé de vastes régions dans le Sud du pays pour toucher d’autres territoires de pays africains voisins et méditerranéens », a déclaré le ministre, lundi 13 février, à Reggane, au sud d’Adrar, cité par l’agence APS, à l’occasion de la commémoration du 63ème anniversaire des explosions nucléaires françaises.
« Les explosions nucléaires françaises dans le sud algérien et les crimes perpétrés contre le peuple s’imbriquent dans la stratégie coloniale, répertoriées dans son palmarès d’histoire entachée de massacres et crimes menés sans état d’âme pour déshonorer les filles et fils de l’Algérie qui ont affronté, avec véhémence et courage, ces épreuves et pratiques coloniales par les sacrifices et hauts faits pour le recouvrement de la liberté et la souveraineté nationale », a-t-il ajouté.
« Gerboise bleue », quatre fois plus qu’Hiroshima
Entre 1960 et 1966, la France a effectué 4 essais aériens à Reggane et 13 essais souterrains à In Ecker, au nord de Tamanrasset. « Gerboise bleue » était le nom de code donné à la première bombe au plutonium (bombe A) qui a explosé le 13 février 1960 à 7h du matin à El Hammoudia, à Reggane.
La puissance de la bombe était de 70 kilotonnes, quatre fois plus forte que Little Boy, la bombe à base d’uranium, larguée par les américains le 6 août 1945 sur la ville japonaise d’Hiroshima (15 kilotonnes). Little boy a tué près de 140.000 personnes et rasé la ville. « Gerboise bleue » est le test atomique le plus puissant de l’Histoire, selon les experts, devant le pakistanais Chagai-I (40 kilotonnes) et le britannique Hurricane (25 kilotonnes).
Le 1 mai 1962, l’armée française a effectué un essai nucléaire à In Ecker, qui a viré au cauchemar. La bombe Béryl, d’une puissance de 40 kilotonnes, deux fois la puissance de Fat boy, la bombe atomique américaine qui a dévasté la ville japonaise de Nagasaki, le 9 août 1945, et tué des dizaines de milliers de personnes. Béryl devait exploser en souterrain dans la montagne de Taourirt Tan Afella. Une défaillance du confinement a provoqué la libération d’un nuage radioactif dans l’air, contaminant tous les villages environnants dont In Amguel. Cet accident n’a toujours pas livré ses secrets, entouré partiellement de « secret défense », à ce jour.
Dépôt de plainte contre la France
En février 2022, l’avocate algérienne Fatima Benbraham a déposé plainte contre l’Etat français devant la Cour pénale internationale en raison de l’impact des explosions nucléaires sur la population, sur la faune, sur l’eau et sur l’environnement. La France n’a toujours pas indemnisé les victimes algériennes des cinquante sept essais atomiques et chimiques dans le Sahara algérien.
« Bien que la loi Morin de 2010 prévoit une indemnisation pour les victimes des essais nucléaires français, seul un dossier algérien a pu obtenir réparation en 10 ans », a précisé la chaîne TV5 Monde.
Le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a été créé en vertu de la loi 2010-2 du 5 janvier 2010, dite loi Morin. Cette loi précise qui est concerné et quelles sont les conditions à réunir par les victimes pour obtenir une indemnisation de l’Etat français.
Selon Fatima Benbraham, la France n’a reconnu qu’une liste limitée des maladies radio-induites, provoquées par les radiations nucléaires (malformations, cancers, cécité, etc). L’avocate en a dénombré 42 alors que la France n’en reconnaît que 18.
« Sous le sable, la radioactivité »
« On a une vision d’un Sahara où il n’y a pas grand monde, qu’il y a seulement un désert. Or à l’époque (les années 1960), il était habité d’importants villages, mais considérés comme quantités négligeables par la classe dirigeante de l’époque. De Gaulle avait espoir d’isoler le Sahara de l’Algérie, pour le garder comme terrain d’expérimentation», a souligné, dans une déclaration à la presse, Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements et co-porte-parole de l’ICAN (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires) France.
Patrice Bouveret a publié avec Jean-Marie Collin, expert et porte-parole de l’ICAN, une importante étude, « Sous le sable la radioactivité, les déchets des essais nucléaires français en Algérie », éditée par la Fondation Heinrich Böll.
« On ignore que les générations actuelles et futures et l’environnement du sud algérien restent soumis aux déchets, notamment radioactifs, présents sur ces sites. Cette étude dresse ainsi un premier inventaire de ce qui a été volontairement laissé (déchets non radioactifs, matériels contaminés par la radioactivité, matières radioactives issues des explosions nucléaires) et enfouies sous le sable du simple tournevis contaminé par la radioactivité, aux avions et chars », est-il précisé dans l’étude.
Ouverture à Reggane d’un musée sur les explosions nucléaires françaises
L’Algérie a appelé officiellement la France à indemniser les victimes des essais nucléaires français dans le sud algérien, à livrer les cartes topographiques des lieux d’enfouissement des déchets radioactifs et à engager des opérations de décontamination des lieux où les essais ont eu lieu.
« Les pratiques du colonialisme français menées contre le peuple algérien sont loin d’honorer les valeurs humaines, ni dans la lettre ni dans l’esprit. Le colonisateur a opté délibérément pour la déportation, l’exil, le déplacement, le génocide et l’effacement des repères de l’identité nationale. Il a usé de tous les moyens juridiques, administratifs et militaires pour conférer une légitimité à son occupation à l’effet d’asservir le peuple algérien, le dépouiller de ses droits et éteindre la flamme de résistance innée de ce vaillant peuple », a accusé Laid Rebiga.
Il a annoncé l’ouverture du premier musée thématique en Algérie « sur les explosions nucléaires françaises à Reggane qui met en évidence des volets liés à ce carnage colonial que sont les explosions nucléaires et les efforts de l’Etat dans la prise en charge de leurs effets ionisants sur l’homme et l’environnement ».
« C’est un espace destiné à l’enregistrement des témoignages des Moudjahidine, témoins oculaires des explosions nucléaires, afin de les mettre à la disposition des chercheurs et spécialistes », a indiqué le ministre. Il a appelé la population locale et celles des régions environnantes « d’enrichir les composantes du musée ».