Cinquante-trois ans après les poings gantés de noir dressés par Tommie Smith et John Carlos sur le podium du 200 m des Jeux olympiques de Mexico, les sportifs ont retrouvé leur voix et ne laisseront pas leur activisme aux portes des stades des JO de Tokyo.
Gwen Berry n’a pas le renom de LeBron James, Megan Rapinoe et autres stars du sport américain qui n’hésitent plus à intervenir dans le champ politique, mais la lanceuse de marteau a déjà prévenu qu’elle se servirait des JO de Tokyo pour faire entendre sa voix. « Quand je serai (à Tokyo), je déciderai de ce que je ferai, j’ai besoin de parler au nom de ma communauté, de la représenter, de l’aider, parce que c’est beaucoup plus important que le sport », a prévenu le mois dernier l’athlète noire.
A Eugene, lors des « trials » où elle a décroché sa qualification pour les JO de Tokyo, Berry, 32 ans, avait ostensiblement tourné le dos au drapeau américain lorsque résonnait l’hymne US durant la remise des médailles.
En 2019, lors des Jeux panaméricains à Lima, elle avait imité Tommie Smith et John Carlos en levant son poing après son titre pour dénoncer les inégalités et injustices touchant la communauté noire aux États-Unis. Ce geste avait fortement déplu à l’époque au Comité olympique américain qui, dans la foulée, avait menacé ses sportifs de sanctions.
L’affaire George Floyd plane sur les JO de Tokyo
Mais tout a changé en 2020 avec l’affaire George Floyd lorsque le monde a découvert le 25 mai les images de l’insoutenable calvaire de cet Afro-Américain asphyxié par un policier, durant 8 minutes et 46 secondes, lors de son interpellation à Minneapolis, et mort une heure après à l’hôpital.
La superstar LeBron James a été l’un des premiers à exprimer sa colère, vite rejoint par d’autres joueurs de la NBA et d’autres sports sensibilisés depuis 2016 à ces questions par Colin Kaepernick: ce joueur de football américain avait lancé un mouvement de boycott de l’hymne américain en posant un genou à terre pour protester contre les violences policières faites aux Noirs.
Le mouvement de 2020, sans précédent aux Etats-Unis avec notamment une grève en NBA et des campagnes financées par les sportifs et les ligues professionnelles pour inciter les électeurs noirs à aller voter, a pesé dans l’élection de Joe Biden à la Maison Blanche.
Et le Comité olympique américain en a tiré les conséquences: il a assuré en amont des JO de Tokyo qu’aucun de ses sportifs ne serait sanctionné s’il décidait de s’agenouiller avant une compétition ou de faire passer un message.
Règle 50
Le Comité international olympique (CIO) s’est longtemps réfugié derrière la règle 50.2 de sa Charte olympique pour exclure la politique des stades des JO: « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique », stipule ce texte.
Mais le 2 juillet dernier, la CIO a annoncé que les sportifs pourront désormais s’exprimer sur des sujets politiques ou sociétaux lorsqu’ils s’adressent aux médias, avant et après leur compétition, lors des réunions d’équipe ou sur les réseaux sociaux.
Cette liberté d’expression est encadrée et des sanctions sont possibles: « Tout comportement et/ou toute expression d’opinion qui constitue ou est le signe d’un acte de discrimination, de haine, d’hostilité ou de violence potentielle, pour quelque motif que ce soit, est contraire aux principes fondamentaux de l’Olympisme. »
L’association Global Athlete, qui défend la liberté d’expression des sportifs, estime que la position du CIO reste floue sur la question, mais ne croit pas que l’instance sanctionnera un sportif qui s’agenouillera ou lèvera un poing sur un podium. « En termes d’image, cela serait énormément négatif », explique à l’AFP son directeur Rob Koehler, avant de souligner les contradictions du CIO. « Le CIO n’est pas une instance neutre politiquement. Comment le CIO peut-il attendre des sportifs qu’ils se comportement différemment de lui? », souligne-t-il.