L’écrivain Yasmina Khadra à Saïda : « Une maison d’édition, c’est d’abord un centre commercial »

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L'écrivain Yasmina Khadra à Saïda : "Une maison d'édition, c'est d'abord un centre commercial"
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L’écrivain Yasmina Khadra a animé un débat avec les lecteurs, le vendredi 15 septembre, à la salle Douniazed de Saïda, à la faveur du 6 ème Festival national de la littérature et du cinéma de la femme qui s’est déroulé du 13 au 17 septembre 2023. 
L’auteur de « A quoi rêvent les loups » a critiqué la politique de l’édition en Algérie. « Nos éditeurs ne sont pas tous des professionnels. Il y a du trafic d’influence, du copinage. Heureusement que les réseaux sociaux et les plateformes existent. Des plateformes à la portée de tous et qui peuvent permettre l’émergence de talents littéraires. La politique algérienne en matière d’édition n’est pas sincère, n’a pas d’ambition », a-t-il tranché.  


Et d’ajouter : »Il existe des imprimeurs, qui passent pour des éditeurs, et qui demandent de l’argent. Ce sont des escrocs. De véritables prédateurs. Je connais des jeunes qui sont tombés dans leur piège. Il ne faut jamais donner de l’argent à un éditeur. Quelqu’un qui vous demande de l’argent, ne va rien faire pour vous ».


Il a accusé certaines maisons d’édition d’incompétence.  « Trois éditeurs algériens ont vendu des milliers d’exemplaires de mes livres, mais ils ne m’ont jamais payés. Cela dit, il existe des éditeurs respectables, d’autres le sont moins. Il faut que les jeunes s’adonnent à leur ambition d’écrire avec la condition d’avoir un métier à côté. Quand on a un métier, on est libre, souverain sur le texte », a-t-il dit.


« La littérature ne s’apprend pas à l’école »

« Une maison d’édition, c’est d’abord un centre commercial. Elle est là pour vendre des livres, pas pour faire de la figuration. C’est une réalité monstrueuse. Les éditeurs sont à la recherche de la perle rare », a-t-il appuyé.


Il a plaidé pour l’organisation d’ateliers d’écriture en Algérie pour accompagner les jeunes auteurs, comme en Europe.
« La littérature ne s’apprend pas à l’école. Les écrivains les moins percutants sont des universitaires parce qu’ils sont plus dans la théorie que dans la créativité. La littérature, c’est inné, mais tout s’apprend. On peut savoir écrire, mais pas savoir dire (…) Le propre de l’homme est d’écrire, pas rire. Il faut que l’Etat s’investisse plus pour aider les jeunes écrivains à émerger et à s’épanouir. En attendant, aux écrivains de créer leur monde et de s’imposer », a noté l’auteur de « L’Équation africaine ». Il a regretté l’absence ou la faible présence de littérature algérienne dans les programmes scolaires en Algérie.


Selon lui, les artistes n’ont pas suffisamment de moyens pour créer. « En Algérie, on n’a pas encore compris que le cinéma est aussi important que le livre ou le théâtre. Le cinéma a une audience immédiate. Le film on le rencontre tous les jours, à la maison, à travers la télévision. Je souhaite que les gens lisent. Il faut avoir beaucoup de maturité pour lire. Et quand un roman est adapté au cinéma, je souhaite que le réalisateur ait les moyens de ses ambitions », a plaidé Yasmina Khadra.


« Le cinéma, c’est une dictature, nous impose l’image… »

« Nous sommes capables de parler au monde. Il faut que ce pays bouge, que l’Etat appuie les artistes et que les dirigeants soient à la hauteur des ambitions culturelles de ce pays », a-t-il proclamé.


L’écrivain est revenu sur son expérience en matière d’adoption de ses romans au cinéma et dit n’avoir jamais été d’accord avec le français Alexandre Arcady, l’algérien Okacha Touita, le libanais Ziad Doueiri et la française Zabou Breitman.  Arcady a réalisé le film « Ce que le jour doit à la nuit », Touita « Morituri »,  Doueiri « L’attentat » et Breitman « Les hirondelles de Kaboul » (film d’animation).


« J’ai beaucoup de respect pour les artistes et je m’interdis de m’immiscer dans leur travail. C’est déjà un honneur pour moi de voir un de mes romans, adapté au cinéma ou au théâtre. J’ai la curiosité de savoir comment je suis perçu à travers les prismes d’un artiste. Les mots nous rendent libres grâce à l’imaginaire. Le lecteur est le réalisateur de ce qu’il lit. Le cinéma, c’est une dictature, nous impose l’image, les personnages. Les Russes sont les seuls cinéastes qui adaptent fidèlement les livres au grand écran. L’adaptation, c’est toujours un danger. Adapter, c’est adopter une œuvre, mais on ne sait pas si les parents adoptifs sont bons ou pas », a confié l’auteur de « L’Automne des chimères ».


Il a parlé de son expérience avec le cinéaste franco-algérien Rachid Bouchareb, présent dans un autre débat, organisé, à la faveur du festival, à la maison de la culture Mustapha Khalef de Saida. Khadra et Bouchareb ont travaillé ensemble, avec la contribution d’Olivier Lorelle, pour le scénario du film « La voie de l’ennemi » (Enemy way), en 2014, et pour le téléfilm « La route d’Istanbul », en 2016.


