La répression préventive

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La répression préventive
La répression préventive/©Zahra Rahmouni
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La répression préventive est l’expression que l’on pourrait retenir pour qualifier globalement les arrestations qui interviennent la veille d’un évènement politique jugé à haut risque. Est-ce le cas pour les arrestations annoncées dans les réseaux sociaux depuis le jeudi 10 juin ? L’agenda politique, les législatives du 12 juin 2021, peut le laisser croire.

Dans cette hypothèse, il ne faut pas s’attendre à des confirmations officielles immédiates. L’effet de surprise recherché s’en trouverait contrarié. La législation peut autoriser une telle action dans la mesure où cette dernière est coordonnée avec l’appareil judiciaire. Les prérogatives attribuées aux services de sécurité à l’occasion d’amendements des lois au cours de la période relativement récente le permettent.

La répression préventive et le droit

De nombreux États, régimes démocratiques compris, se sont dotés de lois dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Présentées dans le cadre d’une légitime défense face à un extrémisme islamiste particulièrement barbare, ces lois n’échappent pas aux critiques des défenseurs du droit. Entendre par droit, les règles de juste conduite énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

En effet, certaines règles formelles qui protègent la personne humaine contre l’arbitraire policier sont levées. Les États démocratiques limitent ces violations du droit sous la pression de l’opinion publique mobilisée. Les dispositions de la lutte anti-terroriste ne sont pas non plus étendues à l’opposition politique. Mais la tendance des États, mêmes démocratiques, à empiéter sur les droits des citoyens se trouve vérifiée.

C’est donc la vigilance et la mobilisation constante de la société civile qui freinent cette propension à plus d’État et à moins de liberté. Rapportés à l’Algérie, les risques d’arbitraire deviennent plus grands. L’État de tradition autoritaire ne s’embarrasse pas toujours de précautions juridiques. Il exerce spontanément ce caractère autoritaire.

Deux précédents peuvent être cités pour mesurer la tradition et son évolution. A la veille du 1er Mai 1982 et à la veille du 4 Octobre 1988, les services de sécurité avaient procédé à des arrestations préventives parmi des militants et responsables du Parti de l’Avant-garde Socialiste (PAGS, d’obédience communiste).

Le pouvoir envoyait un message ferme et clair à ce Parti. Pour cela, les services de sécurité n’étaient tenus de respecter aucun des droits de l’individu : Arrestations de nuit, effraction des portes des domiciles, destination inconnue et aucun recours à l’appareil judiciaire. Aujourd’hui, la persistance de telles méthodes répressives laisse penser à une régression de l’État.

De telles pratiques avaient sérieusement reculé depuis la fin des années 80. Mais pendant les années 90, les violations des droits humains se sont multipliées à l’occasion de l’action de l’État pour déjouer l’insurrection armée islamiste. Cependant, la normalisation de la vie politique intervenue dans les années 2000 laissait espérer un recul conséquent des violations des droits des citoyens.

L’État autoritaire renoue facilement avec les méthodes répressives dès lors qu’une crise politique intervient. C’est inscrit dans son ADN. Pourtant, pour s’en tenir aux précédents des années 82 et 88, l’hypothèse de base des répressions préventives s’est révélée erronée. Il n’a jamais été établi, ni vérifié que le PAGS fomentait une grève générale ou des manifestations particulièrement hostiles au régime. Panique et/ou propension naturelle, pourquoi l’État autoritaire recourt systématiquement à la violation du droit.

L’Etat idéologique

Malgré tous les reproches que nous leur faisons, les pays démocratiques offrent des garanties d’exercice des libertés individuelles et collectives inégalées dans le reste du monde. Ce reste du monde est composé de dictatures et d’États autoritaires.

Ce sont des États socialistes ou communistes et des États nationalistes. Ils alimentent régulièrement l’actualité internationale par les violations répétées des droits de la personne humaine. États civils, États religieux, États policiers ou États militaires, ces États possèdent en commun une caractéristique particulière. Ils se réclame d’une idéologie. Certes, il n’existe pas d’État désinfecté totalement de toute idéologie.

Les idéologies sont comme les nuisances qui polluent l’atmosphère. Elles sont acceptables à certaines doses et ne menacent pas dans ces conditions la santé de l’homme. C’est le cas des idéologies dans les pays démocratiques dont la référence ultime reste le droit. Mais les États autoritaires et les dictatures se réclament d’une idéologie officielle. Elle est la référence ultime à leur action. Le droit est relégué au second plan.

Dans ces conditions, il est possible de mieux appréhender le recours facile à la répression et aux méthodes coercitives de l’État nationaliste. De l’État algérien. « L’unité nationale », « la sécurité de l’État », « les symboles de l’État », « les institutions », sont autant de catégories que le nationalisme sacralise et devant lesquelles l’individu et ses droits fondamentaux ne sont rien.

Voilà la dissonance qui affecte de plus en plus les relations entre l’État et la société civile. Voilà pourquoi l’État autoritaire ne s’embarrasse pas de recourir à la répression et d’en élargir son champ. Mais ce recours privilégié à la répression, à la violation des droits humains, porte la marque des institutions hypertrophiées de l’État autoritaire.

La croissance disproportionnée des services de sécurité

Un constat s’impose. L’idéologie nationaliste place l’État dans une relation conflictuelle avec la société civile. L’État actuel ne dispose pas d’appareils politiques pour rivaliser avec l’opposition qui s’exprime dans la société civile. La période actuelle d’assèchement des réserves financières réduit les subventions et autres distributions financières qui neutralisent et corrompent. Autoritarisme et coercition sont donc ses leviers principaux.

Pour cela, il s’en remet à ses services de sécurité. Il est connu que ces derniers jouent un rôle dominant dans les cellules de crise mises sur pied pour suivre les évènements majeurs. C’est donc leur angle d’approche qui prédominent. Cette tendance risque de s’accentuer si la carence des autres institutions de l’État persiste.

Ce rapport de force à l’intérieur de l’État va aggraver une inclination décrite par la théorie des choix publics que l’on doit à une école du même nom et dont le plus illustre représentant est l’économiste américain James Buchanan, prix Nobel d’économie de 1986. Selon cette école, le fonctionnaire n’a pas vocation à défendre l’intérêt général. Il se comporte comme l’agent économique sur le marché. Son intérêt personnel le pousse à accroitre ses prérogatives, son pouvoir.

D’où la tendance à surévaluer son rôle, à développer son organisation et ses effectifs sans souci des coûts à la charge du trésor public. Cette théorie des choix publics étudie les dépenses publiques des États sans distinction. Mais il est clair que le phénomène prend plus d’ampleur dans les conditions de crise entre la société civile et l’État et de défaillances des autres institutions de l’État.

L’importance des contre-pouvoirs

De ce qui précède, il n’est pas question de conclure à un effacement complet des services de sécurité. Leur existence normalisée est inhérente à tout État. Ils permettent l’accomplissement des responsabilités régaliennes de l’État et en premier lieu la protection de la sécurité et des libertés des citoyens. Leur présence et leur responsabilité démesurées tiennent à la nature de l’État.

Or l’État autoritaire enveloppé par l’idéologie nationaliste étroite a la phobie des contre-pouvoirs. Dans les pays démocratiques, ce sont les contre-pouvoirs qui contestent et limitent les prérogatives des services de sécurité. Ces contre-pouvoirs se situent d’abord au niveau de l’institution gardienne du droit, la cour (ou Conseil) constitutionnelle.

Ils sont également le produit de la démocratie représentative, le parlement. Ils sont enfin issus directement de la société civile à travers les partis politiques, les associations et autres regroupements de citoyens. C’est tout cela qui fait défaut en Algérie et qui facilite l’attitude arbitraire des institutions de l’État. L’édifice démocratique est inséparable de la conquête de nouvelles libertés individuelles et collectives de la société civile. C’est ce long chemin qu’il faut emprunter avec résolution, sans impatience et sans aventurisme

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