Ce 1er décembre est l’anniversaire de la mort de l’illustre peintre Algérien M’hamed Issiakhem. Il y a 35 ans disparaissait celui qu’on appelle le fondateur de la peinture moderne, laissant derrière lui une oeuvre magistrale. Cependant très peu d’ouvrages lui sont dédiés. Des membres de sa famille, souhaitant que son oeuvre soit à jamais un héritage transmis de génération en génération, avaient émis le vœu qu’un musée lui soit dédié.
Sur Issiakhem, on ne trouve pas grand chose en librairie. Il faut remonter à 1988 pour dénicher une oeuvre de référence éditée par les Éditions Bouchene. Un beau livre intitulé «ISSIAKHEM», regroupant des textes de Kateb Yacine, Malek Haddad, et Benamar Mediene. Chacun de ces illustres hommes de culture algériens raconte l’artiste et le personnage comme il l’a connu. Des témoignages rédigés avant et après sa mort. Des textes où se mêlent anecdotes et réflexions.
«Une amitié sans bornes»
Il est connu de tous que l’amitié entre Kateb Yacine et Issiakhem était fusionnelle. Les deux hommes se sont rencontrés à Alger en 1951. Le texte intitulé «Œil de Lynx», a été rédigé à Alger en décembre 1985, quelques temps après le décès d’Issiakhem. Le ton de l’écrivain démontre clairement que le deuil n’est pas encore fait.
Sur leur amitié Kateb Yacine écrit que ce n’était pas une amitié intellectuelle, et qu’ils n’avaient pour ainsi dire jamais parlé de littérature ou de peinture.
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«On a lié une amitié sans bornes, parce qu’il nous arrivait souvent de boire ensemble des nuits entière. D’innombrables nuits blanches. Les bistrots qu’on fréquentait à Paris c’était des bistros d’immigrés parce qu’on recherchait l’Algérie. Et comme au bistro on parle beaucoup à ce moment-là s’établissent des liens qui durent toute la vie ».
Pour parler de sa personnalité, il évoquait son drame familial, cette grenade qui lui a explosé entre les mains et qui l’a rendu manchot. Kateb Yassine explique sa violence apparente en disant qu’elle était une réaction défensive. «Il n’aimait pas se sentir diminué, il était fier, il arrivait toujours, avec son bras unique, à gagner au babyfoot ».
Sur son art, il dira «on est toujours frappé dans son œuvre par la vérité de ses personnages; beaucoup de gens lui ont reproché d’être tragique, triste, parce que son œuvre c’est la tragédie algérienne. Et ces gens-là préfèrent une Algérie en carton, pas la vraie Algérie».
«Issiakhem est un artiste contemporain à tous les présents»
Benamar Mediene écrit «mais de qui ou de quoi je parle ? De peinture, d’un peintre ou d’un ami ? D’un artisan de la lumière ou de M’hamed Issiakhem?». À travers ces interrogations Mediene avoue implicitement la difficulté de parler d’un personnage aussi complexe.
À travers ces lignes rédigées en 1987, Médiene évoque sa propre douleur à la suite de la mort de son ami. «j’ai subi la mort d’Issiakem comme on subit une catastrophe». Les deux amis se sont rencontrés à Paris en 1962. Il écrit que sa connaissance d’Issiakhem était «personnalisée, plurielle et phénoménologique», c’est pourquoi quand il l’évoque, le récit est «éclatés, emboités, émotionnels, ou rationnels».
Benamar Mediene parle de la vision que se faisait Issiakhem de l’art : «un risque qui engage l’existence même de celui qui l’assume». Pour lui M’hamed Issiakhem est un artiste contemporain à tous les présents. «Il continue après sa mort à agiter dans notre quotidien une humanité débridée et forcenée une poésie de couleurs qu’il reste à connaitre et déchiffrer».
Il décrit son attitude face à sa maladie. Il dit qu’aucun espace n’est concédé à la maladie. L’artiste peint, voyage, expose, fume, boit : «Pas de drapeau blanc levé, pas d’échine courbée, pas d’incantation. Il disait qu’il y avait plus dangereux que le cancer, les terreurs qu’il inspire».
«Un homme qui sait que son talent est une punition des Dieux»
Ils évoquent tous sa tragédie, et tentent d’expliquer son rapport avec son art. Malek Haddad, écrit que le tragique est son histoire et non pas sa vocation. Cette contradiction était insupportable pour Issiakhem, et éclatait chez lui comme une injustice suprême. Le décrit-il dans ce texte écrit en Avril 1969.
«Le drame est sa matière première. Non pas qu’il s’y complaise. Pour dénoncer le malheur il faut bien le connaitre. Je ne doute pas qu’un jour Issiakhem convertisse son regard en sourire. Le malheur n’est pas une idée fixe, il est une étape à dépasser».
C’est un fait, Issiakhem est considéré comme le plus grand peintre algérien, le fondateur de la peinture moderne algérienne. Il est le peintre algérien le plus connu à l’étranger, le plus côté aussi : un de ses tableaux, « Maternité », a été adjugé à 175.000 euros (24millions de DA environ) lors d’une vente aux enchères à Paris en 2013.
Malgré son immense talent, l’artiste reste méconnu de son propre pays. Les expositions qui lui sont consacrées sont rares. Il n’existe pas encore de catalogue exhaustif de ses tableaux.
Dans son hommage, Kateb Yacine déplorait que dans la sphère de la culture, beaucoup connaissent sa valeur, mais refusaient de le comprendre. Il craignait que sa mort ne soit exploitée. Il disait «maintenant qu’il est mort on va surement faire des livres sur lui. Mais au moins il est difficilement récupérable, parce que ses toiles parlent pour lui. Il crèvera encore ce mur de l’hypocrisie».
Depuis son décès, il y a eu seulement deux expositions rétrospectives, la première au musée des Beaux-arts d’Alger en 2005, et une seconde au musée d’art moderne et contemporain (MAMA) en 2011.
[…] Issiakhem est né le 17 juin 1928 à Taboudoucht, dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Il meurt à Alger le 1er […]
[…] Kateb Yacine est d’abord et avant tout connu comme l’auteur de Nedjma. Lorsqu’il remet la première fois son manuscrit au Seuil, un lecteur professionnel de la célèbre maison d’édition lui conseille, j’imagine avec beaucoup de condescendance, d’écrire plutôt sur les moutons d’Algérie. Sûr que si Kateb avait suivi son conseil, les moutons auraient eu une place enviable dans la littérature. […]