Durant l’année 2019 nous avons vu naitre nombre de révolutions sans tête – le Hirak en Algérie, les Gilets jaunes en France, 17 Octobre au Liban , mouvement des Indignés et Occupy Wall Street – avec un refus radical du leader charismatique (ou pas) qui emmènerait les foules (au sens étymologique du terme c-a-d prendre par la main) vers le paradis révolutionnaire .
La protestation s’est organisée hors des syndicats ou plutôt à succédée et certains étaient présents dans les marches du mardi et du vendredi, samedi pour les Gilets jaunes. Ils ont gardé la semaine de travail n’amputant pas ainsi leurs salaires si précieux pour des familles entières en Algérie, plutôt monoparentales en France.
Ainsi ces protestations ont pu perdurer des années et elles reprennent en France.
Comme le dit Jacques Rancière, professeur de philosophie à Paris VIII et auteur de nombreux ouvrages : « c’était une séquence proprement politique. Le temps de l’émancipation rompt avec l’emploi du temps déterminé par le pouvoir d’Etat. »
Parmi ces mouvements il y a une constante : le refus du leadership, des leaders, des chefs, des bergers …
C’est ainsi que les partis politiques (de gauche, d’extrême gauche ou de droite) ont vu surgir d’un mauvais oeil ces mouvements de masse qui refusaient leurs protections, leurs parrainages, vus du point de vue des protestataires et marcheurs comme des tentatives de récupération.
Bien sûr, l’analyse classique consisterait à dire que ces mouvements, «ces commencements » comme les a si justement nommés Rancière, ont échoué, parce que tout cela était spontané, éphémère et inorganisé.
La défiance vis à vis du pouvoir centralisé est profonde, des prises de pouvoir tout court ( avec le taux d’abstention énorme en Algérie mais aussi en France, abstention dont une bonne partie des non-votants ont posé comme un acte politique et non un désintérêt de la chose publique) .
Echecs des mouvements populaires?
Si on on se penche un peu sur la question, on observera , que c’est un refus de l’organisation « démocratique » verticale avec en préalable la délégation du pouvoir des citoyens aux hommes politiques ,majoritairement désignés comme corrompus ou possiblement corruptibles.
Derrière la peur ou le risque de la corruption, il y a aussi un refus de se laisser dessaisir de sa vie, de son indépendance et de sa capacité à agir seul.
Une croyance que l’on retrouve beaucoup dans le cinéma américain – avec des personnages qui campent de manière récurrente Clint Eastwood dans ses films; seul contre tous, le héros du quotidien sans destin collectif. Une grande figure du libéralisme américain .
L’avantage de cette philosophie c’est qu’elle pousse l’individu à se prendre en charge sans rien attendre de l’Etat voire à s’en méfier. C’est ainsi qu’on a vu se mettre en place aux moments des incendies en Kabylie ou durant la crise sanitaire du Covid ,des solidarités inter-régionales, Diaspora algérienne comprise .
Cependant, reste entière la question du changement du pouvoir politique ou de son évolution dans une transition pacifique .
Les responsables de la faillite de l’Etat ( en tant que structure qui est sensée assurer la protection, la santé, l’éducation du citoyen, la gestion des ressources du pays) sont toujours là en Algérie comme au Liban ou en France (pour cette dernière nous verrons ce que donnera l’élection présidentielle) .
Le système d’oppression, de répression, de captation des richesses au profit de quelques uns perdure. Or, un système qui pérennise la domination et l’oppression ne peut être changé sans passer par le collectif et ne peut être l’oeuvre d’un rebelle seul contre tous.
Selon Sartre, « le rebelle est secrètement complice de l’ordre contre lequel il se révolte. Son but n’est pas de créer un système meilleur et nouveau ; il veut simplement enfreindre les règles. Le révolutionnaire, en revanche, est constructif. Il souhaite remplacer un système injuste par un système nouveau meilleur […] »
Si la critique de la figure du révolutionnaire s’entend, beaucoup nous ont déçu, mais d’autres non; par exemple on a vu Malraux après des actes de bravoure pour l’Espagne républicaine devenir ministre de De Gaule et, en tant que ministre de la culture, il n’a pas démérité en créant de grands projets dont les maisons de la culture, les MJC, les bibliothèques dans chaque quartier …
Bien sur ces lieux créés pour les classes populaires ont été récupérées par les classes moyennes et comme souvent, y compris dans l’art, les marges produisent de l’innovation que le centre finit par récupérer, voire s’approprier.
Dans le texte de Samir Toumi publié dans l’ouvrage collectif J’ai rêvé l’Algérie, on voit le personnage central déambuler dans Alger sa ville et s’arrêter sur une place à qui on a donné le nom de Khaled Drareni. Celui-ci a refusé de prendre toute responsabilité politique, restant ainsi hors d’atteinte de tentatives de corruption qui auraient entaché le héros des luttes du Hirak, et par là même, entre dans l’histoire, voire la légende en «pur ».
Autre temps, pas si lointain, Hocine Ait Ahmed est rentré dans le roman national et dans la légende en « pur » parce qu’il a toujours refusé les offres du pouvoir algérien et on se souvient de la foule à ses funérailles avec la famille contestant la présence des officiels du gouvernement.
Nous voila donc face à des injonctions contradictoires : nous contestons un pouvoir mais nous n’arrivons pas à le faire partir, faute d’organisation collective disent certains chercheurs, intellectuels, journalistes …
Mais nous dit toujours Rancière «ce qu’ils pensent comme organisation est toujours homogène avec la temporalité étatique. »
Donc il faut choisir : soit il n’y a pas de politique du tout – ce qui est après tout une hypothèse –, soit il y en a et elle est définie par les ouvertures opérées par ces sortes de moments. »
Alors ?
Clint ou Robert Redford qui lui a crée Sundance, festival de cinéma où l’on peut voir tous les films alternatifs que Hollywood a refusé …
Le festival de Cannes ou la Quinzaine des réalisateurs ?
Godard ou Truffaut ? Sartre ou Camus ?
Kateb Yacine ou Mohamed Dib ?
Mimouni, Mustapha Benfodil ou Maissa Bey, Assia Djebbar?
Benanteur, Yasser Ameur ou El Meya ?