Helin, la chanteuse de « Grup Yorum » est décédée vendredi 3 avril à 28 ans, après 288 jours de grève de la faim. Mustapha et Ibrahim vont la suivre dans la mort au mois de mai, ce si joli mois qu’on a pas vu passer.
C’était durant le confinement, en avril 2020, que j’ai appris sa mort un matin. Cette annonce m’a bouleversée. Sur le texte que j’ai écrit en sa mémoire, j’ai refusé d’y voir la photo de ses derniers jours, émaciée, les joues creuses, d’immenses cernes sous les yeux…si tristes.. Je veux garder le souvenir de la belle jeune femme, brune et claire, fière lumière au sein de ses camarades du groupe Yorum..
Helin venait de succomber au 288 è jour d’une grève de la faim entamée au printemps 2019 pour dénoncer la censure et la répression en Turquie.Quelques jours plus tard, c’est un autre musicien, Mustafa Koçak, qui allait s’éteindre dans une prison turque après 297 jours de jeûne.
Fondé par quatre étudiants en 1985 lors du coup d’État militaire de 1980, leur ‘Grup Yorum’ voulait mettre sa musique au service des « peuples opprimés de Turquie et d’ailleurs ». Ils ont chanté pêle mêle tant des musiques traditionnelles kurdes et turques que des chants révolutionnaires. Ils ont chanté en turc mais aussi dans les les langues des minorités kurdes et arméniennes.
Depuis sa création, 70 musiciens ont défilé dans le ‘Yorum Grup’ et 23 albums ont été enregistrés. Les chants du Grup Yorum contestent ouvertement le pouvoir turc en place. Issue d’une famille kurde alévi de Diyarbakir, Helin Bölek en deviendra la belle égérie lorsqu’elle rejoint le groupe pour en devenir la chanteuse solo.
En 2016, Grup Yorum est victime de plusieurs arrestations et procès intentés contre ses membres. En novembre 2016, Helin Bolëk est arrêté au centre culturel d’Idil qu’elle anime dans le quartier populaire de Okmaydani, à Istanbul. Elle est détenue pendant deux ans avec les sept membres du groupe pour « résistance à la police, insulte et appartenance à une organisation terroriste ». Le ministère de l’intérieur turc les suspecte d’appartenir à un groupe terroriste d’extrême gauche, le Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C), ce qu’ils contestent.
Lorsqu’elle sort de prison deux années plus tard, Helin Bölek continue de chanter pour dénoncer les abus et les dérives du pouvoir en place. La pression sur le groupe s’intensifie. Les descentes de police se multiplient au centre culturel d’Idil à Istanbul, où les membres du groupe ont l’habitude de répéter. Moins d’un an après sa libération, Hélin est de nouveau arrêtée avec quatre autres membres du groupe. Le 16 mai 2019, tous les cinq décident d’entamer une grève de la faim en prison.
À travers ce jeûne sans date limite, ils exigent l’arrêt des poursuites judiciaires et la libération de tous les membres détenus, la suppression des noms des membres du groupe inscrits sur la liste des terroristes recherchés par le ministère de l’intérieur, ainsi que l’arrêt des perquisitions récurrentes au centre culturel d’Idil. Helin Bölek est relâchée en novembre 2020. Elle décide de poursuivre sa grève de la faim pour soutenir le bassiste du groupe, Ibrahim Gökçek, qui, lui, n’a pas été libéré.
Arrêté en février 2019 lors d’une descente dans leur centre culturel, Gökçek avait entamé sa grève de la faim au mois de mai l’année dernière pour « la levée de l’interdiction de nos concerts, l’arrêt des assauts contre notre centre culturel, pour la libération de tous les membres emprisonnés de notre groupe et l’annulation des procès entamés contre eux, ainsi que pour que nos noms soient effacés de la liste des terroristes ».
Après 323 jours de grève de la faim, Ibrahim Gokçek meurt mort le 7 mai 2020. Le musicien de Grup Yorum avait pourtant cessé, mardi 5 mai, son jeûne car les partis turcs d’opposition (CHP, HDP et TIP) ainsi que les principales associations de défense des droits humains l’avaient assuré qu’ils allaient se mobiliser pour que les demandes de concerts déposées par le groupe pour l’été prochain par les avocats de Grup Yorum soient suivies d’effets.
