Il s’appelle Douni. Douni Dellal ! Professeur apprécié par ses étudiants à l’Université où il enseigne. Il est marié à Adila, enseignante elle aussi mais dans le primaire où elle a un rapport à la fois professionnel et amical avec sa directrice. Les deux adorent leur métier : transmettre des connaissances mais aussi des valeurs. Un couple à qui tout semble sourire… Mais voilà, pour une broutille, suite à une cérémonie familiale, Douni gifle sa femme. « Je ne vois pas la main se lever, mais je sens la gifle sur mon visage. Fureur dans les yeux, fureur dans le coup » raconte la narratrice, apparemment traumatisée, plus par la gratuité du geste que par la gifle elle-même.
Tout au long du récit, Adila raconte sa tristesse, sa douleur et n’avait probablement jamais imaginée qu’elle sera une femme battue. Pour alléger ses souffrances, elle se confie tantôt à Ayda, une amie à qui elle avait totalement confiance, tantôt à sa directrice ou alors à sa mère… Pour se racheter, Douni invite sa femme au restaurant. Elle relativise la violence de son mari : « une gifle, d’ailleurs suivie d’une demande très sincère de pardon ne fait pas de moi une femme battue, quand même ». Elle part chez sa belle famille où elle est très bien accueillie et on le lui prouve. On lui sert un café non réchauffé prouvé par l’ouverture du couvercle de la cafetière qui laisse ainsi échapper son parfum. Là aussi, son mari l’humilie en lui reprochant de parler la bouche pleine devant sa mère et sa sœur confuses de la scène.
Chez elle, Adila s’occupe comme elle peut entre le ménage, la préparation des leçons et l’isolement dans sa chambre à coucher, devenue « chambre à pleurer ». Ses jours avec son mari sont faits de hauts et de bas. Un mari violent, manipulateur, presque pervers qui peut du jour au lendemain se transformer en mari attentionné, généreux et même amoureux de sa femme.
Cultivé, il lui fait découvrir des quartiers de la ville qu’elle ne connaissait pas en lui racontant son histoire et celle de ses habitants. Le jour du Mouloud, date qu’elle a zappée, à sa grande surprise, en rentrant chez elle, a trouvé la maison bien décorée et le repas prêt… Le rêve quoi ! Ces moments lui font presque oublié la violence et les humiliations subies par Douni. Mais elle continue à se confier à sa directrice d’école qui la somme d’aller consulter une association de femmes battues : « L’Assoce » !. Elle découvre alors qu’il y a pire qu’elle en matière de violences conjugales en particulier quand les maris frappent leurs femmes devant leurs enfants, mais pas que…. Déçue, elle en sort toujours à la recherche d’elle-même. Elle se réfugie alors dans son travail « meilleur engloutisseur d’idées fixes » tout en continuant d’aller voir sa mère tous les jours, histoire de retrouver un peu de réconfort et de compassion.
Le quotidien de Adila est une suite de gestes, postures et habitudes que rien ne va perturber hormis quelques jours de vacances où elle découvre les grandes villes de son pays, les amis de son mari et la générosité des hôtes. Malgré tout, elle aime ce mari « admirable, quand il transporte l’auditoire sur la monture du courage féminin et qu’il fait caracoler l’assistance sur les traces des héroïnes de la « libération humaine, tirée par celle de la femme, vaillante locomotive de l’Humanité » selon une de ses propres envolées, jamais lyriques, toujours arrimées au fait historique. L’égalité, l’émancipation, la pleine liberté et les longues luttes qui les arrachent à la soumission, jalonnent la conférence aux allures de plaidoyer, parfois de harangue, que livre Douni de manière improvisée en ne consultant ses notes que pour passer d’un chapitre à l’autre ».
Comment ne pas être fière de ce mari qui cite dans ses conférences La Kahina, Hassiba Ben Bouali, Lala Fatma N’soumer, Ourida Meddad, Angela Davis et bien d’autres femmes illustres… ? Mais alors la gifle et les humiliations subies ? Adila arrive même à douter d’elle-même ! « Est-ce bien le même qui, à la maison, ne parle jamais de liberté ni n’évoque l’égalité entre la femme et l’homme ? ».
Tiraillée par le doute, les contradictions, ses interrogations incessantes, Adila arrive à se surpasser et montre à quel point la patience atteint vite ses limites et que la victime peut se transformer en bourreau. Serait ce le cas de cette femme ?
A travers ce roman à la lecture fluide et limpide, la narratrice nous décrit le quotidien d’une femme battue mais qui n’a jamais perdu espoir. L’auteur, qui a contribué grandement aux heures de gloire de l’hebdomadaire Algérie Actualité comme journaliste, se met en retrait volontairement et laisse le lecteur seul juger les protagonistes. « La discrétion et la simplicité sont le signe absolu de l’élégance ». Et dans ce roman, Nadjib le prouve… En traitant de ce sujet presque tabou, il rappelle que la violence conjugale n’est pas toujours le fait d’hommes incultes et mal éduqués. Elle peut toucher n’importe qui dans une société tiraillée entre les traditions, la religion, la famille et les… faits divers.
Le réseau Wassila/Avife (Association contre les violences faites aux femmes et aux enfants) semble être à la hauteur des enjeux relatifs à la protection des femmes et des enfants avec ce constat : « Beaucoup d’efforts sont encore nécessaires pour que le système juridique (la loi, les procédures, les textes d’application et le contrôle) assure enfin une protection efficace des victimes. La méconnaissance des procédures par les victimes représente souvent un obstacle qui les dissuadent de porter plainte. Le signalement des violences aux autorités et l’accompagnement juridique des victimes constituent des préalables pour que ces dernières se sentent entendues et reconnues en tant que telles ».
*Juste une gifle. Nadjib Stambouli. 139 pages. Prix : 1000 DA. Koukou Editions