La colère légitime que vous avez manifestée lors de la conférence nationale sur le théâtre qui s’est tenue les 14 et 15 mars 2023 m’interpelle et m’interdit de demeurer silencieux. Je ne peux me taire au nom d’une vie consacrée au théâtre en tant que comédien, metteur en scène, responsable, enseignant et organisateur d’événements culturels. Cette vie m’a conféré une légitimité qui m’impose des obligations dont celle de tirer la sonnette d’alarme s’il le faut et quand il le faut. Je n’ai jamais dérogé à ce devoir.
Je ne peux vous laisser croire, Madame, que des propositions n’ont pas été faites pour remédier à la situation que vous avez pointée du doigt. En ce qui me concerne, je ne me suis pas contenté d’attirer l’attention sur la crise que vit le théâtre algérien, mais j’ai fait plusieurs propositions concrètes pour son renouveau. Toutes sont restées sans réponse.
Je vous en donne un exemple. L’année 2020, j’ai transmis au ministère de la culture un document « Réflexions sur le théâtre algérien et ses perspectives » accompagné d’une demande d’audience. Aucune suite. J’y attirais l’attention sur le fait que l’avenir du théâtre en Algérie ne pouvait être envisagé sans une politique culturelle cohérente, une organisation rationnelle et un plan d’actions précises et coordonnées. Le document soumettait à l’étude des propositions concrètes qui avaient le dessein de contribuer à la relance du théâtre algérien. Il y a été question des institutions du théâtre, de la formation aux métiers du spectacle, des résidences d’écriture, des théâtres régionaux, du soutien à la création, de la création de l’école populaire de théâtre, des comités de lecture, des coopératives théâtrales et des festivals qui devaient ambitionner de contribuer au développement du théâtre et à la « construction » du goût du public. Il y était incorporé la diffusion d’œuvres intégrant des Masters Class sur la pratique du théâtre, projet structurant et d’envergure nationale où Conférences, master class et production de l’œuvre d’un dramaturge notoire devaient vivre en symbiose. Aucun écho, la marginalisation persiste.
Le document s’était également préoccupé de la constitution du répertoire théâtral. Ce dernier point avait fait préalablement l’objet d’un dossier détaillé. Le projet était un plaidoyer pour un théâtre de répertoire et incluait des pleins feux sur l’œuvre théâtrale des dramaturges les plus importants qui ont marqué le théâtre algérien de leur empreinte et nous servent de repères pour nous projeter vers l’avenir. Le projet, qui pour sa réalisation sollicitait l’initiative publique et privée, prévoyait la création d’un centre national des archives théâtrales sans lequel la préservation de la mémoire du théâtre algérien demeurait un vain mot. Le projet sur lequel nous avons commencé à travailler en 2019 avec les universitaires MM. Ahmed Cheniki et feu Hadj Miliani a été mis en veille à cause de la pandémie Covid. Repris ces derniers mois avec l’accord du directeur du T.N.A, il devait être mis en chantier en mai 2023 mais comme pour les autres projets, il demeure sans suite.
Ces projets – constitution du répertoire théâtral et création du centre national des archives – étaient couplés à un autre projet non moins important : le « Printemps des Arts » qui voulait donner à la capitale Alger un évènement artistique à sa dimension conformément à un programme qui déclarait que : « La richesse d’une nation ne se mesure pas seulement à l’aune de son patrimoine physique et des indicateurs économiques, mais également à celle de sa vie culturelle, notamment celle de sa capitale qui incarne la souveraineté de l’Etat. »
Le « Printemps des Arts » se proposait de créer à Alger un moment fort où s’exposeront ses potentialités culturelles et artistiques et qui donne envie d’y venir et investir. Ses objectifs étaient de faire connaître l’Algérie des Arts, de rendre visible ses acteurs ainsi que leurs textes et créations qu’il donnera à voir et à entendre au public. Il devait permettre aux intellectuels et professionnels de confronter et d’échanger leurs points de vue, de favoriser les rencontres interdisciplinaires entre les générations et, en, touchant des publics divers (condition sociale, âge, sexe, etc.), tenter de faire des émules et susciter des vocations. Cet événement aurait été un facteur majeur de promotion de la culture de la paix, de renforcement de la cohésion sociale, d’animation du territoire et de création d’une dynamique de partenariat. Il a un programme, un agenda ; des acteurs et des partenaires.
En ce qui concerne le partenariat, pour la réussite du « Printemps des Arts », les partenaires suivants, dont nous avions pour certain l’accord, étaient pressentis : l’ISMAS, l’INSM, Les Beaux-arts, le Musée des Arts modernes (MAMA), la Cinémathèque algérienne, l’ONDA, l’ARC, etc. Il fut aussi proposé à l’opéra d’Alger la création, en partenariat, d’un évènement intitulé « L’opéra fête son théâtre » dont la périodicité serait annuelle. Parallèlement aux représentations, il visait à créer un rapport interactif avec le public. Dans une première étape, son champ d’action serait national puis s’ouvrirait progressivement à l’espace maghrébin pour à l’avenir se transformer en festival du théâtre maghrébin. Tous ces projets ont été transmis au Ministère de la culture. Au cas où ils ne peuvent être retrouvés, je puis, si vous le désirez, mettre leurs copies à votre disposition
Non, Madame la Ministre, le théâtre n’a jamais été pour moi une question de chiffres, de murs et de chaises. Même si je n’ai pas été invité dans les cénacles où on décidait du théâtre, je n’ai cessé de parler de théâtre, de rêve, de vision, de créativité, d’entrepreneuriat culturel, de formuler des propositions où l’art et l’artiste cesseraient d’être la dernière roue de la charrette. J’ai l’intime conviction aujourd’hui d’avoir prêché dans le désert et ne peux dissimuler, moi aussi, ma colère et mon dépit. Je tenais à apporter ces précisions.
Veuillez croire, Madame la ministre, à mes salutations