Quelque temps après la mise en terre vendredi de Hocine Aït Ahmed, une sérénité impressionnante a commencé à régner. Elle tranchait avec la cohue et la frénésie qui s’était emparée des lieux avec l’arrivée du convoi funèbre à Ath Ahmed.
Au milieu de ces majestueuses montagnes, le silence reprenait déjà doucement ses droits après un indescriptible mouvement de foule pour l’ultime Adieu, le dernier hommage que l’on peut faire à l’intraitable combattant de la liberté.
Comme si l’on essayait de le garder le plus longtemps possible parmi nous cet homme porteur de la grande promesse de la révolution d’une nation de femmes et d’hommes libres, de citoyens riches de leur diversité. Et de leur profonde unité.
Les funérailles furent bien nationales et populaires. Combien étaient-ils autour d’Ath Ahmed? Difficile d’apprécier. Des dizaines et des dizaines de milliers de personnes étaient là entre ferveur et résolution.
Beaucoup n’ont pu arriver sur les lieux et ont dû rebrousser chemin en reportant à plus tard le moment d’aller se recueillir sur la tombe de celui qui a toujours eu raison avant les autres.
Passage par Belouizdad
Sur les chemins qui montent vers Aïn El Hammam, des femmes qui lancent des youyous et des enfants. Peu d’hommes. « Ils sont déjà dans la montagne » lance quelqu’un dans le cortège. Le trajet vers la dernière demeure a été celui d’un hommage continu.
A sept heures du matin, c’est l’ultime salut au siège du FFS, son parti, celui qui pour lui incarne et doit continuer à incarner la fidélité à l’engagement des fondateurs. Un adieu simple avec l’hymne national dans tous ses couplets et levée des couleurs nationales.
Des citoyens s’étaient réveillés tôt le matin du 1er janvier à Alger sur le parcours qui empruntera le quartier de Belouizdad autre signal symbolique de la fidélité à l’engagement premier, un hommage au compagnon, qui fut le premier chef de l’OS (Organisation secrète) et à qui Hocine Aït Ahmed succèdera.
Des moments forts, il y en eu aussi, sur le parcours, aux Issers, à Tizi-Ouzou… Jusqu’à Ath Ahmed. « Assa azeka, Dda Hocine yella yella » , »Djazaïr horra, dimoqratiya ».. Algérie, libre et démocratique.
Un Adieu d’une telle ampleur ne se décrit pas. On peut tout au plus, au milieu de ces clameurs, de cette volonté d’être au plus près du cercueil, au plus près de la terre qui allait l’accueillir, tenter d’en saisir les sens multiples.
L’expression d’un immense respect, le sentiment pour certains de ne pas avoir saisi, à temps, le sens de son combat ou de ses prises de position. Et pour d’autres un certain regret de ne pas avoir compris – certains ne le comprennent pas encore – qu’il était d’une dimension qui transcendait les visions étriquées.
Il y a eu, au cours de ces heures ultimes des moments de grandes pagailles qui ont fait craindre que soit gâché cet hommage qui était aussi bien un deuil qu’une fête, un moment de grande ferveur religieuse mais également très politique.
Cela aurait été le pire des affronts pour Hocine Aït Ahmed. Le service d’ordre du FFS avait une mission hautement délicate. Au milieu de ces dizaines de milliers de citoyens qui venaient dire leur respect, il y avait en embuscade des cyniques – ou des inconscients – porteurs d’une régression aux antipodes des idées de ce fondateur de la nation algérienne moderne que fut Aït Ahmed.
Un enterrement grandiose
Avec beaucoup d’humour, un membre du service d’ordre, interpellé au sujet de la pagaille générale qui a régné jusqu’à la mise en terre, répond avec le sourire en montrant les foules imposantes qui reprenaient le chemin du départ. « Vous pouvez dire que le service d’ordre n’a pas été grand, mais Si l’Hocine a eu un enterrement grandiose. »
Le service d’ordre a bel et bien été dépassé. Mais il a veillé, vaille que vaille, à ce que les choses soient contenues. Techniquement, le service d’ordre a échoué, politiquement il a réussi à ne pas tomber dans le piège en évitant, avec une abnégation remarquable, de recourir à la force face à ceux qui étaient là avec l’intention de perturber la cérémonie.
Au sein du FFS, on parlera sans doute dans les prochains jours de ce service d’ordre qui a sans doute échoué techniquement, mais a été au top politiquement. Hocine Aït Ahmed aurait apprécié, une fois de plus, de voir que les militants savent faire de « leurs muscles des cerveaux. »
L’hommage rendu à Hocine Aït Ahmed est celui d’une promesse d’un combat pour une nation libre qui se construit et se renforce dans le progrès, dans la paix, contre toutes les régressions et toutes les violences.
Après l’enterrement, la parole a été donnée à Mouloud Hamrouche qui a dit une phrase : » Nous disons Adieu à Hocine Aït Ahmed avec beaucoup de tristesse, mais avec beaucoup d’espoir aussi car nous restons fidèles à l’engagement. ». Nacer Boudiaf, fils du vieux compagnon, Mohamed Boudiaf, a dit aussi, avec des mots simples, que Hocine Aït Ahmed et tous les grands combattants ne meurent pas. Ils sont dans le cœur des jeunes
La mémoire de Hocine Aït Ahmed est une des grandes digues du pays qui ne sont pas là pour empêcher d’avancer mais pour contrer les retours vers l’arrière, vers le néant. Elle sera là comme un avertissement, un appel permanent à se battre contre toutes les régressions pour une nation algérienne unie, forte de ses valeurs et inscrite dans son temps.
Se battre… ne pas renoncer. L’endurance. C’est l’un des enseignements que de nombreux algériens retiendront de ce parcours éclatant qui se termine par un enterrement grandiose. Cet homme n’a pas transigé. Il est l’Algérie que nous n’avons pas pu construire mais que nous ne devons jamais cesser de vouloir.
(*): Cet article a été initialement publié le 02 janvier 2016 sur le HuffPost Algérie