L’argument principal de ceux qui rejettent le projet de constitution s’appuie sur une idée bien ancrée dans les esprits et bien vérifiée dans la vie quotidienne : Les proclamations des libertés individuelles dans les constitutions algériennes ne privent pas les autorités du pouvoir de répression policière et judiciaire. Les communiqués du «Comité national pour la libération des détenus » l’attestent journellement.
Cette idée juste traine avec elle une présupposition : Le texte est bon. Il reconnait et garantit les libertés fondamentales. Pourtant il existe un enchainement logique entre les motifs d’inculpation à la base de l’emprisonnement arbitraire des citoyens et des dispositions de la Constitution reprises par le projet de 2020. Ne pas établir cette relation logique revient à absoudre la Constitution de tout projet liberticide.
Or comme exposé dans « le puzzle constitutionnel algérien » (partie 1) et (partie 2), la constitution regorge de notions vagues qui implantent le pouvoir autoritaire et lui donnent les moyens de nier ou de limiter les libertés fondamentales. Ces notions ont pour noms : « unité nationale », « indépendance nationale », « souveraineté nationale » et « institutions que le peuple se donne ». La notion « d’identité nationale » (non abordée) recèle le même potentiel. Elles sont renforcées au niveau de la loi par les accusations d’atteintes aux « symboles de l’Etat ou de la Nation », au « moral de l’Armée », aux « institutions» et d’outrage à « corps constitués » ou « au Président de la république ».
Cela mérite d’être relevé. Tout projet constitutionnel s’inscrivant dans la perspective de l’Etat de droit devra passer par la critique de ces notions qui gravitent autour de la souveraineté et qui fondent l’Etat autoritaire. Il a été question de puzzle parce le projet de l’Etat autoritaire se trouve exprimé dans des éléments éparpillés de la Constitution. Abordant le volet économique, il sera plutôt question de patchwork dans la mesure où s’entremêlent des orientations diverses dues peut-être mais pas exclusivement à l’absence des économistes dans l’élaboration du projet.
Le rétropédalage « économique » du projet
Depuis 1989, les Constitutions algériennes promulguées peuvent être identifiées par un article. C’est ainsi que « l’article 40 » par son alinéa 1 particularise la constitution de 1989 : « Le droit de créer des associations à caractère politique est reconnu. » C’est la fin de l’ère du parti unique et l’ouverture politique malheureusement ratée. La constitution de 1996 se
singularise par son article 43 : « La liberté d’investissement et de commerce est reconnue». C’est l’ouverture économique et une timide place faite à l’entreprenariat privé. La constitution de 2016 consacre dans son article 4 : « Tamazight est également langue nationale et officielle ». C’est l’ouverture « identitaire » même si cela n’a pas empêché le défunt Chef d’état-major de l’Armée d’appeler à la répression des porteurs de l’emblème amazigh. Alors qu’en-est-il du projet de constitution de 2020 qui doit fonder la nouvelle Algérie? Rien de fondamental.
Dans son travail de « mise au net » de la Constitution, la commission a réécrit l’article 43 et introduit une limitation de taille à la liberté d’investissement. C’est l’alinéa 2 de l’article 61 : La loi définit les investissements dont le caractère stratégique impose une participation majoritaire ou un contrôle, direct ou indirect, de l’Etat ». L’absence de définition du « caractère stratégique» laisse la porte ouverte aux manipulations. C’est une entrave à la liberté d’investissement. Un recul significatif. Pourtant, le gouvernement mis en place semblait vouloir opérer des ouvertures sur le plan économique pour susciter les investissements privés nationaux et étrangers. Il n’est pas exclu que ce gouvernement aie faiblement pesé dans l’élaboration du projet.
Un parti pris constitutionnalisé
La sortie du système socialiste se fait péniblement depuis 1989. Le bilan des vingt premières années d’indépendance avait invalidé cette orientation économique. Des mesures de désengagement de l’Etat de la gestion économique directe interviennent au gré des conjonctures. Mais la tentation de maintenir l’étatisme ou de le rétablir persiste. Cela tient à la nature autoritaire du pouvoir. La volonté de tout régenter malgré les résultats peu convaincants est un trait de ce régime. C’est ainsi qu’est réaffirmée la tentation du monopole de l’Etat sur le commerce extérieur dans une formulation « mi-figue mi-raisin » : « de la compétence de l’Etat ».
Il en est de même de la prétention à « réguler le marché ». Une telle formule imprécise laissera place à une combinaison des deux formes de régulation, Etat et marché, dans des proportions dictées par l’environnement économique et les rapports de force dans le pouvoir. Toutes ces dispositions sont contraires à la démocratie. En effet, il appartiendra aux électeurs de choisir les orientations économiques qu’ils jugent les plus appropriées au développement économique du pays. Dans la Constitution, doit être observée une neutralité qui permet l’exercice de la « souveraineté populaire », la démocratie directe, et de la « souveraineté nationale », la démocratie représentative, pour les options économiques. Donc il s’agit de n’exclure aucune option, socialiste ou étatiste ou libérale. Le pluralisme politique s’appuie sur une diversité idéologique et des écoles économiques connues universellement.
Cette neutralité de la Constitution s’impose d’autant plus qu’il n’existe pas de système pur entièrement dominé par une école économique. Les systèmes économiques en place sont, malgré des options majeures, des compromis définis pragmatiquement ou par une combinaison, résultat d’une alliance électorale. Ce qui est fondamental, c’est la reconnaissance et la protection de la propriété privée sans laquelle la personne humaine ne peut prétendre aux libertés individuelles. La Constitution en dispose dans l’article 60. Mais le rôle renforcé de l’Etat constitue une menace permanente.