Femmes algériennes au balcon

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Femmes algériennes au balcon
Photos de Jamila Loukil
Google Actualites 24H Algerie

De Goya à Manet et Murillo, les peintres, puis les écrivains de Shakespeare à Rostand et enfin les cinéastes comme Léo Maltes ou Nicole Garcia , tous ont fait des oeuvres autour d’un lieu : le balcon, cet espace privilégié et ambigu qui rapproche et met à distance à la fois. 

Aussi quoi de plus naturel que la photographe Jamila Loukil s’y attelle à son tour et observe dans ce champ, ce dedans/dehors,  les femmes  algériennes.  Autant de portraits, autant de situations qui nous interrogent sur celles qui y vivent quelques moments, qui s’y échappent, qui y respirent.

Ce jour là, ils arrêtèrent la marche et lui chantèrent comme Cyrano à Roxane 

« Yel Hadja maranech mleh « (la Hadja nous ne sommes pas bien ). 

Voila plusieurs vendredis où Lala Kheira s’installait sur son balcon, une couverture rayée turquoise aux pieds. 

Elle semblait être convoquée par le soleil et la lumière, la rue se levait et elle avait paré sa tête d’un foulard rouge et rose. Elle observait, scrutait les sourcils froncés et la bouche fermée. Elle pourrait être napolitaine , mais non, elle est d’Oran .

La ferronnerie de son balcon avait rouillée, mais elle songeait aux combats qu’il fallait mener tête haute. Elle aurait voulu prendre d’assaut la rue envahie de colère et de gaité, elle aurait fait briller les lampadaires, mais le temps avait raidi ses jambes et freiné ses désirs.  

Eux avaient déterré l’espoir enfoui depuis trente années et qu’on pensait scellé à 

jamais sous les pierres brulantes assoiffées d’eau de fleur d’oranger et de cannelle pour toujours . 

Pour Lala Kheira la nuit fut longue , trop chaude et elle était à la recherche d’un morceau de drap frais, d’un bout de tissu léger appliqué sur sa joue, d’un espace de gaité, d’un moment de solitude sans douleur, sans lourdeur, juste en apesanteur, une pensée douce entre ses mains décharnées et son oreiller douillet . 

Rouge, jaune, vert, rose elle étendra le linge comme une palette quotidienne. Le sourire sur le visage, elle est tout à sa tache . La journée est chargée; la belle fainéante allongée sur un sofa sera laissée à Matisse et ses odalisques.

Elle répète à l’infini, solitaire bien souvent, les mêmes taches ménagères prise dans la toile quotidienne de son espace domestique comme emprisonnée par la vie. Ne reste que l’habitude de vivre pour que la maison tourne .

Aucun espace pour la méditation, la contemplation, les rêves ou les regrets, les espoirs , le ciel ou les bougainvilliers. Elle a été éduquée dans la culture de l’enfermement avec, pour unique horizon, la répétions de gestes réalisés avec minutie dans cette tragédie domestique, ordinaire somme toute, et sans fuite possible .

Pourtant la mer est juste là et le ciel bleu à jamais loin des pensées pleine de tristesse et d’ombre dans la gorge . Le soleil peut sécher les larmes et jouer encore avec les jours lumineux dans une journée particulière. 

Le mur est bleu, le balcon ouvragé et des écailles de peinture se détachent de leur surface comme des flocons . Trois adultes et une enfant dans les jupes de sa grand’mère. L’une semble appeler une personne dans la rue. 

Cette rue égaillée dont les cernes envolées semblent faire fuir les gros nuages qui font de l’ombre sur le balcon mais on se plait à y trouver une tendresse, un espoir, un soleil, des embruns.

Elles sont dedans et dehors dans cet espace privilégié, cette superstructure posée en extension sur la façade, ce balcon si présent dans la littérature amoureuse, dans la peinture comme chez Manet où seraient présentes plusieurs Berthe Morisot .

Seule l’enfant, le sommeil encore dans le corps, même pas effrayée par ses rêves s’adosse à sa grand-mère . 

Deux femmes, dont une, un téléphone portable sur l’oreille, des tapis roulés sur un mur jaune soleil. Le balcon est presque fermé par une grille et toujours des fils électriques courent sur le mur.

Le ciel est ouvert mais les regards piégés comme un espoir sans lune ou des cailloux sournois sur un chemin aveugle. On pense à « Un bacon sur la mer » de Nicole Garcia sans le glamour de la Méditerranée. 

L’inquiétude est là mais je ne veux regarder que le soleil peint en grande largeur sur le mur. Le balcon est en béton, aucune ferronnerie qui laisse apercevoir les corps : aucune ambiguité, on est dans l’enfermement et, seul pourrait la sauvait le téléphone … peut-être …

C’est l’été, la saison où l’on roule les tapis des salons, pour garder la fraîcheur des sols carrelés .

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