L’Algérien, c’est notoire, est un être inquiet par définition. Inquiet pour son présent immédiat qu’il a du mal à construire, inquiet pour son futur qu’il n’a pas les moyens d’envisager.
Sa principale angoisse lui vient pourtant d’un passé peuplé de fantômes qui le narguent tandis qu’ils poursuivent, au loin, une vie parallèle à la sienne. Il sait vaguement que son pays a connu de grandes chevauchées d’ancêtres en partance (vers où déjà ? Pourquoi ?) et de longues et harassantes marches à pas forcés d’armées défaites (revenant d’où ? battues par qui ?) et cette immense béance dans laquelle il jette ses interrogations, et d’où personne ne lui répond, lui donne un vertige intolérable pour lequel les psychiatres devraient pouvoir inventer un nom.
Il y a pourtant des Algériens teigneux qui, fatigués de se gratter la tête, se lèvent un jour et sans aucun équipement spécial, s’engagent dans une quête fébrile de leur histoire quitte à n’en ramener qu’un os à ronger après la retraite.
Un de mes amis d’enfance est précisément de ceux-là et je rends hommage à la hargne qu’il a mise à reconstituer une grande partie de son arbre généalogique.
Aux dernières nouvelles, il est parvenu à localiser, sur une branche de cet arbre, un jeune cousin de 17 ans qui, parti d’Azzefoune, rejoignit les troupes de Tarek Ibnou Zyyad et eut la chance de prendre part à l’épopée des conquérants impétueux de l’époque sur les côtes ibériques.
Ce brave cousin put aussi assister, impuissant, à la grande fumisterie de l’époque par laquelle Ibn Nossair, jaloux des succès de Tarek, s’attribua ses victoires et, inaugurant l’ère de la fourberie et de la cupidité dans le monde musulman, renvoya chez lui, lourdement chargé de chaines, le glorieux général berbère. Il y a longtemps, évidemment, que ce soldat des foutouhate a pris sa retraite. Il coule maintenant des jours paisibles sur les bords du fleuve de miel et de lait que le Bon Dieu a promis aux Croyants.
J’ignore, bien entendu, si, de là-bas, il s’intéresse un peu aux difficultés de mon ami d’enfance et si, du moins, il a entendu parler, dans les allées du Paradis, des fameuses décennies, la rouge et la noire, que nous avons traversées.
Je ne sais pas, non plus, s’il est habilité à nous dire un mot sur la couleur des décennies qui nous attendent.