Heureusement que Desmond Tutu existe, pour les Sud-Africains et pour toute l’humanité. C’est ce qu’a écrit à l’auteur de ces lignes un observateur averti de la marche chaotique et souvent injuste du monde. C’est que l’archevêque sud-africain n’a pas la «courtoisie» de laisser de «respectables» fauteurs de guerre et de crimes de masse cuver «en paix» une juteuse retraite.
Sa rectitude morale lui permet de tancer vivement Robert Mugabe et de ne pas épargner les autocrates du continent. Elle lui permet également d’oser tancer les grands de ce monde et de refuser de leur concéder une quelconque respectabilité car ils disposent de la puissance qui permet l’auto-absolution. Pire, qui permet de transformer une action clairement criminelle et destructrice en action «humanitaire».
Desmond Tutu ne fait pas dans l’hypocrisie. A La Haye, ce ne sont pas que dirigeants criminels africains qui doivent rendre compte. George Bush et Tony Blair devraient également y avoir une place de choix. Cohérent avec lui-même et bien décidé à ne pas laisser l’opportunité de faire quelques rappels élémentaires, Desmond Tutu a donc expliqué pourquoi il se refusait de participer à Johannesburg à une conférence à laquelle assistait aussi l’ancien Premier ministre britannique. Il a mis en application le fameux vers de Mahmoud Darwich : «Retire ton ombre de la cour du dirigeant arabe afin qu’il ne l’accroche pas comme une médaille». Tutu ne veut pas que Blair accroche son ombre comme une médaille. Il le dit.
Bush et Blair ont menti et ont commis sciemment une guerre criminelle sous de faux prétextes. Leur action, à la mesure de la puissance de leur pays, a «déstabilisé et polarisé le monde à un degré jamais atteint par aucun autre conflit dans l’histoire». Le crime de la guerre qu’ils ont commis a provoqué des milliers de morts et il continue de faire son œuvre sinistre puisque «6,5 personnes meurent quotidiennement dans des attaques-suicides et des explosions de véhicule». «Rien que pour ces faits, dans un monde cohérent, les responsables de ces souffrances et de ces pertes de vies humaines devraient suivre le même chemin que certains de leurs pairs africains et asiatiques qui ont eu à répondre de leurs actes devant la Cour internationale de justice de La Haye».
Desmond Tutu: une chance pour l’humanité
Desmond Tutu commet ainsi «l’effronterie» de comparer des gens «bien nés», «très civilisés» avec des Africains et des Asiatiques ! Cela doit choquer les bien-pensants en Occident, mais un crime est un crime. L’ancien Premier ministre britannique n’a bien entendu guère apprécié qu’un homme comme Tutu lui dise ses quatre vérités et aille droit au but, sans circonlocutions, en le désignant comme un criminel. Sa «réplique» est lamentable. Certes, la missive de Desmond Tutu ne perturbera pas sa paisible et juteuse «retraite». Mais il est rassurant qu’en ce bas monde, des esprits libres ne considèrent pas qu’être un dirigeant d’une grande puissance confère, automatiquement, une légitimité et une moralité à ce qu’il fait.
Même s’il ne s’agit que d’une prise de position morale, le message de Desmond Tutu est important. Il l’est d’autant plus lorsque l’on sait que chez le procureur du TPI, qui en veut à des dirigeants africains souvent vraiment méchants, l’idée qu’il puisse demander quelques comptes à Bush ou Blair, des hommes qui ont menti à leur peuple et au monde entier pour entreprendre une destruction massive d’un pays, relève de l’hérésie. Un procureur du TPI ne se limite pas au droit, il tient compte du rapport de forces. Un homme libre comme Tutu ne tient compte que de la vérité. Elle est d’autant plus utile à dire que petit à petit une guerre, avec les mêmes faux prétextes, se met en place dans la même région.
*Cette chronique de Said Djaafer a été publiée sur le Quotidien d’Oran le 03 septembre 2012 sous la signature K. Selim
» Hommage à Desmond Tutu: parole d’homme libre » , il est mort la même date que celle d’un autre homme libre que fut Hocine Ait Ahmed. Y a t il un parallèle ou des points communs entre ces deux hommes ? Sûrement , très sûrement pour deux hommes qui ont combattu les inégalités et toute forme de transgression des droits de la personne humaine.
Hocine Aït-Ahmed pose la question de l’établissement de relations diplomatiques et de l’internationalisation de la question algérienne dès décembre 1948 dans un rapport adressé à la direction du MTLD . Il y développe l’idée de l’impérieuse nécessité à se créer des soutiens, de les développer, tout d’abord du côté des forces opprimées, par la constitution d’un Front révolutionnaire des peuples opprimés, « stade suprême de la solidarité internationaler leur indépendance. La théorie laisse désormais place à la pratique. À l’issue d’un périple asiatique, il arrive en avril 1955, dans la ville indonésienne de Bandung où doit se tenir une conférence d’une grande ampleur. Réunissant vingt-neuf pays afro-asiatiques, elle représente une tribune incontournable des revendications anticoloniales. Aux côtés du chinois Chou En-Laï, de l’égyptien Gamal Abdel Nasser, de l’indien Nehru et de l’indonésien Soekarno, les Maghrébins assistent à l’événement avec le statut d’observateurs. La délégation algérienne est représentée par Aït Ahmed, la Marocaine par le leader du parti indépendantiste Istiqlal, Allal El Fassi et Salah Ben Youssef pour le Néo-Destour. Ils y présentent un mémorandum commun, symbole de l’unité maghrébine affichée. Afin de rallier les participants à la cause algérienne, Hocine Aït-Ahmed distribue des textes essentiellement tirés de la presse française, dont l’article de Claude Bourdet paru dans France observateur :
Une résolution en soutien du droit à l’autodétermination et à l’indépendance est adoptée à l’issue de la conférence. Elle se conclut sur un communiqué qui laisse espérer un appui à la lutte anticoloniale de la part des pays participants
« La conférence déclare appuyer totalement le principe du droit…. Aït Ahmed résume ainsi, lors d’une interview accordée à la radio « La voix des Arabes », le 29 mai 1955, l’action intensive qu’il a menée auprès des représentants asiatiques.
Tout comme Hocine Ait Ahmed, Desmond Tutu disait » Je suis de plus en plus convaincu que tous nos actes ont des conséquences. Une bonne action ne s’évapore pas, ne disparaît pas purement et simplement. Les différences ne sont pas censées séparer, aliéner. Nous sommes justement différents afin de comprendre que nous avons besoin les uns des autres. L’arrogance émane du manque d’assurance. Au bout du compte, l’impression de valoir mieux que d’autres n’est que le revers de l’impression de valoir moins.
Des hommes , des guides nous quittent en laissant derrière eux des idées , des mots et un apaisement des mémoires.