Féminicides en Algérie : un combat inégal contre l’indifférence et la banalisation

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Féminicides en Algérie : un combat inégal contre l'indifférence et la banalisation
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Il y a cinq ans, le collectif Féminicides Algérie a vu le jour avec une mission urgente : alerter la société et les institutions algériennes sur l’augmentation alarmante des féminicides et leur inquiétante banalisation. « Nous avons perdu l’une des nôtres », scandent ses membres, tandis qu’ils dénombrent minutieusement chaque assassinat de femme relaté par la presse. À la mi-octobre, le triste bilan s’élève déjà à 38 victimes.

Ces crimes, que le collectif qualifie de « forme ultime de violences faites aux femmes », s’inscrivent dans un environnement marqué par des violences multiples – physique, psychologique, sexuelle, économique – qui s’enchevêtrent et s’amplifient, jusqu’à l’inéluctable tragédie.


Le féminicide, une violence multiforme
Un féminicide n’est pas un homicide ordinaire, explique d’entrée Wiame Awres co-fondatrice de Féminicides Algérie. « Il s’inscrit dans un cycle de violences multiples. Cela inclut le harcèlement, que ce soit dans la rue, au travail ou encore celui lié à un refus d’un mariage forcé, où le rejet peut mener à un assassinat ». On observe également, ajoute-t-elle, des cas où des femmes âgées vivant seules sont assassinées par des voisins ou des groupes pour des motifs de vol, ajoutant une nouvelle dimension à ces crimes qui ciblent des femmes vulnérables.

Des chiffres en hausse, mais sous-estimés
Entre janvier et mi-octobre de cette année, l’association a recensé 38 féminicides, soit un par semaine. Toutefois, ce chiffre est loin de refléter la réalité. Les statistiques officielles, lorsqu’elles existent, sont incomplètes. L’absence d’informations précises pousse Féminicides Algérie à faire son propre décompte, en donnant non seulement des chiffres mais aussi des visages et des histoires aux victimes. Le cas de Wafa Ziadi, assassinée après avoir subi des violences conjugales, ou celui des deux sœurs tuées par leur père à Constantine 15 ans après avoir tué leur mère, illustrent cette réalité dramatique.

Les causes du silence médiatique
Le manque de visibilité des féminicides dans les médias s’explique en partie par la perception de ces crimes comme de simples « faits divers ». Le rôle des médias dans la sensibilisation est crucial, mais en Algérie, ils sont souvent restreints par un manque de liberté et de moyens. Les féminicides, bien que largement motivés par la possession et le contrôle des femmes, sont rarement traités sous cet angle.

Les risques majeurs : rupture et menaces de mort
Les séparations sont l’un des moments les plus dangereux pour les femmes, qu’elles aient quitté ou non le domicile conjugal. Les menaces de mort, qui précèdent souvent un assassinat, souligne Wiame Awres, sont un signe alarmant mais peu pris en compte. L’exemple de Kelthoum Rekhila, menacée et harcelée par son ex-mari avant d’être tuée en février 2022, montre l’inefficacité des mesures de protection en place. Les signes avant-coureurs existent, mais sont souvent ignorés ou sous-estimés par les institutions, précise Awres.

Des obstacles systémiques à la protection des femmes
Les femmes victimes de violences font face à de nombreux obstacles, qu’ils soient économiques, sociaux, institutionnels, ou même psychologiques. La dépendance économique empêche souvent les femmes de quitter un foyer violent, et les normes sociales culpabilisent les victimes, les forçant à accepter des violences comme une fatalité. Dans les commissariats, ajoute la co-fondatrice de Féminicides Algérie, les policiers découragent souvent les plaintes, considérant ces affaires comme relevant de la sphère privée.

Le manque criant de structures d’hébergement
Actuellement, seules cinq structures d’hébergement étatiques existent en Algérie pour 58 wilayas. De plus, ces centres destinés aux femmes seules, fonctionnent souvent comme des prisons, où les femmes sont privées de leurs libertés élémentaires. Certaines structures refusent même d’accueillir les femmes avec enfants, forçant ainsi un choix cruel entre la sécurité et la maternité.

Les failles législatives et institutionnelles
Les lois algériennes ne protègent pas suffisamment les femmes, en dépit de certains progrès. La clause du pardon dans les cas de violences conjugales et le code de la famille, qui maintient les femmes sous une autorité masculine, sont des exemples des discriminations encore présentes. Il manque également des mesures d’éloignements nécessaires pour éviter le féminicide et ceux de la protection pour les enfants dont la mère a été assassinée par le père.

Le rôle crucial de l’éducation et des mentalités
Pour Wiam Awres, lutter efficacement contre les féminicides, nécessite un travail sur l’égalité entre filles et garçons dès le plus jeune âge. La société doit cesser de voir la femme comme une possession de l’homme, et les parents doivent apprendre à protéger et soutenir leurs filles. En parallèle, il est essentiel de changer le traitement médiatique de ces affaires, en donnant la parole aux familles des victimes et en dénonçant les discours misogynes récurrents dans l’espace public.

Wiame Awres appelle, en ce cinquième anniversaire de la création du collectif, à une prise de conscience collective et à une meilleure prise en charge institutionnelle des victimes pour éviter que ces crimes ne se reproduisent à l’avenir. « Rien ne justifie l’assassinat d’une femme », rappelle-t-elle, tout en espérant que les efforts conjugués des associations, des médias et des autorités mettront un terme à ces violences.

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