Liberté d’opinion, idéologie et politique dans l’interview du président

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Liberté d'opinion, idéologie et politique dans l'interview du président
Liberté d'opinion, idéologie et politique dans l'interview du président
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La liberté d’opinion n’occupe pas une place centrale dans l’interview du Président Tebboune au journal «Le Point» du 03 juin 2021. Pourtant, le bilan des arrestations et emprisonnements et les entraves à la liberté de la presse constituent un fardeau pour le pouvoir. Les journalistes algériens du journal français « Le Point » se sont montré timides. Ils se sont seulement enquis du cas du correspondant du journal « Liberté » à Tamanrasset placé sous mandat de dépôt. Solidarité corporative et/ou concession obtenue de la Présidence, ce fut un éclair. Mais la liberté d’opinion marque indirectement sa présence dans le texte de l’interview.

Liberté d’opinion et idéologie

Le texte de l’interview a été certainement peaufiné par les collaborateurs du Président. Et sa publication s’opère après une validation de la Présidence. Le texte est donc fiable. Une affirmation du Président Tebboune mise en exergue attire l’attention : « L’islamisme en tant qu’idéologie, celle qui a tenté de s’imposer au début des années 1990 dans notre pays, n’existera plus jamais en Algérie ».

Si ces propos signifient qu’il n’existera plus de possibilité d’instauration d’un État islamique en Algérie, ils devraient rassurer nombre de concitoyens et les partenaires de l’Algérie. À l’encontre des accusations de « collusion avec l’islamisme » provenant de l’opposition, cette acception s’enregistre dans les acquis politiques du pays. Est-ce un acquis irréversible ? La prédiction en politique est chose hasardeuse.

Une expression prête cependant matière à discussion. C’est « L’islamisme en tant qu’idéologie ». Malgré la multiplicité des définitions liées à différents courants théoriques, il est possible de penser l’idéologie comme un ensemble d’idées, d’opinions présentant un niveau plus ou moins élevé de cohérence. Un système d’idées. C’est dans ce sens qu’il est souvent question d’idéologies nationaliste, socialiste et … islamiste. L’utilisation du substantif marque l’idée de cohérence. On parle de nationalisme, de socialisme et d’islamisme.

L’affirmation « l’islamisme en tant qu’idéologie » est non seulement inadéquate mais menace la liberté d’opinion. L’État, en tant qu’institution au service de la société civile, n’a pas vocation à promouvoir une idéologie ou à s’opposer à des idéologies. C’est cependant ce qu’il fait en se parant de l’idéologie nationaliste. Ce qui est en cause dans le nationalisme, ce n’est pas l’aspiration à affirmer l’existence indépendante de la Nation algérienne. Bien au contraire. Ce qui est en cause c’est sa conception de la Nation et de l’État. En effet, le nationalisme prône une uniformité de la Nation. Il n’admet pas la diversité. Il se rallie facilement au « parti unique », à la « pensée unique », à la « langue unique » et à la « religion unique ».

Depuis l’Indépendance, on retrouve facilement ses mariages avec toutes ces notions prônant l’unicité. Sa conception de l’État est forcément autoritaire. Marqué déjà par l’expérience de l’action par le haut pendant la guerre de libération, le nationalisme conçoit l’État au-dessus de la société civile. Il partage avec d’autres idéologies totalitaires, une négation de l’individu, une négation du citoyen. Pour l’idéologie nationaliste, l’État et la Nation ne sont pas le produit d’une association volontaire d’individus qui partagent un legs historique.

L’État et la Nation s’imposent à l’individu. L’individu appartient à l’État-Nation. C’est cette idéologie nationaliste qui fonde l’arsenal législatif qui soutient la violation des libertés individuelles et collectives. De « l’atteinte à l’unité nationale » à « l’atteinte à la sécurité de l’État » en passant par les « offenses » et les « outrages » aux « corps constitués », tout participe à affirmer la suprématie de l’État autoritaire par rapport à l’individu.

L’idéologie nationaliste, au même titre que les idéologies totalitaires communistes, islamistes, national-socialiste et fasciste tend inévitablement à s’opposer à la liberté d’opinion et à ses corollaires, les liberté d’expression et de la presse. Aucune idéologie ne fonde les libertés individuelles et collectives. C’est le droit qui les fonde. Ce droit est clairement énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme signée par l’État algérien. La liberté d’opinion ne s’apprécie pas en fonction d’une idéologie. La liberté d’opinion transcende les idéologies. C’est la condition pour que tous les courants politiques et idéologiques présents dans la société algérienne coexistent pacifiquement.

Liberté d’opinion et politique

Dans le même passage de l’interview mis en exergue, il est rapporté que pour le Président Tebboune « Cet islam politique-là (à la Turque) ne me gêne pas, parce qu’il n’est pas au- dessus des lois de la République, qui s’appliqueront à la lettre ». Ce sont des paroles fortes. Valables pour tous les courants politiques du pays. Les partis et organisations de la société civile doivent se soumettre aux lois.

