Juliana Fanjul a surmonté des menaces et des peurs pour réaliser le documentaire « Silence radio » sur la censure au Mexique, projeté en compétition au 11ème Festival international du cinéma d’Alger qui se déroule jusqu’au 10 décembre 2022.
Carmen Aristegui, journaliste vedette à la radio MVS au Mexique, une radio appartenant à un groupe espagnol, est licenciée. Son émission matinale est pourtant très suivie avec au moins dix-huit millions d’auditeurs. A l’antenne, Carmen Aristegui a dénoncé l’affaire dite de « la Maison blanche ». Il s’agit d’une somptueuse villa de 1440 m2 offerte à Angélica Rivera, une star de la télévision, épouse du président Enrique Peña Nieto, qui a dirigé le Mexique entre 2012 et 2018.
Selon Carmen Aristegui, cette villa, située dans un quartier chic de Mexico, a été offerte au couple présidentiel par une filiale du groupe de construction mexicain Higa, dirigé par Juan Armando Hinojosa, un ami Enrique Peña Nieto.
La contrepartie était l’obtention d’un marché public pour la construction d’un train à grande vitesse devant relier Mexico à Querétaro, en partenariat avec China Railway.
« Je ne devrais pas avoir peur de faire mon travail »
Dans le documentaire, Juliana Fanjul montre que le président Peña a été obligé de rembourser le groupe chinois après l’annulation du projet.
Carmen Aristegui poursuit son aventure journalistique en lançant une webtv Aristegui Noticias en attendant la construction de sa propre radio. « La journaliste a investi ses propres économies dans ce projet », est-il souligné.
Malgré les pressions et les menaces, Carmen Aristegui, aidée par d’autres reporters, dévoile d’autres affaires de corruption comme des fausses factures payées par des recteurs d’universités avec la complicité du gouvernement.
Elle annonce à l’antenne l’assassinat du journaliste Javier Valdes le 15 mai 2017 à Culiacán (nord-ouest du Mexique). Il était ciblé pour ses enquêtes sur le trafic de drogue. Plusieurs manifestations ont été organisées dans le pays pour réclamer « la justice pour Javier ». Sans suite.
« Je ne devrais pas avoir peur de faire mon travail, de faire du journalisme », a déclaré un reporter devant la caméra de Juliana Fanjul . « Personne ne doit mourir pour son travail », enchaîne un autre. Les journalistes de Aristegui Noticias reçoivent des menaces de mort sous plusieurs formes.
Affaire des 43 étudiants«
Aujourd’hui, en 2022, douze journalistes ont été assassinés au Mexique. Donc, un journaliste est tué par mois dans ce pays », regrette Juliana Fanjul.
Dans « Silence radio », elle revient sur la disparition de 43 étudiants en 2014 en montrant les manifestations réclamant la vérité sur cette affaire. En août 2022, la justice mexicaine a ordonné l’interpellation de l’ancien procureur général de 64 militaires et policiers après avoir décidé de qualifier l’affaire de « crime d’Etat ».
Le soir du 26 septembre 2014, des étudiants de l’école normale d’Ayotzinapa, dans l’Etat de Guerrero, au sud du Mexique, décident de se rendre à une manifestation à Mexico à bord de bus. Arrivée à la ville d’Iguala, le cortège tombe dans une embuscade…
Victime de Pegasus
Carmen Aristegui découvre qu’elle est une des victimes du logiciel d’espionnage israélien Pegasus.
« J’ai passé quatre ans près de Carmen. Elle n’a jamais montré des signes de peur ou d’hésitation. C’est une femme forte. Elle abandonne ses repas, termine son travail tard dans la soirée, pour travailler », relève Juliana Fanjul.
« Malgré le changement de gouvernement, la situation n’a pas évolué. Cela ne dépend pas du président, mais d’un système complètement corrompu. Les cartels de la drogue ont pris quelque part en otage le système politique. Ces cartels financent les campagnes électorales. Ils ont imposé une culture de violence dans le pays. La drogue vient de Colombie et traverse le Mexique dans la route vers les Etats Unis. C’est là où le pays est impacté « , dit-elle.
Et d’ajouter : « notre grand malheur est d’être voisin des Etats Unis. A partir d’un certain moment, la plupart des présidents qui ont pris le pouvoir au Mexique ont tous fait leurs études aux Etats Unis ».
Le système PRI«
Silence radio », qui rend hommage au combat des journalistes au Mexique, porte une critique forte contre le système de gouvernance imposé par le PRI, Partido Revolucionario Institucional (Parti révolutionnaire institutionnel). Ce PRI, né à gauche avant de virer vers le centre-droit même s’il reste membre de l’International socialiste, a dominé la scène politique mexicaine pendant plus de 70 ans.
« Des enquêtes ont montré que la campagne d’Enrique Peña Nieto a été en partie financée par le cartel de Juárez. Le groupe médiatique Televisa est aux mains du PRI. Des pressions MVS ont exercées pour licencier Carmen Carmen Aristegui sinon la radio perd ses fréquences « , note Juliana Fanjul.