Le financement non conventionnel est l’expression élégante trouvée par nos gouvernants pour désigner le recours à la planche à billet. C’est ainsi que l’avait clairement signifié la Banque d’Algérie. Dans un communiqué publié en 2019, intitulé « Point de situation sur le financement non conventionnel », la principale institution bancaire du pays n’hésite pas à parler de « mode extrême de financement de l’économie » et d’établir nettement l’équivalence : « recours au financement dit non conventionnel (planche à billets) ».
Toujours dans ce communiqué et à propos du « financement non conventionnel », la Banque d’Algérie alerte : « Une telle option risque d’entraîner l’économie dans une spirale inflationniste et de dépréciation de la monnaie nationale, fortement dommageables ».
Le bilan affiché alors est le suivant : « Depuis la mi-novembre 2017 et à fin janvier 2019, un montant de 6.556,2 milliards de DA, a été mobilisé par le Trésor, auprès de la Banque d’Algérie, au titre de la mise en œuvre du financement non conventionnel ».
Pour avoir un ordre de grandeur, le Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Algérie pour l’année 2020 s’élève à 145 milliards de dollars, soit 19 865 milliards de dinars. Autrement dit, le montant global du « financement non conventionnel (planche à billet) » représente le tiers de la production de richesses à l’intérieur du territoire national pour l’année 2020. Précisons que recourir à la planche à billet, c’est répandre dans le marché national une quantité de monnaie sans son équivalent de marchandises.
La Banque d’Algérie ne s’y est pas trompé. L’Algérie se trouve « dans une spirale inflationniste ».
LES COMMERCANTS BOUCS EMISSAIRES
L’idée selon laquelle les pénuries et la hausse des prix résultent d’un recours délictueux au stockage des marchandises est simple et séduisante. Les consommateurs au contact direct des commerçants trouvent là une explication plausible. Les marchandises manquent sur les étals ou sont chers.
Les déclarations gouvernementales insistent sur la disponibilité des marchandises par la production nationale ou l’importation. Ces marchandises sont donc soustraites à la commercialisation immédiate à des fins spéculatives. Le terrain est tout préparé pour qu’au cours du Conseil des ministres du 03 octobre 2021, le Président de la république estime nécessaire de « Charger le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, d’élaborer le projet de loi relatif à la lutte contre la spéculation au plus tard à la date de la prochaine réunion du Conseil des ministres, avec des peines allant jusqu’à 30 ans pour ceux qui jouent avec le gagne-pain des Algériens, car il s’agit d’un crime à part entière ».
Il a également « ordonné immédiatement » de « Renforcer le contrôle sur le terrain des commerces pour interdire toute hausse injustifiée des prix des produits alimentaires, avec le retrait définitif des registres de commerce pour les commerçants impliqués ». Ainsi, l’ennemi est identifié. Ce sont les « commerçants spéculateurs » qui affament le peuple.
En toute logique déductive, l’ami ou l’allié est également identifié. C’est l’Etat. Tout le monde participe à ce simulacre d’explication économique. La presse nationale n’est pas en reste. Pourtant, c’est un scénario répété depuis que l’Etat a pris le contrôle quasi-total de l’économie. Depuis la période socialiste et ensuite l’hyper-étatisme qui perpétue le même mode de fonctionnement de l’économie, les gouvernements qui se succèdent incriminent les spéculateurs et renforcent le contrôle administratif du marché. Aucun cas de succès de telles méthodes n’a été enregistré. Mais cela ne sert pas de leçon.
Les mêmes erreurs sont reproduites. L’opinion publique avale ces explications et méthodes. A la grande satisfaction des gouvernants. Cela se comprend, le responsable principal de ces perturbations du marché, l’Etat, s’en trouve dédouané. Cela continuera ainsi tant qu’il ne sera pas établi le lien entre la politique inflationniste du gouvernement et la hausse des prix.
Cette mise à l’index des commerçants et particulièrement du commerce de gros s’exprimait dans le passé par l’exclusion souhaitée des « intermédiaires ». Des opérations « du producteur aux consommateurs » ont été tentées. Sans succès durable et général.
Le commerce de gros est un acteur indispensable de la circulation des marchandises. La production et l’importation sont localisées dans des points particuliers du territoire national. Ce sont les commerces de gros et de détail qui assurent la disponibilité des produits alimentaires sur tout le marché national. Ils jouent un rôle régulateur quand l’Etat ne perturbe pas le marché par son dirigisme administratif.
LA RESPONSABILITE DE L’ETAT
Cette responsabilité ne peut être établie qu’à la condition que la hausse des prix et les pénuries des denrées alimentaires soient corrélées à la politique inflationniste des gouvernements. Cette relation n’est pas évidente. Elle suppose d’abord une définition correcte de l’inflation. La science économique impute la hausse des prix à l’augmentation démesurée de la masse monétaire sans qu’une création équivalente de richesses ne soit intervenue. Le surplus monétaire ainsi créé provoque l’inflation.
Les consommateurs le constatent, dans leur quotidien, à travers l’augmentation des prix des produits alimentaires. Cette correction théorique intervenue, la difficulté à comprendre ce phénomène provient également du temps qui sépare la création du surplus monétaire et les manifestations d’augmentation des prix. Le « financement non conventionnel » commence en novembre 2017 et c’est au cours de cette année 2021 que les consommateurs en ressentent fortement les effets. L’inflation n’est pas immédiatement générale. Elle affecte progressivement l’économie. Elle satisfait les premiers bénéficiaires de cette injection de monnaie.