Cela mérite cependant de préciser ces lois. Confondre les lois avec la législation adoptée par le parlement et le gouvernement comporte des risques fâcheux pour les libertés. Les citoyens algériens supportent depuis l’Indépendance les conséquences d’une telle acception des lois. Ce sont des lois corrompues par l’idéologie nationaliste et qui ne traduisent en dernier lieu que la volonté d’affirmer la suprématie de l’État et des forces politiques qui le dominent.

Il est capital que les lois dont fait état le Président soient comprises comme le droit, le droit consigné dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et que la constitution algérienne devrait fidèlement reprendre. Ce droit pose les libertés individuelles et collectives. C’est à la législation, les lois gouvernementales, à se présenter comme des déclinaisons de ce droit. Pour revenir aux années 90 et à la terrible période qui endeuilla l’Algérie, ce n’est pas une idéologie qui se réclame des « valeurs islamiques » qui est en cause. Depuis

l’Indépendance, certains héritiers des Oulémas et des néo-islamistes professaient cette idéologie. Tant que cela restait au niveau de l’opinion, la liberté devait leur être reconnue. Ce qui est devenu en cause c’est la traduction politique de cette idéologie par le FIS. Par politique, il faut entendre des actes et des intentions proclamées. Autrement dit une volonté assumée et des préparatifs matériels et organisationnels en vue de recourir à la menace physique, à la violence et à des actes de guerre. C’est le visage réel de l’islam politique algérien des années 90.

Le but, l’État islamique, et les moyens, la violence, étaient tous deux contraires aux droits fondamentaux des citoyens algériens. Malgré son caractère autoritaire, l’État algérien devait réagir pour empêcher une violation aussi poussée et aussi flagrante des droits et libertés des citoyens. Cette action relève de ses prérogatives régaliennes. Il le fit.

Certains objectent que sa motivation ne s’identifiait pas au noble idéal de liberté. C’est le débat entre intentionnalistes et conséquentialistes. Éthique de conviction ou éthique de responsabilité ? Le fait est là. Le coût déjà très élevé en vies humaines a été réduit malgré le recours à des méthodes peu conformes avec les droits humains. Cette expérience douloureuse doit convaincre toutes les Algériennes et tous les Algériens, tous les courants politiques et idéologiques sans exclusive, tous ceux qui sont emprunts de sentiments de respect pour la personne humaine, que le salut, le véritable salut de la Nation algérienne, réside dans la suprématie du droit universellement reconnu.

Liberté d’opinion, majorité et minorité

Au total, la liberté d’opinion et l’ensemble des libertés individuelles ne se rapportent ni à l’idéologie, ni à la politique. Tous deux peuvent corrompre l’exercice des libertés. Les libertés se rapportent au droit universellement reconnu. La liberté d’opinion n’est pas non plus relative à une majorité ou à une minorité. Elle est une liberté individuelle indépendante de l’appartenance de l’individu à une majorité ou à une minorité.

Les appréciations portées sur le Hirak souffrent d’un parti pris. Il n’est pas question évidemment de dénier au Président le droit d’avoir une opinion personnelle sur le mouvement de la société civile. Mais un désaccord sur l’orientation prise par le Hirak ne peut justifier une contestation de la liberté d’opinion et de manifestation. Ce qui était permis pour le « Hirak authentique » ne l’est plus pour le « Hirak dévoyé ». Pourtant, c’est le pacifisme des manifestants qui devrait être le seul critère pouvant guider une appréciation neutre, base du respect de la liberté d’opinion et de son corollaire, la liberté d’expression. Les opinions ont la vertu de faire appel à d’autres opinions hostiles ou favorables.

C’est de leur confrontation pacifique que peut se dégager un consensus pour une évolution positive et dans la paix civile. Or, faute de disposer de relais dans la société civile à la hauteur des exigences du débat démocratique, l’État déploie les services de sécurité et la justice pour contenir les manifestants avec des méthodes en contradiction avec les droits fondamentaux des citoyens. Il est significatif que les motifs d’inculpation des manifestants ne trouvent d’équivalents que dans les pays soumis à des dictatures (Cuba, Chine, Corée du Nord) ou à des régimes autoritaires (Russie).

Cela devrait inciter à une réflexion profonde sur le modèle d’État mis en place. Un vrai régime d’alternance qui repose sur une majorité politique suppose une minorité candidate à la succession. À la condition que les libertés soient préservées. La démocratie n’est pas seulement le règne de la majorité, elle est subordonnée à l’exercice des libertés individuelles et collectives. Enfin, et en guise de conclusion, le Président déclare : « On peut détester Tebboune, mais pas détester son propre pays ».

Cette parole pleine de sagesse devrait conduire à abroger les dispositions législatives qui fondent « l’offense au Président de la république » et qui contraignent des citoyens à l’emprisonnement.

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