« Aucun réalisateur algérien ne s’est intéressé à mes livres pour les adapter »

« Même si je n’étais pas d’accord avec ce qu’il faisait, mais j’étais ravi de travailler avec Rachid Bouchareb. Aucun réalisateur algérien ne s’est intéressé à mes livres pour les adapter. Des livres qui ont fait le tour du monde et toucher des millions de lecteurs. Au lieu d’adapter une œuvre, capable de les propulser et de les faire connaître plus, et bien non, ils ne le font pas. Je ne vais pas leur courir après », a-t-il regretté.
Il a annoncé, sans citer de nom, qu’un réalisateur algérien a acheté les droits du roman « A quoi rêvent les loups  » (paru aux éditions Julliard en 1999) pour l’adapter au grand écran.
« J’ai écrit un feuilleton pour la télévision algérienne, « Commissaire Llob and co », huit épisodes de 52 minutes, avec Bachir Derrais. Un feuilleton financé par l’Algérie et qui n’a pas encore été diffusé par l’ENTV. Le prétexte est qu’on voit un bar dans les scènes. Nous sommes devenus puritains alors que nous sommes les plus grands pervers de la terre », a-t-il dénoncé.
Il a précisé que plusieurs comédiens ont participé à ce feuilleton à l’image de Rachid Farès et de  Sidali Kouiret, tous deux décédés.
« Je considère que « Les vertueux » comme mon meilleur livre »

« On tente toujours de porter atteinte à ceux qui nous honorent. Comment peut-on avancer, si on n’a pas cette ouverture d’esprit  et si on n’a pas ce besoin de conquérir. J’écris sur les autres pays parce que j’aime conquérir. Pourquoi faut-il toujours croire que les occidentaux sont les seuls à pouvoir donner des leçons ? Nous aussi, nous avons des choses à dire », a-t-il dit.
Et de poursuivre : »Il faudrait que la société daigne s’avancer. On ne voit pas ce besoin d’aller à la reconquête des rêves, des espaces encore vierges. La société est à la traîne et je pèse mes mots. Cette société doit être portée par les artistes. Les vrais constructeurs d’une nation sont les artistes, les champions sportifs, les intellectuels, pas les politiques. Ces élites sont marginalisées, diabolisées. Il est grave qu’une société se méfie de ce qu’elle produit de mieux, les artistes, les dramaturges, les écrivains, les cinéastes. La culture, c’est l’expression majeure d’une société ».


Il est revenu sur son dernier roman « Les vertueux », paru en 2022, aux éditions Casbah, en Algérie, et  Mialet Barrault, en France.  « Les vertueux » est le seul roman où j’ai senti que j’avais franchi un pas. Je me suis dit que je n’ai aucun complexe à me faire. Je ne jalouserai aucun écrivain au monde. « Les vertueux »  est une œuvre traversée par l’esprit de ma mère. J’ai mis trois ans à écrire ce livre alors que « L’attentat », je l’ai écrit en deux mois et « La dernière nuit du raïs » en trois semaines », a-t-il confié.
« Je considère « Les vertueux » comme mon meilleur livre. Je me suis tellement investi et je sais ce que j’ai écrit. Une joie et une sérénité m’ont accompagné dans l’écriture (…) La notion véritable d’un texte, seul l’auteur la connaît. Tous mes textes sont aboutis, c’est le résultat de beaucoup de travail. La critique est toujours à côté de la plaque », a-t-il affirmé.


« Il n’y a pas d’idéologie dans mes textes »

Pour lui, adapter un roman-fleuve comme « Les vertueux » serait mieux en série à plusieurs saisons qu’en long métrage, dans la mesure où cela permet au réalisateur de mieux exploiter et explorer l’œuvre sans devoir « condenser » comme c’est le cas pour le cinéma.
Yasmina Khadra a répondu à des questions sur son écriture et son style lors du débat.  « Il n’y a pas d’idéologie dans mes textes mais des valeurs universelles. Il n’y a pas de valeurs contradictoires. Certains éditeurs étrangers me vendent beaucoup plus qu’en France, aux Etats Unis et en Chine, par exemple. La littérature, c’est le lecteur. C’est lui qui juge. Il faut entrer dans un livre comme dans un sanctuaire sacré, sans a priori, aller à la découverte de quelque chose. Les gens qui étaient dans l’idéologie se sont éteints.Ce n’est pas le style qui porte le livre. Le roman est porté par les personnages, le style n’est qu’un accompagnement. La littérature n’a rien à voir avec la langue. La langue est un outil. La littérature, c’est le talent, le génie, la créativité, l’enchantement. Celui qui parle de la langue en littérature ferait mieux d’aller s’enterrer vivant. Il faut écrire comme on le sent, savoir aimer les écrivains. « , a-t-il précisé.  
Il a rappelé être traduit dans soixante pays et il a indiqué que le gros de son lectorat en Amérique du Sud est au Brésil et au Mexique.


« En France, je suis marginalisé »

« En France, je suis marginalisé. Quand un cinéaste me contacte avec enthousiasme pour adapter un de mes romans, dès qu’il cite mon nom aux producteurs, il est dissuadé. A Paris, je n’ai pas d’amis. Je m’ennuie dans cette ville. Quand j’ouvre la fenêtre, il pleut. Je suis un homme du Sahara, j’aime le soleil. S’il n’y a pas de soleil, il n’y a pas de vie. A Paris, j’écris. J’apporte le soleil dans mes textes », a-t-il confié.


Il a annoncé avoir refusé des propositions d’écriture de biographies. « Personne ne peut raconter mon histoire à ma place. Je ne mens pas. Je suis un homme du Sahara. Nous sommes vivants et ils ont attenté à notre réputation. Pendant des années, les gens me lisaient sans qu’ils sachent qui j’étais. Certains disaient que j’étais agent de la sécurité, d’autres que j’étais juif. Certains prétendaient qu’ils connaissaient Yasmina Khadra à l’université et qu’elle était leur copine ! », a-t-il dit en réponse à une question sur son livre « L’écrivain », paru en 2001. 

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