Convoquée par le jour et la lumière, midi à sa montre, le soleil au zénith c’est l’heure de la photographe : aucune ombre ne sera sur ses clichés en noir et blanc.
C’était un jour de l’été 21, peu après les funestes incendies de Kabylie …
L’année précédente l’Oranie avait brûlée aussi et aujourd’hui la terre était sèche depuis plusieurs semaines à la merci de la moindre imprudence ou d’un geste malveillant la catastrophe pouvait surgir .
Sur la route de Tlemcen, prés de Sig, même les escargots s’étaient réfugiés dans les cardons pour échapper à la chaleur des sols .
Arrivée au village d’Oggaz le thermomètre marquait 34°, la chaleur devenait écrasante, la lumière violente sur les yeux de Jamila Loukil.
Sur certaines parcelles l’herbe était rare pour faire paitre les moutons, les sols arides et les hommes souffraient.
Les paysans se plaignaient «l’agriculture a été tuée» et ils racontaient : la terre ne leur appartenait pas et ils n’avaient aucun moyen pour l’entretenir.
En effet la révolution agraire des années Boumedienne avait redistribué les terres et l’Etat avait donné pour usage certaines aux agriculteurs avec pour principe très socialiste « La terre appartient à ceux qui la travaillent ! »
On a juste oublié de tenir les cadastres à jour, aussi le principe de «propriétés acquisitives » ne pouvait s’appliquer dans le réel et les trafics d’actes de propriétés s’étaient multipliés ces dernières années ; certaines terres avaient été privatisées et on se souvient tous d’un ancien haut gradé faisant visiter sa palmeraie à Yves Bonnet patron à l’époque de la DST en France …
Hogra we khlass ! !
Les raisins de la colère ont fait place aux dattes .
Un homme avec un chapeau de paille que lui aurait envié Van Gogh, un bâton en bois à la main, un visage buriné au sourire figé – une politesse du désespoir fréquente dans l’Oranie – parcourt sa terre coincée entre la cimenterie et la route .
Les hommes souffrent …
Hogra we khlass !
Leurs mots sont rouillés dans leurs gorges, la misère rode et ce sont des vies au goût de pierres frottées au silence. Le monde est une mâchoire ouverte qui offrent ses carcasses au jour .
Hogra we khlass !
Photographies @Jamila Loukil