Le documentaire « Mains libres » ou « Troncs de figuiers » de l’italien Ennio Lorenzini, produit en 1964, par Casbah Films, est le premier documentaire algérien.
Il a été projeté, samedi 3 décembre, à la cinémathèque d’Alger, à la faveur du 11ème Festival international du cinéma d’Alger (FICA) qui se déroule jusqu’au 10 décembre. La première projection de ce documentaire, en version amoindrie, a été faite en 1964. Une copie rare de 35 mm de « Troncs de figuiers » – une expression humiliante française utilisée pour qualifier les algériens à l’époque de la colonisation- a été retrouvée par l’artiste franco-algérienne Zineb Sedira et le chercheur italien Luca Peretti dans le catalogue de Aamod (Archivio Audiovisivo del Movimento Operaio e Democratico).
Aamod est une fondation chargée depuis 1985 ans de la sauvegarde du patrimoine audiovisuel du Mouvement ouvrier et démocratique italien.
« Personne ne s’est intéressé à ce film malgré qu’il était dans ce catalogue mais avec un autre titre « Troncs de figuiers ». Sans être caché, le film « Mains libres » est resté invisible. Aujourd’hui, il y a de l’intérêt pour ce documentaire et pour le travail fait par les italiens et les algériens dans le domaine cinématographique après l’indépendance de l’Algérie », a expliqué Luca Peretti, lors d’un débat organisé à la cinémathèque algérienne et modéré par Ahmed Bedjaoui, directeur artistique du FICA.
Luca Peretti, qui est chercheur à l’Académie post-doctorale britannique de Warwick, travaille actuellement sur les relations dans le domaine de la production cinématographique entre l’Algérie et l’Italie dans les années 1960-1970, avant et après la réalisation de « La bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo. Ce film a été produit par Casbah Films de Yacef Saâdi qui avait décidé de réaliser aussi un documentaire sur la nation naissante après le recouvrement de la souveraineté nationale. Ennio Lorenzini a été proposé par Gillo Pontecorvo.
« Un film sur la réalisation de films »
Pour les besoins d’un court métrage, Zineb Sedira s’est intéressée aux films tournés par des italiens en Algérie. « Je n’arrêtais pas de tomber sur le titre de « Mains libres » dans ma recherche. J’ai demandé autour de moi et on m’a dit « oui oui ça existe » mais personne ne semblait l’avoir vu. Puis, après avoir cherché un moment aux mauvais endroits, rien qu’en consultant le catalogue Aamod on s’est rendu compte qu’ils l’avaient. Je me suis intéressé au processus de recréation de morceaux de ces films, à travers une forme de mise en abyme », a déclaré Zineb Sedira au journal de gauche italien Il Manifesto.
Et d’ajouter : »J’ai donc recréé, en utilisant des amis et des collègues comme actrices, une partie de ces films tournés en Algérie, comme « Le bal » d’Ettore Scola, « L’Etranger » de Luchino Visconti, « La Bataille » d’Alger, etc., et ces images sont devenues une partie de mon court métrage. Un film sur la réalisation de films. « Les Mains libres » c’était un peu le point de départ, ça revient quatre fois dans mon court métrage où je mets en scène mon histoire de migration et d’expérience diasporique ».
« Une liberté qu’il faut consolider »
Luca Peretti a rappelé qu’Ennio Lorenzini a réalisé un autre film sur l’unification de l’Italie en 1861 avant de disparaître des écrans. Mohamed Zinet a assisté Ennio Lorenzini pour le réaliser de ce documentaire de 54 minutes restauré par la Fondazione Cineteca di Bologna.
Le film « Mains libres » ou « Troncs de figuiers » raconte les premiers moments de l’indépendance de l’Algérie avec le retour le 26 octobre 1962 du navire Le Kairouan de Marseille avec des milliers d’algériens à bord.
« Tous retournent libres et fiers au pays retrouvé », dit le commentaire, lu par Si Mohamed Baghdadi. « La liberté, c’était hier à peine. Une liberté qu’il faut consolider et chaque jour raffermir. De nouveau, l’Algérie se retrouve à la croisée des chemins, face à sa destinée, avec deux mondes à intégrer, le moderne et le traditionnel », est-il ajouté.
Le documentaire montre des images de grande pauvreté dans le sud du pays, notamment à Ouargla et Ghardaïa. « Le Goléa détruite. Où est la civilisation ? Et où est la barbarie? Les pierres silencieuses portent la marque de l’imposture, témoignent de la grandeur de ceux qu’on civilise par le fer et le sang, disent les enfumades et les massacres collectifs, crimes génocidaires perpétrés au nom de la civilisation », est-il souligné dans le documentaire.
Des images rares sur les crimes de l’OAS
Des images de la découverte d’un lieu de torture des algériens par des soldats français sont également montrées dans le documentaire critiquant « une civilisation qui n’avait aucune mission ». Les assassinats commis par l’OAS, Organisation de l’armée secrète, avant l’indépendance de l’Algérie, surtout entre avril et mai 1962, sont crûment exposés dans le film avec des cadavres d’enfants, de femmes et de personnes âgés algériens étalés par terre dans leur sang. Des images rares.
« Mains libres » montre aussi la prise en charge par les algériens de la production du pétrole à Hassi Messaoud, la transformation de l’agriculture, la faiblesse de l’économie, le débat entre étudiants à Alger sur « le socialisme et l’islam ».