Que sait-on de la région du M’zab ? Rien sinon trop peu de chose. Le commun des Algériens ne sait pas plus sur cette cité pentapole que son origine. Une région choisie par les Ibâdites pour se poser après des siècles de nomadisme à travers le monde musulman. Les Éditions Al Bayazin qui lui ont consacré un ouvrage en 2012, y revienne avec un ouvrage augmenté et enrichi. A coup de petits textes, de très belles photographies et de repères historiques, Smaïl Benhassir et Hocine Seddiki mettent en relief la grande originalité du M’zab et donnent envie de le visiter.
Classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1982, la vallée du M’zab a été peuplée lorsque les fatimides détruisent en 911 Tihert, première ville en Algérie fondée par les Ibâdites. Ces derniers se dispersent à travers le pays avant de s’installer, définitivement, des années plus tard, dans la vallée du M’zab. Ils y fonderont les cinq villes qui forment la pentapole. On apprend dans ce beau livre que la ville d’El Ateuf (Tajnint) a été la première bâtie en 1012 dans ce désert infini. « Le vrai désert dans le désert », écrivent les auteurs pour décrire l’hostilité naturelle des lieux. L’édification d’El Ateuf fut suivie par celle de Bou Nouar (Atbounour) en 1045. La ville de Taghardaït, Ghardaïa, actuelle chef-lieu de la wilaya, verra le jour en 1053 . Puis viendront en 1124 les villes de Melika (At Mlichet) et en 1347 Beni Isguen (At-Izgen). En 1651, émergera du désert une autre ville un peu plus lointaine, Guerrara et en 1690 Berriane.
Effectuant un vrai travail de chercheurs en histoire, Smaïl Benhassir et Hocine Seddiki, emmènent leurs lecteurs dans un véritable voyage dans le temps. Comment la vie a-t-elle pu « prendre » dans ce désert ? Il y a 1300 ans, très loin du M’Zab, précisément à Koufa naquit l’idée de cette prestigieuse ville du croissant fertile. «Quelle étrange destinée que celle de ces hommes, pourchassés, traqués, repoussés dans les recoins les plus éloignés, isolés et qui, à force d’ingéniosité, ont transformé en paradis terrestre, l’une des contrées les plus inhospitalières de la terre. »
Kairouan, Isadraten et Tihert, apprend-on, étaient «les haltes successives d’une longue marche de quatre cents ans. Un exil, forcé d’abord, voulu ensuite. Voulu par une volonté farouche de liberté, de grands espaces, de pureté et de préservation des fondements d’une pensée». Des mots et des des images fortes qui marquent l’esprit des lecteurs à la rencontre du sens porté par ces hommes de volonté qui façonnent le désert pour préserver leur culte et leur culture, construire leurs mosquées et leurs habitations.
« De leurs mains ensanglantées, ceux qu’on appelait les Ibâdites et qu’on appellera désormais les Mozabites, grattèrent le schiste; ils arrachèrent la pierre calcinée aux arêtes tranchantes du plateau stérile pour construire » leur villes. Les auteurs illustrent cette volonté inébranlable par la célérité de l’édification des villes. « En trois décennies, quatre cités verront le jour, perchées sur les monticules qui dominent le reg désolé : El Ateuf, (le tournant), Bou Nouara, (la lumineuse) puis simultanément Ghardaïa (la Grotte de Daïa) et Melika (la reine). Les nouveaux réfugiés qui afflueront sur cette terre trois siècles plus tard créeront Beni Isguen (la pieuse) ».
Dans ces cités, expliquent MM. Benhassir et Seddiki, tout « mœurs, techniques, architecture, est soumis à un ordre divin ». Les prairies saisies créées de toute pièce longeront l’oued du M’Zab offrant par la même à chaque Mozabite son havre de paix. Ce sont les fameuses maisons d’été où règnent paix et joie de vivre. « Ce paradis terrestre n’est pourtant pas un caprice de la nature (…). La patience, la discipline, l’ingéniosité et beaucoup de sacrifices ont eu raison de la nature. »
Ce voyage dans le temps n’aurait pas été complet sans le rappel du passage d’autres populations de la préhistoire à l’installation des Ibâdites dans la vallée. Pour étayer leurs dires ils font référence aux travaux d’historiens qui se sont intéressés à la région, notamment Pierre Roffo , « Les civilisations paléolithiques du M’Zab ». et Joël Abonneau, « La préhistoire du M’zab ».
Les auteurs de cet ouvrage ne se limitent pas à la fondation de la pentapole. Ils déroulent sous les yeux des lecteurs des centaines de photographies aussi distantes les unes que les autres. Elles pourraient même se passer des légendes poétiques qui les accompagnent.
Le texte ne pouvait évidemment pas négliger l’aspect architectural et urbanistique unique. Abritées derrière les remparts qui les protègent, elles apparaissent aux visiteurs comme de véritables masses compactes se fondant dans le paysage alentour. Tranchant avec les excroissances des autres villes algériennes, « les villes du M’zab procèdent d’une extension raisonnée. Ce sont des ksour en ordre serré. Elles se développent selon des arcs concentriques autour de la mosquée. Les rues entourent plusieurs circonvolutions concentriques la partie centrale du ksar. Elles sont néanmoins, des rues perpendiculaires descendantes ».
Un génie qui fera dire au célèbre architecte français Le Corbusier « A chaque fois que je me trouve à cours d’inspiration, je prends mon billet pour le M’Zab. » Pour lui, la cité s’ouvre vers le ciel. « Une machine à habiter », précisera-t-il. L’introversion des habitations mozabites n’est pas en reste dans l’ouvrage. On précise que rien de son aspect extérieur ne devait révéler les différences de fortune, le riche ne devait pas écraser le pauvre.
« Tout est fait pour préserver la » horma « , familiale : construites en gradins sur un monticule, les terrasses tournées vers l’extérieur, la hauteur uniforme, des maisons, les hauts murs, l’unique porte toujours en chicane évite toute surprise, fenêtres et terrasses interdisant le regard indiscret. » Smaïl Benhassir et Hocine Seddiki révéleront tour à tour à leurs lecteurs, les palmeraies paradisiaques, les souks légendaires, les édifices religieux et les cimetières où tout suinte la simplicité, la poésie et le divin. On ne manquera pas de souligner l’harmonieux côtoiement de la tradition et la modernité.
Le M’zab autrefois replié sur lui même, affirment les auteurs de cette œuvre inestimable, est aujourd’hui, ouvert et accueillant. «Malgré de perceptibles concessions à la modernité, les cités traditionnelles du M’zab demeurent une part du patrimoine de l’humanité, inspirant architectes, poètes et artistes. Elles provoquent l’émotion et l’inspiration chez ceux dont la sensibilité ou la connaissance a de générosité, d’humilité et de simplicité », conclut-on.
Beau livre de 176 pages, le M’zab de Smaïl Benhassir et Hocine Seddiki s’apparente à une vraie œuvre d’art. Des beaux textes des auteurs, des photographies en pleines pages de Hamid Douakh, aux dessins marquant les débuts des 12 chapitres du livre signés Hachemi Ameur et jusqu’à la maquette exceptionnelle du designer Fodhil Seddiki, le M’zab est un livre à acquérir et à offrir. Un joyau que les connaisseurs sauront, indéniablement, apprécier.
Le M’zab de Smaïl Benhassir & Hocine Seddiki, 176 pages, Editions Al Bayazin, 2 000 DA
LIRE AUSSI: Le M’ZAb une fierté algérienne (BLOG)