L’Etat en tire profit. Premier employeur du pays et grand dépensier, l’Etat ne produit pas de richesses. L’Etat vit des ponctions sur les revenus des agents économiques. L’inflation peut être assimilée à un impôt qui ne dit pas son nom. En effet, l’inflation augmente les capacités de financement de l’Etat au budget déficitaire alors que le pouvoir d’achat des consommateurs diminue. Ce processus constitue par conséquent un transfert de revenus.
Dans ces conditions, les explications « économiques » vulgaires qui ignorent cet espace-temps, désignent le coupable à portée de main, « les commerçants spéculateurs ». Ce qui évidemment réjouit les gouvernants. Une autre difficulté à comprendre l’inflation est induite par la définition courante de la monnaie. L’approche figée courante ignore que la monnaie est une marchandise particulière soumise aux variations des conjonctures économiques. L’Etat, à travers la Banque centrale, détermine pour l’essentiel sa valeur sur le marché.
Une politique monétaire expansionniste, crédit généreux et planche à billet, diminue la valeur de la monnaie sur le marché. A l’inverse une politique monétaire restrictive, crédits à taux d’intérêt élevés et non recours à la planche à billet, augmente la valeur de la monnaie. Le salarié dispose mensuellement d’une paie. Il dispose ainsi d’une créance généralisée qui lui permet l’échange avec des marchandises et des services. C’est son pouvoir d’achat.
Sur le marché, en période d’inflation, il fait face à une augmentation des prix des marchandises. En réalité, c’est son salaire réel qui a diminué. C’est la magie de l’inflation de faire croire que les commerçants ont augmenté les prix des produits alimentaires. En réalité, c’est la politique monétaire gouvernementale qui a réduit la capacité du salarié à acquérir ces produits alimentaires.
Le phénomène inflationniste a également un effet boule de neige. Confrontés aux augmentations des prix, les consommateurs perdent confiance en la monnaie. Ils vont préférer acquérir les produits alimentaires en quantité supérieure à leurs habitudes. La crainte de nouvelles augmentations des prix et des pénuries les pousse à un stockage de sécurité. Ce comportement préventif aggrave la situation. Les produits ainsi stockés viennent à manquer un peu plus et leurs prix vont à nouveau connaître de nouvelles envolées. C’est la « spirale inflationniste » évoquée par la Banque d’Algérie.
LA GROSSIERE ERREUR GOUVERNEMENTALE
Pris à la lettre, le projet gouvernemental visant à criminaliser la « spéculation » devrait s’appliquer aux millions de consommateurs algériens qui sont contraints au stockage des produits alimentaires pour assurer le minimum de bien être à leur famille. En effet, les commerçants, une minorité, qui mettent à profit les pénuries pour soustraire au marché des produits qualifiés de « première nécessité », ne peuvent égaler les millions de consommateurs gagnés par la panique de la faim. Il suffit d’un calcul mathématique élémentaire pour le faire ressortir. Cela montre déjà l’impasse dans laquelle le projet gouvernemental de répression des
« spéculateurs » s’engage. Quand de surcroit, c’est la politique monétaire gouvernementale qui est à l’origine de cette crise, on mesure l’abime politique dans lequel le pays est jeté. Le gouvernement renforce son style dirigiste déjà suffisamment établi. La répression politique peut momentanément conduire à une apparente paix civile provisoire. Mais l’économie a ses lois. Quiconque les transgresse verra surgir la dure réalité économique et sociale.
Au lieu de fourvoyer l’opinion publique, le gouvernement doit afficher clairement les causes de l’inflation en cours. Il doit renoncer au renforcement du dirigisme économique et libérer les forces productives disponibles dans le pays et dans le monde. L’Algérie a besoin d’investissements conséquents pour créer les richesses matérielles pour assurer à ses citoyens les capacités à subvenir à leurs besoins matériels et intellectuels.
Pour cela, la liberté économique, la levée des entraves législatives et administratives aux investissements nationaux et étrangers, s’impose dans une juste définition de l’intérêt national. Dans l’immédiat, des correctifs urgents sont à apporter à la politique monétaire de façon à réévaluer la monnaie nationale. L’Etat doit sérieusement réduire ses dépenses de fonctionnement, les dépenses de prestige et aboutir à un rééquilibrage du budget.
Il est incontestable qu’un climat politique d’ouverture, de dialogue et de libres débats favoriserait la conscience des questions économiques cruciales auxquelles l’Algérie est soumise.
Tant que personne n’aborde la problématique du changement de monnaie , l’Algérie ira s’embourber davantage dans cette spirale de l’inflation . Effectivement, le changement de monnaie reste un acte éminemment politique et le politique est absent sinon reste comme une ombre diffuse.
Le changement de monnaie permettra, d’abord, de résorber toute cette masse financière qui circule hors du circuit bancaire et qui fait trop mal . L’Algérie peut s’accorder un délai de 6 à 8 mois pour pouvoir finaliser cette opération de grand intérêt.
Le changement de monnaie passera inévitablement par un Dinars plus fort : le nouveau Dinars aura une valeur de dix fois l’actuel : 1nDA=10 DA actuels . Ainsi là masse monétaire sera réduite et la banque ( diverses banques) disposera dès le départ d’un paramètre de gestion plus rigoureux en obligeant tous les détenteurs de grosses sommes d’ouvrir des comptes , ainsi débutera une véritable maîtrise de l argent en circulation .