J’ai suivi une partie du débat autour de la participation de personnes connues dans le Hirak à un colloque organisé par ce qui est appelé le “Takatul Al-Massar Al-Jadid” (Bloc de la nouvelle voie) organisé à l’hôtel Al-Djazaïr (Ex Saint Georges). Je pense que le plus important dans cette affaire est le réalisme de ceux qui y ont participé et le fait qu’ils savent que ce sont les partis que le Hirak est venu balayer qui sont derrière cette “voie”. Des partis dont les dirigeants dont les dirigeants sont aujourd’hui en prison.
Reconnaître cette vérité ne signifie pas que les participants sont complices ou qu’ils halètent derrière des intérêts personnels. Je suis enclin à croire à la sincérité de leur démarche pour offrir des alternatives ou porter les revendications du Hirak de la rue vers ce qu’ils pensent être des négociations. Aussi, faut-il concentrer le débat sur les idées avancées et la démarche suivie en matière d’action politique plutôt que d’essayer de classer ou de juger ceux qui ont participé à ces rencontres.
La première erreur que nous pouvons commettre est de soumettre des revendications à ceux qui n’ont pas la prérogative d’y répondre. Cela s’applique parfaitement à ce bloc et aux parties qui le contrôlent. Un parti comme le RND n’est tout simplement pas maître de sa décision, il n’est qu’un instrument aux mains de l’administration et du pouvoir de fait qui l’utilise pour rénover la façade du régime et réorganiser ses réseaux clientélistes.
C’est une vérité clairement visible à travers le recours aux mêmes méthodes en cours dans les années 1990 quand le pouvoir de fait a décidé de prendre directement les choses en mains avant d’organiser son repli vers l’ombre une fois avoir vidé le pluralisme de son contenu et réduit les partis à de simples instruments utilisables durant les saisons des élections pour créer une façade pluraliste et des institutions dénuées de légitimité.
Les mêmes pratiques sont adoptées aujourd’hui et avec les mêmes instruments. Cela signifie que ces colloques n’ont qu’un seul but : créer une image illusoire de l’existence d’un débat et avec la présence de figures du Hirak. Si l’on y réfléchit calmement et objectivement, on se retrouve devant une question importante : pourquoi, par exemple, ces rencontres n’ont pas été organisées pour débattre du projet de révision de la constitution ? Pourquoi les personnes comptabilisées sur le Hirak n’ont pas été contactées autour de la feuille de route du pouvoir ?
La réponse est simple : ce qui se passe n’est qu’une partie d’une opération de fabrication d’une image à travers laquelle le pouvoir se donne, et donne l’illusion à la société, et à l’étranger aussi, qu’il existe une adhésion populaire à la démarche actuelle. Et que la crise de légitimité a été dépassée et que tout va bien !
Le rôle des partis du pouvoir et de ce qui est appelé faussement “société civile” – dans le lexique du pouvoir ce sont des associations bénéficiaires de la rente en charge de battre le tambour – n’a absolument pas changé depuis des décennies. Ces organisations et structures apparaissent durant les périodes électorales puis disparaissent. Ce qui se dit dans les ateliers et les colloques ne parvient pas au décideur car la partie vers laquelle sont adressées les demandes ne dispose pas du pouvoir de décision. Leur mission prend fin dès la diffusion d’images sur les chaînes de la propagande, la journée suivante étant consacrée à une autre image d’une autre rencontre afin que le climat de carnaval demeure jusqu’à l’imposition d’un nouveau fait accompli.
Le Hirak est venu pour mettre fin au pouvoir caché, pour permettre aux Algériens d’écrire une Constitution sur laquelle ils s’entendent et à laquelle ils se réfèrent après des années de soumission à une régime régi par des règles non écrites, dirigé par des forces qui ne laissent aucune trace permettant ouvrant des poursuites ou de la redevabilité. Tel est le nœud gordien du pouvoir que le Hirak veut dénouer et résoudre définitivement. Tout ce que fait le pouvoir, c’est de brouiller les choses autour de cette question fondamentale et détourner l’attention de ce qui est le plus important.
Des initiatives spectacle
S’engager dans des initiatives spectacle de ce genre ne peut en aucun cas être une contribution à l’effort du Hirak, ni constituer un saut qualitatif dans le militantisme entamé, sur le terrain, par les personnes concernées, depuis des années ou depuis le début du Hirak du moins.
Il s’agit de noter que ce qui se passe fait partie du comportement habituel du régime, c’est son mode de fonctionnement traditionnel. Le régime ne peut le changer, en raison de sa faiblesse et de son incapacité à renouveler ses bases et à attirer des compétences. C’est un mode de fonctionnement qui donne les mêmes résultats. Il suffit d’observer le climat de verrouillage qui a accompagné ces actions et le traitement biaisé qui leur a été réservé par les médias pour comprendre l’incapacité du pouvoir à changer de comportement ou à rénover ses méthodes pour suggérer qu’il existe au moins une bonne volonté…
On peut comprendre l’impatience de militants qui se sont pleinement engagés dans le Hirak quand ils observent que cette révolution n’a pas généré des organisations et des élites nouvelles avec la rapidité souhaitée. Mais la question est liée principalement à l’ampleur de la destruction causée par le régime ; elle est également liée au climat répressif et despotique dont le but est justement d’empêcher que ces fruits mûrissent.
La plus grande des fautes serait d’y répondre en s’engageant dans ce qui existe et de présenter ce choix comme étant réaliste et pragmatique. Choisir de s’engager dans les initiatives du régime ne sera qu’une contribution à prolonger une crise qui a atteint à un niveau qui menace l’existence de l’entité algérienne et la cohésion et l’harmonie du tissu social.
Il reste à souligner que les polémique et la déviation du débat autour de ces évènements durant les derniers jours nous donne une idée du niveau vers lequel descendra tout débat politique se déroulant sous un régime fermé, en l’absence totale des libertés et avec la fermeture de l’espace qui aurait pu être un cadre sain pour un débat serein et fructueux. Toute construction sans fondement solide et sous un parrainage corrompu fera tomber le toit sur toutes les têtes ; des têtes que le Hirak est venu protéger et leur offrir les moyens de réfléchir et de créer des solutions et qui continuera jusqu’à atteindre son but, sans précipitation et sans hésitation.
Traduit de l’arabe – Article original
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