Hommage – Yamina Mechakra, une lumière dans la grotte (*)

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Yamina Mechakra: Cette femme n'écrivait pas pour bavarder
Yamina Mechakra: Cette femme n'écrivait pas pour bavarder
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Yamina Mechakra est partie, (le 19 mai 2013) , à l’issue d’une longue maladie. Ceux qui ont été émus par la «Grotte éclatée» parue en 1979 seront sans doute à la peine. Un livre, suivi d’un deuxième, «Arris» et entre les deux un long silence. Cette femme n’écrivait pas pour bavarder mais pour dire ce qui est profond et qui dure. Mais ces deux beaux livres «seulement» reflètent aussi la réalité d’une génération qui devait aussi faire tant de choses au point de sembler se dissiper.


Yamina Mechakra était médecin psychiatre et c’est un travail prenant quand on y attache les plus hautes valeurs et qu’on le pratique avec conviction. Voilà une œuvre brève produite dans la discrétion, sans bruit tout comme l’activité de l’auteur dans le monde associatif. La discrétion est, en ces temps d’artifices et de tape-à-l’œil, la marque d’un sérieux aussi rare que précieux. Peiné par la perte, encore une, d’une créatrice dans cet univers si stérile, un homme de la même génération explique : «On n’a pas beaucoup parlé de Yamina Mechakra car elle ne fréquente pas les espaces mal famés où des célébrités factices se construisent avec la complaisance des médiocres».


Écrire pour soi et pour les siens sans chercher à complaire aux assignements que l’édition parisienne adresse à une Algérienne ou à un Arabo-Berbère, cela demande l’ascèse à des encablures de la littérature de consommation. Et encore pire, à la littérature de «l’exotisme», de la «commisération» ou de l’autoflagellation exigée pour entrer dans les circuits des béni-oui-oui et des valets de plumes de la Civilisation. Écrire pour dire un monde et non pour appliquer une recette en continuant à servir la société, à écouter ses femmes et ses hommes. C’est cela la vie de Yamina Mechakra et cela ne correspond plus au «standard» du réalisme marchand et de la haine de soi.

A l’heure actuelle, dans notre pays, “une femme qui écrit vaut son pesant de poudre”. La chute de la préface de Kateb Yacine ne vaut pas que pour les femmes. Ceux qui écrivent pour exprimer la diversité sensible de nos sociétés ne courent pas les rues. Et d’une certaine manière l’année même de la parution de la «Grotte éclatée» – 1979 – a été celle de l’amorce d’un mouvement d’inversion de tendance dans le pays. La généreuse vision de progrès – certains disaient progressistes – qui a très largement marqué les élites du mouvement national, jusque chez les oulémas, commençait à être battue en brèche. La génération qui portait ces valeurs de manière positive a été confinée par l’irrésistible ascension des infitahistes de tout poil. Le progrès a été bloqué par un système où les compétences sont marginales et où l’allégeance est essentielle.


Dans la société, à défaut d’avoir pu prendre en main le pays dans une évolution « naturelle », cette génération a été débordée par ceux qui ont compris que l’indigence intellectuelle et morale ouvrait des boulevards aux intrigants et aux courtisans. Un écrivain s’en va encore dans la brume et l’oubli. Une dame discrète quitte ce caravansérail de l’imposture. Mais même dans cette phase de repli stérile la mémoire ne peut être effacée, le nom de Yamina Mechakra est définitivement inscrit au registre de ceux qui ont réellement honoré ce pays par la plume et le talent.

(*) Publié dans le Quotidien d’Oran du 20 mai 2013

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1 commentaire

  1. La Mort d’un poète est en soit une douleur, celle d’une poétesse, est une désolation.
    Son écriture (en lisant la grotte éclatée), était d’une fluidité qui pénètre les cœurs, comme une poésie pénètre les âmes.

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