El Gharib » (l’étranger) du syro-palestinien Ameer Fakhreddine a été projeté, vendredi 2 décembre, en ouverture du 11ème Festival International du Cinéma d’Alger (FICA), à la salle Ibn Zeydoun, à l’Office Riad El Feth.
Les influences picturales et littéraires du jeune Ameer Fakher Eldin apparaissent dès les premières images de ce long métrage particulièrement dense. Il y a un peu « La métamorphose » de l’austro-hongrois Franz Kafka ou encore le célèbre tableau du français Joseph-Désiré Court, « Une scène du déluge », produite en 1826.
Dans cette toile, un homme nu tente de sauver son père des eaux et délaisse son fils et sa femme. L’idée de l’homme qui préfère s’accrocher au passé au lieu de regarder l’avenir est fortement présente dans « El Gharib ».
Adnane (Ashraf Barhom), qui vit dans le village de Majdal Chams, dans le Golan syrien, occupé par Israël depuis 1967, est toujours absent de la maison, malgré les inquiétudes exprimées par son épouse Leila.
« Vivre à l’ombre de l’autre » ?
« Comment, une personne peut-elle vivre à l’ombre d’une autre ? », se demande Leila, frustrée de ne pas voir son époux présent à la maison aux côtés de sa fille.
Adnane, qui vit une crise existentialiste, préfère s’isoler dans un cabanon planté en plein champ d’arbres fruitiers. Il noie sa solitude choisie et son spleen en buvant du vodka, une habitude de son séjour à Moscou. Adnane n’a pas terminé ses études de médecine en Russie.
Il regarde souvent de la fenêtre une terre qui, peut-être, ne le reconnaît pas. Il est nostalgique et triste à la fois. Le temps est, comme lui, maussade, pluvieux, brumeux, nuageux…
Adnane, en conflit avec lui-même, n’a pas de bons rapports avec son père (Mohamed Bakri). Un père qui pense que son fils n’a pas choisi la voie qui a voulu lui imposer, il décide alors de ne rien lui laisser en héritage.
Les parents d’Adnane, un père habillé en noir et une mère vêtue de blanc, s’occupent d’une vâche laitière mourante alors qu’Adnane, souvent silencieux, est accompagné d’un chien infirme.
Le soleil a disparu…
Tout est blessure et cassure dans ce film plongé dans la grisaille. Dans le film de Ameer Fakher Eldin, le soleil a disparu. Comment l’astre du jour peut-il briller alors que la terre est occupée ? Le réalisateur a fait en sorte de montrer à chaque fois la beauté naturelle du Golan avec ses arbres et ses vallées. Et, à plusieurs reprises, il rappelle aussi « la guerre » en Syrie avec des bombardements lointains des collines. La guerre est entendue mais pas vue sans doute parce que le jeune réalisateur n’a pas de réponses sur ses objectifs.
Les soldats israéliens sont bien présents dans le film, discutent en hébreu avec Adnane et ses deux amis. La scène d’un contrôle dans un check-point exprime parfaitement la sensation de l’enfermement avec des images captées de l’intérieur de la voiture. La vie d’Adnane est basculée par la rencontre d’un jeune syrien blessé…qui lui montre une ancienne photo, une maison à peine visible et un arbre imposant. Que signifie donc cette photo?
« Une occupation oubliée »
Ameer Fakher Eldin considère que l’occupation du Golan par Israël depuis plus de cinquante ans est « oubliée ». « Le personnage Adnan se sent étranger dans sa propre communauté », a-t-il dit dans une interview. Il envisage de donner suite à « El Gharib » avec un deuxième film qui raconte l’histoire d’un dramaturge syrien, refugié en Allemagne. « Si vous ne pouvez plus retourner dans votre pays, qu’en sera-t-il de votre passé ? Notre passé peut-il nous oublier ? » », s’est interrogé le cinéaste pour évoquer le déchirement des habitants du Golan qui ne peuvent plus entrer en Syrie. Le film portera le titre de « لا شيء من شيء يبقى » (Rien ne restera).
« El Gharib » a décroché un prix au 78ème Mostra de Venise en Italie, dans la section » Giornate degli Autori( Journées des auteurs), qui s’est déroulée en septembre 2022. Le film a été également primé au dernier Festival du Caire. Le film est proposé pour représenter la Palestine dans les Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger.