L’art en résistance au patriarcat

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L’art en résistance au patriarcat
Toile de Souhlla Bel Bahr
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Symbolique, abstrait, ou figuratif, c’est un chemin, pour les plasticiennes qui se construisent en quête de soi, qui permet de tenir à distance voire de rompre la soumission . Bien sur, elles restent les auteures d’oeuvres singulières uniques, de journaux intimes . Ces femmes souvent dans leurs cuisines, dans un coin du salon, rarement dans un atelier oeuvrent à leurs créations dans des sociétés souvent hostiles à ce qui fait leurs identités genrées . On remarquera que, paradoxalement, le confinement, l’enfermement deviennent alors des espaces de résistance alliés de leur créativité.

On pourrait noter plusieurs sujets qui marquent les générations d’artistes des années 30 à nos jours en Algérie: pour la première génération la femmes-fleur narratives de leurs rêves chez Baya et Souhila Bel Bahar, métaphore d’une beauté sage et docile pour qui ne sait pas voir qu’elles évoluent dans une société en ébullition à la recherche de sa liberté .

Baya instrumentalisée par la France pour masquer l’horreur du 8 mai 1945 à Sétif  est présentée comme une image du bonheur des colonisés, modèle de la  jeune musulmane, orpheline, analphabête ou innocente, elle est contestée par l’UNAP (union nationale des arts plastiques )  demandeuse d’iconographie pour célébrer la lutte pour l’indépendance algérienne, elle est fustigée par l’artiste peintre Khadda .

Cantonnée à la bibliothèque du Musée, Baya n’est jamais évoquée dans le cursus pédagogique de l’école des Beaux arts d’Alger, contrairement à Issiakhem et Khadda, parce que trop célébrée par les galeries françaises, elle est souvent mise à l’écart voire méprisée par ses collègues artistes .

Adulée et isolée, l’artiste paye le prix de la quête de la distinction dirait Bourdieu

Enfin pour la génération contemporaine, on assiste à un retour au figuratif dont les thèmes récurrents sont souvent des animaux (pourtant plutôt absents dans l’univers domestique algérien). Ils sont sauvages, chez El Meya installés dans des espaces clos, presque domestiqués, à la fois hostiles et faibles chez Nawel Louerrad,  à conquerir chez Fella Tamzali.

Toile de Dalila Dalléas Bouzar

La présence de l’animal dans la peinture a toujours représenté un sujet d’étude dans le domaine de l’art . On note la présence des animaux dans plusieurs courants, tels que le symbolisme, le surréalisme et le naturalisme , il est déjà présent dans les grottes du Tassili ou de Chauvet en France .

On se rappelle que chez les surréalistes, l’animal est le symbole de la force, du désir de puissance par exemple chez Léonor Fini avec ses femmes au sphinx . Le cheval blanc est celui de la liberté chez Léonora Carrington, cheval blanc qu’on retrouve chez Fella Tamzali chez qui la référence à l’histoire de l’art est sans cesse présente . L’artiste semble hésiter entre la peur de l’animal avec des chiens menaçants, gardiens (de l’ordre masculin ?) ou en alerte et des chevaux symbole d’émancipation, de désir de liberté . On observe que souvent les cavalières sont soit empêchées d’accéder à leurs montures  (sans titre, peint en 2020) soit le seul cheval qu’une des cavalière arrive à chevaucher, masquée, c’est un cheval de bois .

Avec El Meya les animaux, souvent associés aux contes et aux mythes, sont féroces . Elle peint un loup rouge pour illustrer la fiancée du loup de Mohamed Dib, des lions, des tigres qu’elle peut poser sur une couverture de lit .

Les oiseaux de Nawel Louerrad sont disproportionnés par rapport au réel, inquiétants ou affaiblis, parfois l’homme les porte, on assiste aussi à des métamorphoses dans les formes d’hybridation et de stylisation .

Pour les artistes de la diaspora, ballotées par l’histoire, on retrouve les problèmes identitaires liés à la colonisation/décolonisation :

– les corps tatoués sur des peaux noires chez Dalila Dalléas Bouzar ou son interprétation du tableau de Delacroix « Femmes d’Alger dans leurs appartements » (tout comme son ainée Souhila Bel Bahar,) .

  • les harragas embarqués sur les côtes dont il ne reste que le bateau avec Zineb Sedira .
  • Chez Katia Kameli,  Kalila et Dimna sont réinterprétés et l’on retrouve à nouveau les animaux des fables .

On est ainsi loin de Baya avec  ses papillons dans le ciel, ses fleurs, ses paons (parfois noirs cependant) , ses serpents dans les jardins oniriques . Anissa Bouayed, dans « Baya, vie et œuvre » parle à son propos, concernant la période des années 70 et 80 de son oeuvre, d’un « art de la plénitude» mais c’est oublier les traits épais noirs qui cernent ces femmes .

Les lieux de travail sont souvent ces lieux de l’enfermement c-a-d  les appartements, les cuisines  d’ou les formats modestes des oeuvres dus à l’absences d’espace à soi ou d’ateliers mais ces formats évolueront sous la pression du marché de l’art, notamment américain .

La visibilité et la reconnaissance de ces créatrices, l’ouverture des lieux institutionnels, la cotation de leurs oeuvres à l’égal de leurs collègues masculins est la prochaine étape à saisir pour le bien des sociétés où ces femmes évoluent et pour la beauté du monde dont nous avons un besoin urgent sauf à rester un nuage de printemps sur des sols arides .

Myriam Kendsi plasticienne

Auteure de Protest painters algériens  Marsa Editions , lart au féminin The bookedtions

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