Ibrahim Gökçek nous a laissé une lettre qui se termine par ces mots : « La bataille qui se livre dans mon corps se soldera-t-elle par la mort ? Ou alors par la victoire de la vie ? Ce que je sais avec le plus de force dans ce combat, c’est que, jusqu’à la satisfaction de nos revendications, je m’accrocherai à la vie dans cette marche vers la mort. »
Son épouse, Sultan n’a pas pu assister à ses funérailles. Elle est en prison.
Si Mustapha, Ibrahim et Helin sont morts, ils restent vivants tant que l’on se souvient d’eux avec amour.
Vivants à travers leurs chants et leur musique comme sont toujours vivants Maatoub et Victor Jara…Leurs voix restent vivantes dans nos coeur. A réécouter leurs chants, à réentendre leurs voix crier la liberté, la nécessaire dignité, c’est la voix de l’Amour que l’on perçoit. Car il en faut de l’Amour pour continuer à chanter quand autour de vous s’emplissent les prisons, meurent les compagnons et tonnent les canons!
Cet amour que nous offrent les artistes à travers leurs voix et leurs corps éclate dans leurs concerts quelque soit la langue turcque, kurde, arabe, amazighe, perse ou arménienne…Quand l’Amour se conjugue dans la pluralité même la mort ne plus l’arrêter.
Pour Helin Bolek
Hélin ma petite soeur kurde de Turquie
Tu es partie
Un vendredi 4 avril 2020
En ce drôle de printemps
En ce temps du confinement
Oui, ma chérie, nous sommes enfermés
Nous l’avons désiré, accepté, nous l’avons revendiqué
Ils nous ont fait peur de ne plus pouvoir nous repaître
Des tonnes de surgelés, de chiffons et de tas d’objets
De cette société capitaliste de surconsommation
Que tu avais tant dénoncé avec les dangers de la domination
Sur les peuples opprimés
Dont tu étais la fière égérie
En musique tu martelais les appels à la conscience et la dignité
Avec ton groupe Yorum, vous aviez rempli les salles et les stades
Helin Bolek, Tu étais une fière égérie
Parmi les musiciens et les danseurs,
Sous le ciel d’Istanbul
Tu t’avançais en blanc sous les applaudissements
Ta voix faisait se lever les poings
et tous chantaient en choeur avec toi
288 jours, tu t’es abstenue de manger…
Pour incarner ton refus de la tyrannie
Tu t’es assoupie, belle bougie éteinte de s’être trop consumée
D’amour pour le changement
Ils ont enfermé tes frères, interdits vos concerts
Et t’avais déjà mise en prison…
Pardonne-moi sœurette
Je ne le savais pas
Ton beau visage émacié
Par la veille et les jeûnes
Garde cette lumière
Que rien, ni personne n’aurait réussi à l’effacer
Tu resteras ma colombe, la digne héritière,
Des filles du ciel et de la terre
Femme au port fier
Tu as chanté altière
Contre les vents de la terreur
Ta voix resteras témoin de ton lumineux passage
Comme furent témoins en leurs pays Maatoub l’algérien et Victor Jara, le chilien
et tous ceux et celle dont nous avons oublié les noms et prénoms…
Bella Ciao
Ta voix resteras témoin de
ton lumineux passage
Je l’écoute en boucle depuis ce matin
En pleurant
Mon impuissance de ne pas avoir été là, prés de toi
Mais qu’aurais-je pu faire ?
J’ai les mains vides
Seul mon coeur bat pour toi et pleure des larmes de sang
Rouge comme celui de tous les peuples humains
Rouge comme la foi qui t’a animé
Rouge, couleur de l’ Amour
Jusqu’à quand les plus valeureux des enfants de mon coeur
Vont-ils continuer à tomber
Dans vos prisons, vos pays confinés?
Jusqu’à quand allez vous continuer à cracher sur la beauté et la liberté
Fleurs coupées
Empêchées de s’exprimer
Juste parcequ’ils-elles ont chanté le refus de tous les enfermements
Ö Helin, ma petite soeur, ma cousine
Mon beau lac lointain
Ö mon nid d’oiseaux chanteurs,
Enfin, tu tu t’es envolée
Lâchant les douleurs, la souffrance
Tu es partie le jour de la prière
Le jour de Vénus
Puisse la Rahma Illahiya
T’envelopper de son Amour infinie
Que son énergie apaise enfin les blessures que tu as subies
Ici sur la terre, les luttes, le combat continuent.
Abida Allouache 5 avril 2020
PS: en kurde Helin signifie ‘nid d’oiseaux’